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La religieuse. Dénis DiderotЧитать онлайн книгу.

La religieuse - Dénis Diderot


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ressource.

      – Mais, si je ne trouve point un époux, est-il nécessaire que je m'enferme dans un couvent?

      – À moins que vous ne veuillez perpétuer ma douleur et mes remords, jusqu'à ce que j'aie les yeux fermés. Il faut que j'y vienne; vos sœurs, dans ce moment terrible, seront autour de mon lit: voyez si je pourrai vous voir au milieu d'elles; quel serait l'effet de votre présence dans ces derniers moments! Ma fille, car vous l'êtes malgré moi, vos sœurs ont obtenu des lois un nom que vous tenez du crime, n'affligez pas une mère qui expire; laissez-la descendre paisiblement au tombeau: qu'elle puisse se dire à elle-même, lorsqu'elle sera sur le point de paraître devant le grand juge, qu'elle a réparé sa faute autant qu'il était en elle, qu'elle puisse se flatter qu'après sa mort vous ne porterez point le trouble dans la maison, et que vous ne revendiquerez pas des droits que vous n'avez point.

      – Maman, lui dis-je, soyez tranquille là-dessus; faites venir un homme de loi; qu'il dresse un acte de renonciation; et je souscrirai à tout ce qu'il vous plaira.

      – Cela ne se peut: un enfant ne se déshérite pas lui-même; c'est le châtiment d'un père et d'une mère justement irrités. S'il plaisait à Dieu de m'appeler demain, demain il faudrait que j'en vinsse à cette extrémité, et que je m'ouvrisse à mon mari, afin de prendre de concert les mêmes mesures. Ne m'exposez point à une indiscrétion qui me rendrait odieuse à ses yeux, et qui entraînerait des suites qui vous déshonoreraient. Si vous me survivez, vous resterez sans nom, sans fortune et sans état; malheureuse! dites-moi ce que vous deviendrez: quelles idées voulez-vous que j'emporte en mourant? Il faudra donc que je dise à votre père… Que lui dirai-je? Que vous n'êtes pas son enfant!.. Ma fille, s'il ne fallait que se jeter à vos pieds pour obtenir de vous… Mais vous ne sentez rien; vous avez l'âme inflexible de votre père…»

      En ce moment, M. Simonin entra; il vit le désordre de sa femme; il l'aimait; il était violent; il s'arrêta tout court, et tournant sur moi des regards terribles, il me dit:

      «Sortez!»

      S'il eût été mon père, je ne lui aurais pas obéi, mais il ne l'était pas.

      Il ajouta, en parlant au domestique qui m'éclairait:

      «Dites-lui qu'elle ne reparaisse plus.»

      Je me renfermai dans ma petite prison. Je rêvai à ce que ma mère m'avait dit; je me jetai à genoux, je priai Dieu qu'il m'inspirât; je priai longtemps; je demeurai le visage collé contre terre; on n'invoque presque jamais la voix du ciel, que quand on ne sait à quoi se résoudre; et il est rare qu'alors elle ne nous conseille pas d'obéir. Ce fut le parti que je pris. «On veut que je sois religieuse; peut-être est-ce aussi la volonté de Dieu. Eh bien! je le serai, puisqu'il faut que je sois malheureuse, qu'importe où je le sois!..» Je recommandai à celle qui me servait de m'avertir quand mon père serait sorti. Dès le lendemain je sollicitai un entretien avec ma mère; elle me fit répondre qu'elle avait promis le contraire à M. Simonin, mais que je pouvais lui écrire avec un crayon qu'on me donna. J'écrivis donc sur un bout de papier (ce fatal papier s'est retrouvé, et l'on ne s'en est que trop bien servi contre moi):

      «Maman, je suis fâchée de toutes les peines que je vous ai causées; je vous en demande pardon: mon dessein est de les finir. Ordonnez de moi tout ce qu'il vous plaira; si c'est votre volonté que j'entre en religion, je souhaite que ce soit aussi celle de Dieu…»

      La servante prit cet écrit, et le porta à ma mère. Elle remonta un moment après, et elle me dit avec transport:

      «Mademoiselle, puisqu'il ne fallait qu'un mot pour faire le bonheur de votre père, de votre mère et le vôtre, pourquoi l'avoir différé si longtemps? Monsieur et madame ont un visage que je ne leur ai jamais vu depuis que je suis ici: ils se querellaient sans cesse à votre sujet; Dieu merci, je ne verrai plus cela…»

      Tandis qu'elle me parlait, je pensais que je venais de signer mon arrêt de mort, et ce pressentiment, monsieur, se vérifiera, si vous m'abandonnez.

      Quelques jours se passèrent, sans que j'entendisse parler de rien; mais un matin, sur les neuf heures, ma porte s'ouvrit brusquement; c'était M. Simonin qui entrait en robe de chambre et en bonnet de nuit. Depuis que je savais qu'il n'était pas mon père, sa présence ne me causait que de l'effroi. Je me levai, je lui fis la révérence. Il me sembla que j'avais deux cœurs: je ne pouvais penser à ma mère sans m'attendrir, sans avoir envie de pleurer; il n'en était pas ainsi de M. Simonin. Il est sûr qu'un père inspire une sorte de sentiments qu'on n'a pour personne au monde que lui: on ne sait pas cela, sans s'être trouvé comme moi vis-à-vis de l'homme qui a porté longtemps, et qui vient de perdre cet auguste caractère; les autres l'ignoreront toujours. Si je passais de sa présence à celle de ma mère, il me semblait que j'étais une autre. Il me dit:

      «Suzanne, reconnaissez-vous ce billet?

      – Oui, monsieur.

      – L'avez-vous écrit librement?

      – Je ne saurais dire qu'oui.

      – Êtes-vous du moins résolue à exécuter ce qu'il promet?

      – Je le suis.

      – N'avez-vous de prédilection pour aucun couvent?

      – Non, ils me sont indifférents.

      – Il suffit.»

      Voilà ce que je répondis; mais malheureusement cela ne fut point écrit. Pendant une quinzaine d'une entière ignorance de ce qui se passait, il me parut qu'on s'était adressé à différentes maisons religieuses, et que le scandale de ma première démarche avait empêché qu'on ne me reçût postulante. On fut moins difficile à Longchamp; et cela, sans doute, parce qu'on insinua que j'étais musicienne, et que j'avais de la voix11. On m'exagéra bien les difficultés qu'on avait eues, et la grâce qu'on me faisait de m'accepter dans cette maison: on m'engagea même à écrire à la supérieure. Je ne sentais pas les suites de ce témoignage écrit qu'on exigeait: on craignait apparemment qu'un jour je ne revinsse contre mes vœux; on voulait avoir une attestation de ma propre main qu'ils avaient été libres. Sans ce motif, comment cette lettre, qui devait rester entre les mains de la supérieure, aurait-elle passé dans la suite entre les mains de mes beaux-frères? Mais fermons vite les yeux là-dessus; ils me montrent M. Simonin comme je ne veux pas le voir: il n'est plus.

      Je fus conduite à Longchamp; ce fut ma mère qui m'accompagna. Je ne demandai point à dire adieu à M. Simonin; j'avoue que la pensée ne m'en vint qu'en chemin. On m'attendait; j'étais annoncée, et par mon histoire et par mes talents: on ne me dit rien de l'une; mais on fut très-pressé de voir si l'acquisition qu'on faisait en valait la peine. Lorsqu'on se fut entretenu de beaucoup de choses indifférentes, car après ce qui m'était arrivé, vous pensez bien qu'on ne parla ni de Dieu, ni de vocation, ni des dangers du monde, ni de la douceur de la vie religieuse, et qu'on ne hasarda pas un mot des pieuses fadaises dont on remplit ces premiers moments, la supérieure dit: «Mademoiselle, vous savez la musique, vous chantez; nous avons un clavecin; si vous vouliez, nous irions dans notre parloir…» J'avais l'âme serrée, mais ce n'était pas le moment de marquer de la répugnance; ma mère passa, je la suivis; la supérieure ferma la marche avec quelques religieuses que la curiosité avait attirées. C'était le soir; on m'apporta des bougies; je m'assis, je me mis au clavecin; je préludai longtemps, cherchant un morceau de musique dans la tête, que j'en ai pleine, et n'en trouvant point; cependant la supérieure me pressa, et je chantai sans y entendre finesse, par habitude, parce que le morceau m'était familier: Tristes apprêts, pâles flambeaux, jour plus affreux que les ténèbres, etc.12 Je ne sais ce que cela produisit; mais on ne m'écouta pas longtemps: on m'interrompit par des éloges, que je fus bien surprise d'avoir mérités si promptement et à si peu de frais. Ma mère me remit entre les mains de la supérieure, me donna sa main à baiser, et s'en retourna.

      Me voilà donc dans une autre maison religieuse, et postulante, et avec toutes les apparences de postuler de mon plein gré. Mais vous, monsieur, qui connaissez jusqu'à ce moment tout ce qui s'est passé, qu'en pensez-vous? La plupart de ces choses ne furent


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<p>11</p>

L'abbaye de Longchamp attirait les Parisiens les mercredi, jeudi et vendredi de la semaine sainte par ses offices chantés. La supérieure, qui mettait de la coquetterie à avoir les plus belles voix, n'hésitait pas à emprunter, pour ces circonstances, les chœurs de l'Opéra. La Le Maure, dont parle Diderot dans les Bijoux indiscrets, avait fait profession dans cette maison, et y revoyait ainsi une fois par an ses anciennes compagnes.

<p>12</p>

Air de Telaïre, dans Castor et Pollux, tragédie lyrique de Bernard, musique de Rameau (1737). Il était chanté par Mlle Arnould.

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