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Les confessions. Jean-Jacques RousseauЧитать онлайн книгу.

Les confessions - Jean-Jacques Rousseau


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croyais déjà me voir en habit d’officier avec un beau plumet blanc. Mon cœur s’enflait à cette noble idée. J’avais quelque teinture de géométrie et de fortifications; j’avais un oncle ingénieur; j’étais en quelque sorte enfant de la balle. Ma vue courte offrait un peu d’obstacle, mais qui ne m’embarrassait pas; et je comptais bien à force de sang-froid et d’intrépidité suppléer à ce défaut. J’avais lu que le maréchal Schomberg avait la vue très courte; pourquoi le maréchal Rousseau ne l’aurait-il pas? Je m’échauffais tellement sur ces folies, que je ne voyais plus que troupes, remparts, gabions, batteries, et moi, au milieu du feu et de la fumée, donnant tranquillement mes ordres, la lorgnette à la main. Cependant, quand je passais dans des campagnes agréables, que je voyais des bocages et des ruisseaux, ce touchant aspect me faisait soupirer de regret; je sentais au milieu de ma gloire que mon cœur n’était pas fait pour tant de fracas, et bientôt, sans savoir comment, je me retrouvais au milieu de mes chères bergeries, renonçant pour jamais aux travaux de Mars.

      Combien l’abord de Paris démentit l’idée que j’en avais! La décoration extérieure que j’avais vue à Turin, la beauté des rues, la symétrie et l’alignement des maisons me faisaient chercher à Paris autre chose encore. Je m’étais figuré une ville aussi belle que grande, de l’aspect le plus imposant, où l’on ne voyait que de superbes rues, des palais de marbre et d’or. En entrant par le faubourg Saint-Marceau, je ne vis que de petites rues sales et puantes, de vilaines maisons noires, l’air de la malpropreté, de la pauvreté, des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses, des crieuses de tisanes et de vieux chapeaux. Tout cela me frappa d’abord à tel point, que tout ce que j’ai vu depuis à Paris de magnificence réelle n’a pu détruire cette première impression, et qu’il m’en est resté toujours un secret dégoût pour l’habitation de cette capitale. Je puis dire que tout le temps que j’y ai vécu dans la suite ne fut employé qu’à y chercher des ressources pour me mettre en état d’en vivre éloigné. Tel est le fruit d’une imagination trop active, qui exagère par-dessus l’exagération des hommes, et voit toujours plus que ce qu’on lui dit. On m’avait tant vanté Paris, que je me l’étais figuré comme l’ancienne Babylone, dont je trouverais peut-être autant à rabattre, si je l’avais vue, du portrait que je m’en suis fait. La même chose m’arriva à l’Opéra, où je me pressai d’aller le lendemain de mon arrivée; la même chose m’arriva dans la suite à Versailles; dans la suite encore en voyant la mer; et la même chose m’arrivera toujours en voyant des spectacles qu’on m’aura trop annoncés: car il est impossible aux hommes et difficile à la nature elle-même de passer en richesse mon imagination.

      À la manière dont je fus reçu de tous ceux pour qui j’avais des lettres, je crus ma fortune faite. Celui à qui j’étais le plus recommandé, et qui me caressa le moins, était M. de Surbeck, retiré du service et vivant philosophiquement à Bagneux, où je fus le voir plusieurs fois, et où jamais il ne m’offrit un verre d’eau. J’eus plus d’accueil de Mme de Merveilleux, belle-sœur de l’interprète, et de son neveu, officier aux gardes: non seulement la mère et le fils me reçurent bien, mais ils m’offrirent leur table, dont je profitai souvent durant mon séjour à Paris. Mme de Merveilleux me parut avoir été belle; ses cheveux étaient d’un beau noir, et faisaient, à la vieille mode, le crochet sur ses tempes. Il lui restait ce qui ne périt point avec les attraits, un esprit très agréable. Elle me parut goûter le mien, et fit tout ce qu’elle put pour me rendre service; mais personne ne la seconda, et je fus bientôt désabusé de tout ce grand intérêt qu’on avait paru prendre à moi. Il faut pourtant rendre justice aux Français: ils ne s’épuisent point tant qu’on dit en protestations, et celles qu’ils font sont presque toujours sincères; mais ils ont une manière de paraître s’intéresser à vous qui trompe plus que des paroles. Les gros compliments des Suisses n’en peuvent imposer qu’à des sots: les manières des Français sont plus séduisantes en cela même qu’elles sont plus simples; on croirait qu’ils ne vous disent pas tout ce qu’ils veulent faire, pour vous surprendre plus agréablement. Je dirai plus: ils ne sont point faux dans leurs démonstrations; ils sont naturellement officieux, humains, bienveillants, et même, quoi qu’on en dise, plus vrais qu’aucune autre nation; mais ils sont légers et volages. Ils ont en effet le sentiment qu’ils vous témoignent, mais ce sentiment s’en va comme il est venu. En vous parlant, ils sont pleins de vous; ne vous voient-ils plus, ils vous oublient. Rien n’est permanent dans leur cœur: tout est chez eux l’œuvre du moment.

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