Quentin Durward. Вальтер СкоттЧитать онлайн книгу.
in Durward
INTRODUCTION
«Et un homme qui a fait des pertes. – Allez!»
SHAKSPEARE. Beaucoup de bruit pour rien.
QUAND l'honnête Dogberry[1] récapitule tous ses titres à la considération, qui, à son avis, auraient dû le mettre à l'abri de l'apostrophe injurieuse que lui adresse Monsieur le gentilhomme Conrade, il est remarquable qu'il ne parle pas avec plus d'emphase même de ses deux robes (chose assez importante dans certaine ci-devant capitale que je connais[2]), ni de ce qu'il est un aussi joli morceau de chair que qui ce soit dans Messine, ni même de l'argument conclusif qu'il est un camarade assez riche, que de ce qu'il est un homme qui a fait des pertes.
Dans le fait, j'ai toujours observé que les enfans de la prospérité, soit pour ne pas éblouir de tout l'éclat de leur splendeur ceux que le destin a traités moins favorablement, soit parce qu'ils pensent qu'il est aussi honorable pour eux de s'être élevés en dépit des calamités, qu'il l'est pour une forteresse d'avoir soutenu un siège; j'ai toujours observé, dis-je, que ces gens-là ne manquent jamais de vous entretenir des pertes que leur occasionne la dureté des temps. Vous dînez rarement à une table bien servie, sans que les intervalles entre le champagne, le bourgogne et le vin du Rhin soient remplis, si votre Amphitryon est un capitaliste, par des plaintes sur la baisse de l'intérêt de l'argent, et sur la difficulté de trouver à placer celui qui reste improductif entre ses mains; ou, si c'est un propriétaire, par de tristes commentaires sur l'arriéré des rentes et la diminution des loyers. Cela produit son effet. Les convives soupirent, et secouent la tête en cadence avec leur hôte, regardent le buffet chargé d'argenterie, savourent de nouveau les excellens vins qui circulent rapidement autour de la table, et pensent à la noble bienveillance qui, ainsi lésée, fait un usage hospitalier de ce qui lui reste; ou, ce qui est encore plus flatteur, ils s'étonnent de la nature de cette richesse qui, nullement diminuée malgré ces pertes, continue, comme le trésor inépuisable du généreux Aboulcasem, à fournir des distributions copieuses sans qu'il y paraisse. Cette manie de doléances a pourtant ses bornes, de même que les plaintes des valétudinaires, qui, comme ils le savent tous, sont le passe-temps le plus agréable, tant qu'ils ne sont affectés que de maladies chroniques. Mais je n'ai jamais entendu un homme dont le crédit va véritablement en baissant, parler de la diminution de ses fonds; et mon médecin, homme aussi humain qu'habile, m'assure qu'il est fort rare que ceux qui sont attaqués d'une bonne fièvre, ou de quelque autre de ces maladies aiguës
Dont la crise mortelle aussi-bien que prochaine
Pronostique la fin de la machine humaine, trouvent dans leurs souffrances un sujet de conversation amusante.
Ayant bien posé toutes ces choses, je ne puis plus cacher, à mes lecteurs que je ne suis ni assez oublié, ni assez bas en finances pour ne pas avoir ma part de la détresse qui afflige en ce moment les capitalistes et les propriétaires des trois-royaumes. Vos auteurs qui dînent avec une côtelette de mouton, peuvent être charmés que le prix en soit tombé à trois pence la livre, et se féliciter, s'ils ont des enfans, de ce que le pain de quatre livres ne leur coûte plus que six pence; mais nous qui appartenons à cette classe que la paix et l'abondance ruinent, – nous qui avons des terres et des bœufs, et qui vendons ce que ces pauvres glaneurs sont obligés d'acheter, – nous sommes réduits au désespoir précisément par les mêmes causes qui feraient illuminer tous les greniers de Grub-Street[3], si Grub-Street avait jamais des bouts de chandelle de reste. Je mets donc en avant, avec fierté, mon droit de partager les calamités qui ne tombent que sur les riches; je me déclare, comme Dogberry, un camarade assez riche, et cependant un homme qui a fait des pertes.
Avec le même esprit de généreuse émulation, j'ai eu recours récemment au remède universel contre le mal de l'impécuniosité[4] pendant un court séjour dans un climat méridional; par-là, non-seulement j'ai épargné plusieurs voitures de charbon, mais j'ai eu aussi le plaisir d'exciter une compassion générale pour la décadence de ma fortune parmi ceux qui, si j'eusse continué à dépenser mes revenus au milieu d'eux, auraient pu me voir pendre sans que cela les inquiétât beaucoup: ainsi, tandis que je bois mon vin ordinaire, mon brasseur trouve que le débit de sa petite bière diminue. Tandis que je vide mon flacon à cinq francs, ma portion quotidienne de Porto[5] reste au comptoir de mon marchand de vin. Tandis que ma côtelette à la Maintenon fume sur mon assiette, le formidable aloyau reste accroché à une cheville dans la boutique de mon ami à tablier bleu, le boucher du village. En un mot, tout ce que je dépense ici forme un déficit aux lieux de mon domicile habituel. Jusqu'aux petits sous que gagne le garçon perruquier, et même la croûte de pain que je donne à son petit chien au derrière tondu et aux yeux rouges, c'est encore autant de perdu pour mon ancien ami le barbier et pour l'honnête Trusty, gros mâtin qui est dans ma cour. C'est ainsi que j'ai le bonheur de savoir à chaque instant du jour que mon absence est sentie et regrettée par ceux qui s'inquiéteraient fort peu de moi, s'ils me voyaient dans mon cercueil, pourvu qu'ils pussent compter sur la pratique de mes héritiers. J'excepte pourtant solennellement de cette accusation d'égoïsme et d'indifférence le fidèle Trusty, mon chien de cour, dont j'ai raison de croire que les politesses à mon égard avaient des principes plus désintéressés que celles d'aucune des personnes qui m'aident à dépenser les revenus que je dois a la libéralité du public.
Hélas! à l'avantage d'exciter cette sympathie chez soi sont attachés de grands inconvéniens personnels.
Veux-tu me voir pleurer? pleure d'abord toi-même, dit Horace; et véritablement je pleurerais quelquefois quand je songe que mes jouissances domestiques, devenues des besoins par l'habitude, ont été échangées pour les équivalens étrangers que le caprice et l'amour de la nouveauté ont mis à la mode. Je ne puis m'empêcher d'avouer que mon estomac, conservant ses goûts nationaux, soupire après la bonne tranche de bœuf, apprêtée à la manière de Dolly, servie toute chaude en sortant du gril, brune à l'extérieur, et devenant écarlate au premier coup de couteau. Tous les mets délicats inscrits sur la carte de Véry, et ses mille manières d'orthographier ses bifsteks de mouton ne peuvent y suppléer. Ensuite le fils de ma mère n'a aucun goût pour les libations claires; et aujourd'hui qu'on peut avoir la drèche presque pour rien, je suis convaincu qu'une double mesure de John Barley-Corn[6] doit avoir changé cette pauvre créature domestique, la petite bière, en une liqueur vingt fois plus généreuse que ce breuvage acide et sans force qu'on honore ici du nom de vin, quoique sa substance et ses qualités la rendent plutôt semblable, à l'eau de la Seine. Les vins français de première qualité sont assez bons; il n'y a rien à dire contre le château-margot et le sillery; et cependant je ne puis oublier la qualité généreuse de mon excellent vin vieux d'Oporto. Enfin, jusqu'au garçon et à son chien, quoique ce soient tous deux des animaux assez divertissans, et qu'ils fassent mille singeries qui ne laissent pas d'amuser, cependant il y avait plus de franche gaieté dans le clignement d'œil avec lequel notre vieux Packwood avait coutume d'annoncer au village les nouvelles de la matinée, que toutes les gambades d'Antoine ne pourraient en exprimer dans le cours d'une semaine; et dans le mouvement de queue du vieux Trusty, il y avait plus de sympathie humaine et canine, que dans la patience de son rival Toutou, se fût-il tenu sur ses pattes de derrière pendant toute une année.
Ces signes de repentir viennent peut-être un peu tard, et je conviens (car je dois une franchise sans réserve à mon cher ami le public) qu'ils ont été un peu accélérés par la conversion de ma nièce Christy à l'ancienne foi papale, grâce à un certain prêtre madré de notre voisinage; et par le mariage de ma tante Dorothée à un capitaine de cavalerie à demi-solde, ci-devant membre de la Légion-d'Honneur, qui, à ce qu'il nous assure, serait aujourd'hui officier-général, si notre ancien ami Buonaparte avait continué à vivre et à triompher. Quant à Christy, je dois avouer que la tête lui avait tellement tourné à Édimbourg, en courant jusqu'à cinq routs[7] par nuit, que, quoique je me méfiasse un peu des causes et des moyens de sa conversion, je ne fus pas fâché de voir qu'elle commençait à envisager les choses sous un aspect
1
Dogberry est un officier de police ridicule dans la pièce d'où l'épigraphe est tirée: Conrade lui dit qu'il est un âne, ce qui fâche beaucoup cette espèce de Brid'oison. – (
2
Édimbourg. – (
3
Quartier de la
4
L'auteur fait ici un mot nouveau:
5
Ce vin de Portugal est généralement le
6
L'orge personnifiée; figure souvent reproduite dans l'anglais. – (
7
Grandes assemblées. – (