Actes et Paroles, Volume 1. Victor HugoЧитать онлайн книгу.
et il dit: C'est bien.
Tout de suite, le 15 juin, il monta a la tribune, et il protesta. A partir de ce jour, la jonction fut faite dans son ame entre la republique et la liberte. A partir de ce jour, sans treve, sans relache, presque sans reprise d'haleine, opiniatrement, pied a pied, il lutta pour ces deux grandes calomniees. Enfin, le 2 decembre 1851, ce qu'il attendait, il l'eut; vingt ans d'exil.
Telle est l'histoire de ce qu'on a appele son apostasie.
VII
1849. Grande date pour lui.
Alors commencerent les luttes tragiques.
Il y eut de memorables orages; l'avenir attaquait, le passe resistait.
A cette etrange epoque le passe etait tout-puissant. Il etait omnipotent, ce qui ne l'empechait pas d'etre mort. Effrayant fantome combattant.
Toutes les questions se presenterent; independance nationale, liberte individuelle, liberte de conscience, liberte de pensee, liberte de parole, liberte de tribune et de presse, question du mariage dans la femme, question de l'education dans l'enfant, droit au travail a propos du salaire, droit a la patrie a propos de la deportation, droit a la vie a propos de la reforme du code, penalite decroissante par l'education croissante, separation de l'eglise et de l'etat, la propriete des monuments, eglises, musees, palais dits royaux, rendue a la nation, la magistrature restreinte, le jury augmente, l'armee europeenne licenciee par la federation continentale, l'impot de l'argent diminue, l'impot du sang aboli, les soldats retires au champ de bataille et restitues au sillon comme travailleurs, les douanes supprimees, les frontieres effacees, les isthmes coupes, toutes les ligatures disparues, aucune entrave a aucun progres, les idees circulant dans la civilisation comme le sang dans l'homme. Tout cela fut debattu, propose, impose parfois. On trouvera ces luttes dans ce livre.
L'homme qui esquisse en ce moment sa vie parlementaire, entendant un jour les membres de la droite exagerer le droit du pere, leur jeta ce mot inattendu, le droit de l'enfant. Un autre jour, sans cesse preoccupe du peuple et du pauvre, il les stupefia par cette affirmation: On peut detruire la misere.
C'est une vie violente que celle des orateurs. Dans les assemblees ivres de leur triomphe et de leur pouvoir, les minorites etant les trouble-fete sont les souffre-douleurs. C'est dur de rouler cet inexorable rocher de Sisyphe, le droit; on le monte, il retombe. C'est la l'effort des minorites.
La beaute du devoir s'impose; une fois qu'on l'a comprise, on lui obeit, plus d'hesitation; le sombre charme du devouement attire les consciences, et l'on accepte les epreuves avec une joie severe. L'approche de la lumiere a cela de terrible qu'elle devient flamme. Elle eclaire d'abord, rechauffe ensuite, et devore enfin. N'importe, on s'y precipite. On s'y ajoute. On augmente cette clarte du rayonnement de son propre sacrifice; bruler, c'est briller; quiconque souffre pour la verite la demontre.
Huer avant de proscrire, c'est le procede ordinaire des majorites furieuses; elles preludent a la persecution materielle par la persecution morale, l'imprecation commence ce que l'ostracisme achevera; elles parent la victime pour l'immolation avec toute la rhetorique de l'injure; et elles l'outragent, c'est leur facon de la couronner.
Celui qui parle ici traversa ces diverses facons d'agir, et n'eut qu'un merite, le dedain. Il fit son devoir, et, ayant pour salaire l'affront, il s'en contenta.
Ce qu'etaient ces affronts, on le verra en lisant ce recueil de verites insultees.
En veut-on quelques exemples?
Un jour, le 17 juillet 1851, il denonca a la tribune la conspiration de Louis Bonaparte, et declara que le president voulait se faire empereur. Une voix lui cria:
– Vous etes un infame calomniateur!
Cette voix a depuis prete serment a l'empire moyennant trente mille francs par an.
Une autre fois, comme il combattait la feroce loi de deportation, une voix lui jeta cette interruption:
– Et dire que ce discours coutera vingt-cinq francs a la France!
Cet interrupteur-la aussi a ete senateur de l'empire.
Une autre fois, on ne sait qui, senateur egalement plus tard, l'apostrophait ainsi:
– Vous etes l'adorateur du soleil levant!
Du soleil levant de l'exil, oui.
Le jour ou il dit a la tribune ce mot que personne encore n'y avait prononce: les Etats-Unis d'Europe, M. Mole fut remarquable. Il leva les yeux au ciel, se dressa debout, traversa toute la salle, fit signe aux membres de la majorite de le suivre, et sortit. On ne le suivit pas, il rentra. Indigne.
Parfois les huees et les eclats de rire duraient un quart d'heure.
L'orateur qui parle ici en profitait pour se recueillir.
Pendant l'insulte, il s'adossait au mur de la tribune et meditait.
Ce meme 17 juillet 1851 fut le jour ou il prononca le mot: "Napoleon le Petit". Sur ce mot, la fureur de la majorite fut telle et eclata en de si menacantes rumeurs, que cela s'entendait du dehors et qu'il y avait foule sur le pont de la Concorde pour ecouter ce bruit d'orage.
Ce jour-la, il monta a la tribune, croyant y rester vingt minutes, il y resta trois heures.
Pour avoir entrevu et annonce le coup d'etat, tout le futur senat du futur empire le declara "calomniateur". Il eut contre lui tout le parti de l'ordre et toutes les nuances conservatrices, depuis M. de Falloux, catholique, jusqu'a M. Vieillard, athee.
Etre un contre tous, cela est quelquefois laborieux.
Il ripostait dans l'occasion, tachant de rendre coup pour coup.
Une fois a propos d'une loi d'education clericale cachant l'asservissement des etudes sous cette rubrique, liberte de l'enseignement, il lui arriva de parler du moyen age, de l'inquisition, de Savonarole, de Giordano Bruno, et de Campanella applique vingt-sept fois a la torture pour ses opinions philosophiques, les hommes de la droite lui crierent:
– A la question!
Il les regarda fixement, et leur dit:
– Vous voudriez bien m'y mettre.
Cela les fit taire.
Un autre jour, je repliquais a je ne sais quelle attaque d'un Montalembert quelconque, la droite entiere s'associa a l'attaque, qui etait, cela va sans dire, un mensonge, quel mensonge? je l'ai oublie, on trouvera cela dans ce livre; les cinq cents myopes de la majorite s'ajouterent a leur orateur, lequel n'etait pas du reste sans quelque valeur, et avait l'espece de talent possible a une ame mediocre; on me donna l'assaut a la tribune, et j'y fus quelque temps comme aboye par toutes les vociferations folles et pardonnables de la colere inconsciente; c'etait un vacarme de meute; j'ecoutais ce tumulte avec indulgence, attendant que le bruit cessat pour continuer ce que j'avais a dire; subitement, il y eut un mouvement au banc des ministres; c'etait le duc de Montebello, ministre de la marine, qui se levait; le duc quitta sa place, ecarta frenetiquement les huissiers, s'avanca vers moi et me jeta une phrase qu'il comprenait peut-etre et qui avait evidemment la volonte d'etre hostile; c'etait quelque chose comme: Vous etes un empoisonneur public! Ainsi caracterise a bout portant et effleure par cette intention de meurtrissure, je fis un signe de la main, les clameurs s'interrompirent, on est furieux mais curieux, on se tut, et, dans ce silence d'attente, de ma voix la plus polie, je dis:
– Je ne m'attendais pas, je l'avoue, a recevoir le coup de pied de…
Le silence redoubla et j'ajoutai:
– …monsieur de Montebello.
Et la tempete s'acheva par un rire qui, cette fois, ne fut pas contre moi.
Ces choses-la ne sont pas toujours au Moniteur. Habituellement la droite avait beaucoup de verve.
– Vous ne parlez pas francais! – Portez cela a la Porte-Saint-Martin! – Imposteur! – Corrupteur! – Apostat! – Renegat! – Buveur de sang! – Bete feroce! – Poete!
Tel etait le crescendo.
Injure, ironie, sarcasme, et ca et la la calomnie, S'en facher, pourquoi? Washington, traite