Жерминаль. Книга для чтения на французском языке. Эмиль ЗоляЧитать онлайн книгу.
tandis que Lydie, respectueusement, venait à distance. Catherine suivait avec Zacharie et Étienne. Aucun ne parlait. Et ce fut seulement devant le cabaret de l’Avantage, que Maheu et Levaque les rejoignirent.
– Nous y sommes, dit le premier à Étienne. Voulez-vous entrer?
On se sépara. Catherine était restée un instant immobile, regardant une dernière fois le jeune homme de ses grands yeux, d’une limpidité verdâtre d’eau de source, et dont le visage noir creusait encore le cristal. Elle sourit, elle disparut avec les autres, sur le chemin montant qui conduisait au coron.
Le cabaret se trouvait entre le village et la fosse, au croisement des deux routes. C’était une maison de briques à deux étages, blanchie du haut en bas à la chaux, égayée autour des fenêtres d’une large bordure bleu ciel. Sur une enseigne carrée, clouée au-dessus de la porte, on lisait en lettres jaunes: A l’Avantage, débit tenu par Rasseneur. Derrière, s’allongeait un jeu de quilles, clos d’une haie vive. Et la Compagnie, qui avait tout fait pour acheter ce lopin, enclavé dans ses vastes terres, était désolée de ce cabaret, poussé en plein champ, ouvert à la sortie même du Voreux.
– Entrez, répéta Maheu à Étienne.
La salle, petite, avait une nudité claire, avec ses murs blancs, ses trois tables et sa douzaine de chaises, son comptoir de sapin, grand comme un buffet de cuisine. Une dizaine de chopes au plus étaient là, trois bouteilles de liqueur, une carafe, une petite caisse de zinc à robinet d’étain, pour la bière; et rien autre, pas une image, pas une tablette, pas un jeu. Dans la cheminée de fonte, vernie et luisante, brûlait doucement une pâtée de houille. Sur les dalles, une fine couche de sable blanc buvait l’humidité continuelle de ce pays trempé d’eau.
– Une chope, commanda Maheu à une grosse fille blonde, la fille d’une voisine qui parfois gardait la salle. Rasseneur est là?
La fille tourna le robinet, en répondant que le patron allait revenir. Lentement, d’un seul trait, le mineur vida la moitié de la chope, pour balayer les poussières qui lui obstruaient la gorge. Il n’offrit rien à son compagnon. Un seul consommateur, un autre mineur mouillé et barbouillé, était assis devant une table et buvait sa bière en silence, d’un air de profonde méditation. Un troisième entra, fut servi sur un geste, paya et s’en alla, sans avoir dit un mot.
Mais un gros homme de trente-huit ans, rasé, la figure ronde, parut avec un sourire débonnaire. C’était Rasseneur, un ancien haveur que la Compagnie avait congédié depuis trois ans, à la suite d’une grève. Très bon ouvrier, il parlait bien, se mettait à la tête de toutes les réclamations, avait fini par être le chef des mécontents. Sa femme tenait déjà un débit, ainsi que beaucoup de femmes de mineurs; et, quand il fut jeté sur le pavé, il resta cabaretier lui-même, trouva de l’argent, planta son cabaret en face du Voreux, comme une provocation à la Compagnie. Maintenant, sa maison prospérait, il devenait un centre, il s’enrichissait des colères qu’il avait peu à peu soufflées au coeur de ses anciens camarades.
– C’est ce garçon que j’ai embauché ce matin, expliqua Maheu tout de suite. As-tu une de tes deux chambres libre, et veux-tu lui faire crédit d’une quinzaine?
La face large de Rasseneur exprima subitement une grande défiance. Il examina d’un coup d’oeil Étienne et répondit, sans se donner la peine de témoigner un regret:
– Mes deux chambres sont prises. Pas possible.
Le jeune homme s’attendait à ce refus; et il en souffrit pourtant, il s’étonna du brusque ennui qu’il éprouvait à s’éloigner. N’importe, il s’en irait, quand il aurait ses trente sous. Le mineur qui buvait à une table était parti. D’autres, un à un, entraient toujours se décrasser la gorge, puis se remettaient en marche du même pas déhanché. C’était un simple lavage, sans joie ni passion, le muet contentement d’un besoin.
– Alors, il n’y a rien? demanda d’un ton particulier Rasseneur à Maheu, qui achevait sa bière à petits coups.
Celui-ci tourna la tête et vit qu’Étienne seul était là.
– Il y a qu’on s’est chamaillé encore… Oui, pour le boisage.
Il conta l’affaire. La face du cabaretier avait rougi, une émotion sanguine la gonflait, lui sortait en flammes de la peau et des yeux. Enfin, il éclata.
– Ah bien! s’ils s’avisent de baisser les prix, ils sont fichus.
Étienne le gênait. Cependant, il continua, en lui lançant des regards obliques. Et il avait des réticences, des sous-entendus, il parlait du directeur, M. Hennebeau, de sa femme, de son neveu le petit Négrel, sans les nommer, répétant que ça ne pouvait pas continuer ainsi, que ça devait casser un de ces quatre matins. La misère était trop grande, il cita les usines qui fermaient, les ouvriers qui s’en allaient. Depuis un mois, il donnait plus de six livres de pain par jour. On lui avait dit, la veille, que M. Deneulin, le propriétaire d’une fosse voisine, ne savait comment tenir le coup. Du reste, il venait de recevoir une lettre de Lille, pleine de détails inquiétants.
– Tu sais, murmura-t-il, ça vient de cette personne que tu as vue ici un soir.
Mais il fut interrompu. Sa femme entrait à son tour, une grande femme maigre et ardente, le nez long, les pommettes violacées. Elle était en politique beaucoup plus radicale que son mari.
– La lettre de Pluchart, dit-elle. Ah! s’il était le maître, celui-là, ça ne tarderait pas à mieux aller!
Étienne écoutait depuis un instant, comprenait, se passionnait, à ces idées de misère et de revanche.
Ce nom, jeté brusquement, le fit tressaillir. Il dit tout haut, comme malgré lui:
– Je le connais, Pluchart.
On le regardait, il dut ajouter:
– Oui, je suis machineur, il a été mon contremaître, à Lille… Un homme capable, j’ai causé souvent avec lui.
Rasseneur l’examinait de nouveau; et il y eut, sur son visage, un changement rapide, une sympathie soudaine. Enfin, il dit à sa femme:
– C’est Maheu qui m’amène Monsieur, un herscheur à lui, pour voir s’il n’y a pas une chambre en haut, et si nous ne pourrions pas faire crédit d’une quinzaine.
Alors, l’affaire fut conclue en quatre paroles. Il y avait une chambre, le locataire était parti le matin. Et le cabaretier, très excité, se livra davantage, tout en répétant qu’il demandait seulement le possible aux patrons, sans exiger, comme tant d’autres, des choses trop dures à obtenir. Sa femme haussait les épaules, voulait son droit, absolument.
– Bonsoir, interrompit Maheu. Tout ça n’empêchera pas qu’on descende, et tant qu’on descendra, il y aura du monde qui en crèvera… Regarde, te voilà gaillard, depuis trois ans que tu en es sorti.
– Oui, je me suis beaucoup refait, déclara Rasseneur complaisamment.
Étienne alla jusqu’à la porte, remerciant le mineur qui partait; mais celui-ci hochait la tête, sans ajouter un mot, et le jeune homme le regarda monter péniblement le chemin du coron. Mme Rasseneur, en train de servir des clients, venait de le prier d’attendre une minute, pour qu’elle le conduisît à sa chambre, où il se débarbouillerait. Devait-il rester? Une hésitation l’avait repris, un malaise qui lui faisait regretter la liberté des grandes routes, la faim au soleil, soufferte avec la joie d’être son maître. Il lui semblait qu’il avait vécu là des années, depuis son arrivée sur le terri, au milieu des bourrasques, jusqu’aux heures passées sous la terre, à plat ventre dans les galeries noires. Et il lui répugnait de recommencer, c’était injuste et trop dur, son orgueil d’homme se révoltait, à l’idée d’être une bête qu’on aveugle et qu’on écrase.
Pendant qu’Étienne se débattait ainsi, ses yeux, qui erraient sur la plaine immense, peu à peu l’aperçurent. Il s’étonna, il ne s’était pas figuré l’horizon de la sorte, lorsque le vieux Bonnemort le lui avait indiqué du geste, au fond des ténèbres. Devant