Les bijoux indiscrets. Dénis DiderotЧитать онлайн книгу.
l'Académie royale de Banza, membre de la société royale de Monoémugi, de l'académie impériale de Biafara, de l'académie des curieux de Loango, de la société de Camur au Monomotapa, de l'institut d'Érecco, et des académies royales de Béléguanze et d'Angola, qui fait depuis plusieurs années des cours de babioles avec les applaudissements de la cour, de la ville et de la province, a inventé, en faveur du beau sexe, des muselières ou bâillons portatifs, qui ôtent aux bijoux l'usage de la parole, sans gêner leurs fonctions naturelles. Ils sont propres et commodes; il en a de toute grandeur, pour tout âge et à tout prix; et il a eu l'honneur d'en fournir aux personnes de la première distinction.»
Il n'est rien tel que d'être d'un corps. Quelque ridicule que soit un ouvrage, on le prône, et il réussit. C'est ainsi que l'invention d'Éolipile fit fortune. On courut en foule chez lui: les femmes galantes y allèrent dans leur équipage; les femmes raisonnables s'y rendirent en fiacre; les dévotes y envoyèrent leur confesseur ou leur laquais: on y vit même arriver des tourières. Toutes voulaient avoir une muselière; et depuis la duchesse jusqu'à la bourgeoise, il n'y eut femme qui n'eût la sienne, ou par air ou pour cause.
Les bramines, qui avaient annoncé le caquet des bijoux comme une punition divine, et qui s'en étaient promis de la réforme dans les mœurs et d'autres avantages, ne virent point sans frémir une machine qui trompait la vengeance du ciel et leurs espérances. Ils étaient à peine descendus de leurs chaires, qu'ils y remontent, tonnent, éclatent, font parler les oracles, et prononcent que la muselière est une machine infernale, et qu'il n'y a point de salut pour quiconque s'en servira. «Femmes mondaines, quittez vos muselières; soumettez-vous, s'écrièrent-ils, à la volonté de Brama. Laissez à la voix de vos bijoux réveiller celle de vos consciences; et ne rougissez point d'avouer des crimes que vous n'avez point eu honte de commettre.»
Mais ils eurent beau crier, il en fut des muselières comme il en avait été des robes sans manches, et des pelisses piquées. Pour cette fois on les laissa s'enrhumer dans leurs temples. On prit des bâillons, et on ne les quitta que quand on en eut reconnu l'inutilité, ou qu'on en fut las.
CHAPITRE XVIII 38.
DES VOYAGEURS
Ce fut dans ces circonstances, qu'après une longue absence, des dépenses considérables, et des travaux inouïs, reparurent à la cour les voyageurs que Mangogul avait envoyés dans les contrées les plus éloignées pour en recueillir la sagesse; il tenait à la main leur journal, et faisait à chaque ligne un éclat de rire.
«Que lisez-vous donc de si plaisant? lui demanda Mirzoza.
– Si ceux-là, lui répondit Mangogul, sont aussi menteurs que les autres, du moins ils sont plus gais. Asseyez-vous sur ce sofa, et je vais vous régaler d'un usage des thermomètres dont vous n'avez pas la moindre idée.
«Je vous promis hier, me dit Cyclophile, un spectacle amusant…
Et qui est ce Cyclophile?
C'est un insulaire…
Et de quelle île?..
Qu'importe?..
Et à qui s'adresse-t-il?..
A un de mes voyageurs…
Vos voyageurs sont donc enfin revenus?..
Assurément; et vous l'ignoriez?
Je l'ignorais…
Ah çà, arrangeons-nous, ma reine; vous êtes quelquefois un peu bégueule. Je vous laisse la maîtresse de vous en aller lorsque ma lecture vous scandalisera.
Et si je m'en allais d'abord?
Comme il vous plaira.»
Je ne sais si Mirzoza resta ou s'en alla; mais Mangogul, reprenant le discours de Cyclophile, lut ce qui suit:
«Ce spectacle amusant, c'est celui de nos temples, et de ce qui s'y passe. La propagation de l'espèce est un objet sur lequel la politique et la religion fixent ici leur attention; et la manière dont on s'en occupe ne sera pas indigne de la vôtre. Nous avons ici des cocus: n'est-ce pas ainsi qu'on appelle dans votre langue ceux dont les femmes se laissent caresser par d'autres? Nous avons donc ici des cocus, autant et plus qu'ailleurs, quoique nous ayons pris des précautions infinies pour que les mariages soient bien assortis.
– Vous avez donc, répondis-je, le secret qu'on ignore ou qu'on néglige parmi nous, de bien assortir les époux?
– Vous n'y êtes pas, reprit Cyclophile; nos insulaires sont conformés de manière à rendre tous les mariages heureux, si l'on y suivait à la lettre les lois usitées.
– Je ne vous entends pas bien, répliquai-je; car dans notre monde rien n'est plus conforme aux lois qu'un mariage; et rien n'est souvent plus contraire au bonheur et à la raison.
– Eh bien! interrompit Cyclophile, je vais m'expliquer. Quoi! depuis quinze jours que vous habitez parmi nous, vous ignorez encore que les bijoux mâles et féminins sont ici de différentes figures? à quoi donc avez-vous employé votre temps? Ces bijoux sont de toute éternité destinés à s'agencer les uns avec les autres; un bijou féminin en écrou est prédestiné à un bijou mâle fait en vis. Entendez-vous?
– J'entends, lui dis-je; cette conformité de figure peut avoir son usage jusqu'à un certain point; mais je ne la crois pas suffisante pour assurer la fidélité conjugale.
– Que désirez-vous de plus?
– Je désirerais que, dans une contrée où tout se règle par des lois géométriques, on eût eu quelque égard au rapport de chaleur entre les conjoints. Quoi! vous voulez qu'une brune de dix-huit ans, vive comme un petit démon, s'en tienne strictement à un vieillard sexagénaire et glacé! Cela ne sera pas, ce vieillard eût-il son bijou masculin en vis sans fin…
– Vous avez de la pénétration, me dit Cyclophile. Sachez donc que nous y avons pourvu…
– Et comment cela?..
– Par une longue suite d'observations sur des cocus bien constatés…
– Et à quoi vous ont mené ces observations?
– A déterminer le rapport nécessaire de chaleur entre deux époux…
– Et ces rapports connus?
– Ces rapports connus, on gradua des thermomètres applicables aux hommes et aux femmes. Leur figure n'est pas la même; la base des thermomètres féminins ressemble à un bijou masculin d'environ huit pouces de long sur un pouce et demi de diamètre; et celle des thermomètres masculins, à la partie supérieure d'un flacon qui aurait précisément en concavité les mêmes dimensions. Les voilà, me dit-il en m'introduisant dans le temple, ces ingénieuses machines dont vous verrez tout à l'heure l'effet; car le concours du peuple et la présence des sacrificateurs m'annoncent le moment des expériences sacrées.»
Nous perçâmes la foule avec peine, et nous arrivâmes dans le sanctuaire, où il n'y avait pour autels que deux lits de damas sans rideaux. Les prêtres et les prêtresses étaient debout autour, en silence, et tenant des thermomètres dont on leur avait confié la garde, comme celle du feu sacré aux vestales. Au son des hautbois et des musettes, s'approchèrent deux couples d'amants conduits par leurs parents. Ils étaient nus; et je vis qu'une des filles avait le bijou circulaire, et son amant le bijou cylindrique.
«Ce n'est pas là merveille, dis-je à Cyclophile.
– Regardez les deux autres,» me répondit-il.
J'y portai la vue. Le jeune homme avait un bijou parallélipipède, et la fille un bijou carré.
«Soyez attentif à l'opération sainte,» ajouta Cyclophile.
Alors deux prêtres étendirent une des filles
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Ce chapitre et le suivant ont paru pour la première fois dans l'édition de Naigeon. Ces digressions, que probablement Naigeon a retrouvées dans des papiers mis au rebut, ne nous paraissent être que des brouillons rejetés avec raison par l'auteur et que son éditeur aurait bien fait de laisser où il les avait trouvés.