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Chacune son Rêve - Daniel Lesueur


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       Daniel Lesueur

      Chacune son Rêve

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066079901

       I MANUSCRIT DE FRANCINE

       II VERS LA MORT

       III AU FOND DU LABYRINTHE

       IV DANS LES COULISSES

       V EN COUR D'ASSISES

       VI LA MÈRE

       VII LE VIEUX-MOUTIER

       VIII PRISE AU PIÈGE

       IX L'ALLÉE DES TOMBEAUX

       X LA RENCONTRE DU PASSÉ

       XI LE PRIX DE LA VIE

       XII PLUS RAPIDE QUE LE RAPIDE

       XIII LES PETITS PIEDS QUI NE DANSERONT PLUS

       XIV DEUX ÉPOUSES

      CHACUNE SON RÊVE

       MANUSCRIT DE FRANCINE

       Table des matières

      Novembre 1905.

       Je vais écrire ces choses. Je ne puis pas faire autrement. Le secret professionnel m'interdit de les révéler à qui que ce soit au monde. Mais ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai accompli, la responsabilité que j'assume,—tout cela compose un fardeau trop lourd pour ma conscience, pour mon cœur.

       Je ne suis qu'une jeune fille, isolée, désarmée, intimidée devant la vie, malgré le titre de docteur en médecine que je viens de conquérir.

      Oh! oui... intimidée devant la vie. Combien je la trouve impénétrable, déconcertante, quand je la vois s'entr'ouvrir sur des abîmes de passion, de mystère, de douleur,—peut-être de scélératesse et de crime, comme ce qui m'en est apparu, pour s'effacer aussitôt et à jamais devant moi. Combien elle me sera difficile à vivre, avec la charge redoutable que j'ai assumée!

       Il y a quelques jours à peine, j'étais encore presque insouciante, malgré la gravité de mon destin. Ma situation d'orpheline, ma pauvreté, mes études ardues, sans distractions, sans loisirs, sans joie, n'avaient abattu en moi ni le courage, ni l'espérance. Je touchais au but. Ce titre de docteur, à vingt-quatre ans, comme j'en étais fière!... Avec ma volonté forte, dont j'éprouvais la vigueur, ainsi qu'un champion qui fait plier et vibrer la lame de son fleuret avant l'assaut, je ne doutais pas de l'avenir, je ne doutais pas du succès, je ne doutais pas du bonheur.

       Mais aujourd'hui!...

       Quoi! si vite... En quelques jours... Que dis-je?... en quelques heures... tout s'est assombri, transformé. Quel drame ai-je traversé? Qu'ai-je fait? Mon cœur se crispe. Une angoisse l'étreint.

       Alors, moi qui me sens faible, pour la première fois, à cause du poids écrasant tombé soudain sur mes épaules,—moi qui n'ai personne pour m'aider à le porter, ni mère, ni amie, ni confidente, ni fiancé, moi qui, d'ailleurs, ne voudrais en faire partager le péril à nul être au monde, je prends, cette nuit, dans le silence, un feuillet blanc, que je place sous ma lampe, et qui recevra la tragique confidence.

      Aussi bien, ne faut-il pas que tous les détails, jusqu'aux plus insignifiants, subsistent quelque part, impérissables? Ma mémoire peut faiblir... Et si je disparaissais brusquement!... Fixons ici une trace de cette aventure, qui, autrement, finirait par m'apparaître inconsistante et invraisemblable comme un rêve. Je me le dois à moi-même. Et je le dois aussi à ce petit infortuné, qui, plus tard, ne possédera pas de trésor plus précieux que mon témoignage.

       Ce document, je lui trouverai bien une cachette assez sûre pour qu'on ne l'y découvre point, moi vivante, assez accessible pour qu'il n'y reste pas scellé à jamais, si je meurs sans avoir pu en disposer.

       Il y a quelques soirs, je me trouvais ici, dans cette chambre,—ma chambre d'enfant, de fillette, d'étudiante,—la chère petite chambre de mes vacances, à Claire-Source.

       Claire-Source!... le joli nom. Il représente jusqu'à ce jour,—et peut-être pour toujours,—la seule gaieté de mon existence. C'est la maisonnette campagnarde de ma tante Stéphanie,—excellente vieille fille, créature du bon Dieu, à qui je dois les petites douceurs, les petites gâteries, la petite illusion d'un foyer, d'une famille, dont, sans elle, j'eusse été absolument dénuée.

       Donc, je passais une quinzaine ici, prenant quelque repos après la soutenance de ma thèse.

      Mercredi dernier (il y aura huit jours demain), j'avais déjà souhaité le bonsoir à ma tante, et je m'apprêtais à me coucher de bonne heure, pour lire au lit un ouvrage qui m'intéressait, lorsque la sonnette de la grille tinta. Surprise, je sortis sur le palier, où je rencontrai notre jeune servante, les yeux élargis d'effarement.

       —«Qu'est-ce que ça peut être, mademoiselle Francine? Je n'ose pas descendre. J'ai peur!...

       —En voilà une froussarde! Eh bien, venez avec moi. Il faut voir... C'est sans doute pour quelqu'un de malade. On sait que je suis médecin.»

       Je prononçai le mot avec l'enfantillage d'un peu d'orgueil. Cependant, je n'avais pas attendu mon doctorat pour donner mes soins à tout ce petit monde villageois. Jusqu'alors mes clients rustiques avaient respecté le repos de mes nuits. Il est vrai que leur santé à toute épreuve ne m'eût pas fait une carrière bien occupée, ni surtout bien fructueuse, eussé-je eu l'idée, qui ne me vint jamais, de leur réclamer des honoraires.

       Nous descendîmes donc, Estelle et moi. Le bougeoir de jardin tremblait aux mains de la poltronne.

       Devant notre modeste grille de bois, une auto était arrêtée: une grande limousine, dont les phares étendaient un éventail d'éclatante lumière, dont les vernis, les nickels miroitaient en dépit des demi-ténèbres. Une voiture de grand luxe, à ce qu'il me sembla.

       Un homme en était descendu pour sonner. Un autre—le chauffeur—demeurait sur le siège. Enfin, dans l'intérieur (je m'en rendis compte presque


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