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L'hérésiarque et Cie - Guillaume Apollinaire


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       Guillaume Apollinaire

      L'hérésiarque et Cie

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066084707

       LE PASSANT DE PRAGUE

       LE SACRILÈGE

       LE JUIF LATIN

       L'HÉRÉSIARQUE

       L'INFAILLIBILITÉ

       TROIS HISTOIRES DE CHÂTIMENTS DIVINS

       I LE GITON

       II LA DANSEUSE

       III D'UN MONSTRE À LYON OU L'ENVIE

       SIMON MAGE

       L'OTMIKA

       QUE VLO-VE?

       LA ROSE DE HILDESHEIM OU LES TRÉSORS DES ROIS MAGES

       LES PÈLERINS PIÉMONTAIS

       LA DISPARITION D'HONORÉ SUBRAC

       LE MATELOT D'AMSTERDAM

       HISTOIRE D'UNE FAMILLE VERTUEUSE, D'UNE HOTTE ET D'UN CALCUL

       LA SERVIETTE DES POÈTES

       L'AMPHION FAUX MESSIE OU HISTOIRES ET AVENTURES DU BARON D'ORMESAN

       I LE GUIDE

       II UN BEAU FILM

       III LE CIGARE ROMANESQUE

       IV LA LÈPRE

       V COX-CITY

       VI LE TOUCHER À DISTANCE

       Table des matières

      En mars 1902, je fus à Prague.

      J'arrivais de Dresde.

      Dès Bodenbach, où sont les douanes autrichiennes, les allures des employés de chemin de fer m'avaient montré que la raideur allemande n'existe pas dans l'empire des Habsbourg.

      Lorsqu'à la gare je m'enquis de la consigne, afin d'y déposer ma valise, l'employé me la prit; puis, tirant de sa poche un billet depuis longtemps utilisé et graisseux, il le déchira en deux et m'en donna une moitié en m'invitant à la garder soigneusement. Il m'assura que, de son côté, il ferait de même pour l'autre moitié, et que, les deux fragments de billet coïncidant, je prouverais ainsi être le propriétaire du bagage quand il me plairait de rentrer en sa possession. Il me salua en retirant son disgracieux képi autrichien.

      À la sortie de la gare François-Joseph, après avoir congédié les faquins, d'obséquiosité tout italienne, qui s'offraient en un allemand incompréhensible, je m'engageai dans de vieilles rues, afin de trouver un logis en rapport avec ma bourse de voyageur peu riche. Selon une habitude assez inconvenante, mais très commode quand on ne connaît rien d'une ville, je me renseignai auprès de plusieurs passants.

      Pour mon étonnement, les cinq premiers ne comprenaient pas un mot d'allemand, mais seulement le tchèque. Le sixième, auquel je m'adressai, m'écouta, sourit, et me répondit en français:

      —Parlez français, monsieur, nous détestons les Allemands bien plus que ne font les Français. Nous les haïssons, ces gens qui veulent nous imposer leur langue, profitent de nos industries et de notre sol dont la fécondité produit tout, le vin, le charbon, les pierres fines et les métaux précieux, tout, sauf le sel. À Prague, on ne parle que le tchèque. Mais lorsque vous parlerez français, ceux qui sauront vous répondre le feront toujours avec joie.

      Il m'indiqua un hôtel situé dans une rue dont le nom est orthographié de telle sorte qu'on le prononce Porjitz, et prit congé en m'assurant de sa sympathie pour la France.

      Peu de jours auparavant, Paris avait fêté le centenaire de Victor Hugo.

      Je pus me rendre compte que les sympathies bohémiennes, manifestées à cette occasion, n'étaient pas vaines. Sur les murs, de belles affiches annonçaient les traductions en tchèque des romans de Victor Hugo. Les devantures des librairies semblaient de véritables musées bibliographiques du poète. Sur les vitrines étaient collés des extraits de journaux parisiens relatant la visite du maire de Prague et des Sokols. Je me demande encore quel était le rôle de la gymnastique en cette affaire.

      Le rez-de-chaussée de l'hôtel qui m'avait été indiqué, était occupé par un café chantant. Au premier étage, je trouvai une vieille qui, après que j'eus débattu le prix, me mena dans une chambre étroite où étaient deux lits. Je spécifiai que j'entendais habiter seul. La femme sourit, et me dit que je ferais comme bon me semblerait; qu'en tout cas je trouverais facilement une compagne au café-chantant du rez-de-chaussée.

      Je sortis, dans l'intention de me promener tant qu'il ferait jour et de dîner ensuite dans une auberge bohémienne. Selon ma coutume, je me renseignai auprès d'un passant. Il se trouva que celui-ci reconnut aussi mon accent et me répondit en français:

      —Je suis étranger comme vous, mais je connais assez Prague et ses beautés pour vous inviter à m'accompagner à travers la ville.

      Je regardai l'homme. Il me parut sexagénaire, mais encore vert. Son vêtement apparent se composait d'un long manteau marron au col de loutre, d'un pantalon de drap noir assez étroit pour mouler un mollet qu'on devinait très musclé. Il était coiffé d'un large chapeau de feutre noir, comme en portent souvent les professeurs allemands. Son front était entouré d'une bandelette de soie noire.


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