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Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis DiderotЧитать онлайн книгу.

Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot


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qu'elle n'arrive que dans les premiers jours de novembre. Pour moi, je ne vous attends pas plus tôt. Il nous est venu quelques virtuoses, entre lesquels M. de La Live. Mon portrait était sur le chevalet; ils en ont tous parlé comme d'une très-belle chose, et pour la ressemblance, et pour la position, et pour le dessin, pour la couleur, et pour la vie. Cependant la sœur aînée de celle qui l'a peint était debout dans un coin et pleurait de joie des éloges qu'on donnait à sa cadette.

      Nous partons tous ce soir pour Paris. J'accompagnerai d'Épinay, qui va passer au Grandval les jours que Grimm s'éloigne d'elle pour aller à la cour. Nous reviendrons mercredi, elle pour regagner la Chevrette, moi pour arranger mes paquets et ramasser de la besogne pour le reste de la saison que je passerai chez Mme d'Aine. Continuez de vous bien porter. Aimez-moi; dites-le-moi; aimez-moi tendrement; dites-le-moi souvent. La douleur s'est emparée de mon âme, et, si vous souffrez qu'elle s'y loge, je crains bien que ce ne soit à demeure. Quand j'aurais été coupable, comme votre sœur l'a cru, n'y avait-il pas un rôle plus doux, plus honnête à faire que celui de m'accuser? Adieu! Mon respect à madame votre mère. Ah! Sophie, la vie est une bien mauvaise chose pour les âmes sensibles; elles sont entourées de cailloux qui les choquent et les froissent sans cesse.

      XXXIX

Le .. septembre 1760.

      Me voilà aux mêmes lieux où j'étais l'an passé: y suis-je plus heureux? Non. Quoi donc! trente ans d'expérience du passé ne suffisent pas pour désabuser de l'avenir! La peine me surprend toujours, et lorsque le plaisir vient, il semble que je m'y sois attendu.

      Nous avons tous quitté la Chevrette dimanche au soir, et nous sommes arrivés, Mme d'Épinay et moi, lundi, entre une heure et une heure et demie, au Grandval, où nous avons trouvé le père Hoop, le Baron, M. d'Alinville, Mme d'Aine et Mme d'Holbach.

      Mme d'Aine est toujours la même. Nous avons dîné comme vous savez qu'on dîne ici; c'est la seule maison où il me faille un grand exercice le soir, et du thé le matin.

      Après dîner, les femmes sont rentrées; nous les avons abandonnées à leurs petites confidences, car c'est un besoin qui les presse, quand elles ont été quelque temps sans se voir; et nous avons tenté une longue promenade, quoique la terre fût molle, et que le ciel, qui se chargeait vers le couchant, nous menaçât d'un orage.

      Je les ai revus, ces coteaux où je suis allé tant de fois promener votre image et ma rêverie, et Chennevières qui couronne la côte, et Champigny qui la décore en amphithéâtre, et ma triste et tortueuse compatriote, la Marne.

      On nourrit à Chennevières les deux filles de Mme d'Holbach. L'aînée est belle comme un chérubin; c'est un visage rond, de grands yeux bleus, des lèvres fines, une bouche riante, la peau la plus blanche et la plus animée, des cheveux châtains qui ceignent un très-joli front. La cadette est un peleton d'embonpoint où l'on ne distingue encore que du blanc et du vermillon.

      Sur les sept heures nous étions revenus et reposés. Nos dames s'étaient déshabillées. Nous avons commencé le piquet d'institution. Après le souper, elles se sont retirées, et nous avons un peu philosophé, debout, le bougeoir à la main.

      La bonne conversation que je vous rendrais, si j'en avais le loisir! Il s'agissait des Chinois. Le père Hoop et le Baron en sont enthousiastes, et il y a de quoi l'être, si ce que l'on raconte de la sagesse de ces peuples est vrai; mais j'ai peu de foi aux nations sages.

      Entre autres choses, imaginez un peuple où les lois auraient assigné des récompenses aux actions vertueuses, et où le monarque serait subordonné à un conseil de censeurs qui le gourmanderaient quand il ferait mal, et qui écriraient son histoire de son vivant.

      Ce conseil, à la Chine, est composé de douze mandarins. Ils s'assemblent tous les jours. Il y a dans le lieu de leur assemblée un grand coffre cerclé de fer et percé en dessus d'une couverture par laquelle on jette les mémoires paraphés qui serviront à l'histoire du règne. Ces mémoires forment déjà une collection de trois à quatre cents volumes.

      Le père de celui qui gouverne à présent voulut savoir comment il était traité dans ces mémoires. Cette curiosité est d'un méchant; un homme de bien ne l'aurait point eue. Il fit ouvrir le coffre sacré, et il trouva que l'injustice de son administration y était peinte des couleurs les plus fortes. Aussitôt il entre en fureur; il appelle le chef du conseil, lui reproche sa témérité et lui fait couper la tête. Cette atrocité ne fût pas oubliée dans les mémoires déposés le jour suivant, et le nouveau président du conseil eut encore la tête coupée; celui qui succéda subit le même sort. Le quatrième se transporta devant la bête féroce; il était précédé d'un esclave qui portait son cercueil; et voici comment il parla: «Tu vois que je ne crains pas la mort, car voilà la bière et ma tête. C'est en vain que tu espères imposer silence à la vérité; il restera toujours une voix qui parlera malgré toi. Ordonne qu'on me frappe; j'aime mieux être mort que de vivre sous un maître qui a résolu d'égorger tous les honnêtes gens de son empire.»

      Le monarque, frappé de l'intrépidité de ce mandarin, s'arrêta et devint meilleur; et quand il fût meilleur, je gage qu'il ne fit plus ouvrir le coffre.

      C'est à vous, chère amie, que je rapporte mes actions les plus indifférentes; si j'entends quelque chose qui me plaise, il me semble que ce soit pour vous en faire part que ma mémoire veut bien s'en charger.

      On dit encore à l'honneur des Chinois d'autres choses qu'on ne me trouva pas disposé à croire. Je prétendis que les hommes étaient presque les mêmes partout, qu'il fallait s'attendre aux mêmes vices et aux mêmes vertus.

      (Le reste de la lettre manque.)

      XL

Le 27 septembre 1760.

      (Les huit premières pages de la lettre manquent.)

      Si le portrait admirable est plus ressemblant que celui que vous avez? Il n'y a pas de comparaison. J'ai dans le vôtre un petit air fade, doucereux et malade; dans celui qu'on a fait, je vis, je pense, je réfléchis. Ceux qui me connaissent se récrient; ceux qui ne me connaissent pas en font autant. C'est que c'est une belle chose, dont le mérite de la ressemblance, qui est parfaite, est pourtant le moindre. La tête est tout entière hors de la toile, elle est nue; vous seriez tentée d'aller passer vos bras par derrière pour l'embrasser et la baiser. Ces yeux pleins de feu regardent au loin. Oui, il est en grand, on m'y voit jusqu'au milieu du corps; une main posée contre le visage soutient la tête; et le bras de cette main est soutenu par l'autre bras dont la main est placée sous le coude du premier. Hélas! non, je ne l'aurai pas, celui de mon ami! on en a fait deux, un grand et un petit; on garde le petit, et l'on regrette l'autre, qui est destiné pour un frère qui est à Francfort ou à Vienne. Je crois vous avoir déjà dit tout cela, mais vous n'y entendez rien. Ce n'est pas lui qui se fait peindre pour elle, c'est elle qui le fait peindre pour elle et pour lui.

      Nous arrivons à cinq heures; il avait oublié le rendez-vous. J'ai su cela le lendemain; on en avait la larme à l'œil, et tout en pleurant on disait: C'est que ses affaires l'occupent si fort, qu'il ne peut penser à rien; c'est qu'il est bien à plaindre et moi aussi; et on l'excusait avec une bonté qui me touchait infiniment. Pour moi, je me taisais; et elle disait: Mais vous ne me dites rien, philosophe! est-ce que vous croyez qu'il ne m'aime pas? Que diable voulez-vous qu'on réponde à cela! dire la vérité, cela ne se peut; mentir, il le faut bien. Laissons-la du moins dans son erreur; le moment qui la détromperait serait peut-être le dernier de sa vie. C'est cette Sophie-là d'Isle qui est aimée! c'est cet homme-là de la rue Neuve-du-Luxembourg qui est aimé! Adieu. Je vous embrasse. Je vais écrire un mot à M. Gillet. Dieu veuille que vous puissiez déchiffrer ce griffonnage, du moins aux endroits où je vous peins ma tendresse! Laissez là les autres, ils ne valent pas la peine que vous vous usiez les yeux. En présentant mon respect à madame votre mère, dites-lui que je lui prépare un cadeau: c'est un Mémoire d'expériences sur le blé noirci qui ont été faites par un laboureur du Vexin et que le gouvernement a fait imprimer à ses frais79. L'histoire du czar Pierre va paraître80; incessamment nous en aurons des exemplaires. Dites-moi si vous voulez que je vous


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<p>79</p>

Mémoire concernant le détail et le résultat d'un grand nombre d'expériences faites l'année dernière par un laboureur du Vexin pour parvenir à connaître ce qui produit le blé noir, et les remèdes propres à détruire cette corruption. Paris, Impr. royale, 1760. (Par de Gonfreville, fermier de Sieurey, près Vernon.) Grimm en rend compte au mois de novembre 1760 de sa Correspondance.

<p>80</p>

Le premier volume de l'Histoire de l'empire de Russie sous Pierre le Grand, par Voltaire, parut en 1760.

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