Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1). VoltaireЧитать онлайн книгу.
plus, elles récompensent la Vertu. Le bruit d'une action généreuse et rare se répand-il dans une Province, le Mandarin est obligé d'en avertir l'Empereur, et l'Empereur envoie une marque d'honneur à celui qui l'a si bien mérité. Cette Morale, cette obéissance aux Lois, jointe à l'adoration d'un Être suprême, forment la Religion de la Chine, celle des Empereurs et des Lettrés. L'Empereur est de temps immémorial le premier Pontife, c'est lui qui sacrifie au Tien, au Souverain du Ciel et de la Terre. Il doit être le premier Philosophe, le premier Prédicateur de l'Empire; ses Édits sont presque toujours des instructions qui animent à la vertu.
Congfutsée que nous appelons Confucius, qui vivait il y a 2300 ans, un peu avant Pythagore, rétablit cette Religion, laquelle consiste à être juste. Il l'enseigna et la pratiqua dans la grandeur, dans l'abaissement, tantôt premier Ministre du Roi tributaire de l'Empereur, tantôt exilé, fugitif et pauvre. Il eut de son vivant 5000 disciples, et après sa mort ses disciples furent les Empereurs, les Colao, c'est-à-dire les Mandarins, les Lettrés, et tout ce qui n'est pas peuple.
Sa famille subsiste encore, et dans un Pays où il n'y a d'autre Noblesse que celle des services actuels, elle est distinguée des autres familles en mémoire de son Fondateur: pour lui, il a tous les honneurs, non pas les honneurs divins qu'on ne doit à aucun homme, mais ceux que mérite un homme, qui a donné de la Divinité les idées les plus saines que puisse former l'esprit humain sans Révélation.
Quelque temps avant lui, Lao-Kum avait introduit une Secte, qui croit aux Esprits malins, aux Enchantements, aux Prestiges. Une Secte semblable à celle d'Épicure fut reçue et combattue à la Chine 500 ans avant JÉSUS-CHRIST: mais dans le premier Siècle de notre Ère, ce Pays fut inondé de la superstition des Bonzes. Ils apportèrent des Indes l'idole de Fo ou de Foé, adoré sous différents noms par les Japonais et les Tartares, prétendu Dieu descendu sur la Terre, à qui on rend le culte le plus ridicule, et par conséquent le plus fait pour le Vulgaire. Cette Religion née dans les Indes près de mille ans avant JÉSUS-CHRIST, a infecté l'Asie orientale; c'est ce Dieu que prêchent les Bonzes à la Chine, les Talapoins à Siam, les Lamas en Tartarie. C'est en son nom qu'ils promettent une vie éternelle, et que des milliers de Bonzes consacrent leurs jours à des exercices de pénitence, qui effrayent la nature. Quelques-uns passent leur vie nus et enchaînés; d'autres portent un carcan de fer, qui plie leurs corps en deux et tient leur front toujours baissé à terre. Leur fanatisme se subdivise à l'infini. Ils passent pour chasser des Démons, pour opérer des miracles; ils vendent aux peuples la rémission des péchés. Cette Secte séduit quelquefois des Mandarins, et par une fatalité qui montre que la même superstition est de tous les Pays, quelques Mandarins se sont fait tondre en Bonzes par piété.
Ce sont eux qui dans la Tartarie ont à leur tête le Dailama, Idole vivante qu'on adore, et c'est là peut-être le triomphe de la Superstition humaine.
Ce Dailama, successeur et vicaire du Dieu Fo, passe pour immortel. Les Prêtres nourrissent toujours un jeune Lama désigné successeur secret du Souverain Pontife, qui prend sa place dès que celui-ci, qu'on croit immortel, est mort. Les Princes Tartares ne lui parlent qu'à genoux. Il décide souverainement tous les points de Foi sur lesquels les Lamas sont divisés. Enfin il s'est depuis quelque temps fait Souverain du Tibet à l'occident de la Chine. L'Empereur reçoit ses Ambassadeurs, et lui en envoie avec des présents considérables.
Ces Sectes sont tolérées à la Chine pour l'usage du Vulgaire, comme des aliments grossiers faits pour le nourrir; tandis que les Magistrats et les Lettrés séparés en tout du peuple, se nourrissent d'une substance plus pure. Confucius gémissait pourtant de cette foule d'erreurs: Pourquoi, dit-il dans un de ses Livres, y a-t-il plus de crimes chez la populace ignorante que parmi les Lettrés? C'est que le peuple est gouverné par les Bonzes.
Beaucoup de Lettrés sont à-la-vérité tombés dans le Matérialisme, mais leur Morale n'en a point été altérée. Ils pensent que la vertu est si nécessaire aux hommes, et si aimable par elle-même, qu'on n'a pas même besoin de la connaissance d'un Dieu pour la suivre.
On prétend que vers le VIIIe Siècle, du temps de Charlemagne, la Religion Chrétienne était connue à la Chine. On assure que nos Missionnaires ont trouvé dans la Province de Kinski une inscription en caractères Syriaques et Chinois. Ce monument qu'on voit tout au long dans Kirker, atteste qu'un Évêque nommé Olopuen, partit de Judée l'an de Notre Seigneur 636 pour annoncer l'Évangile; qu'aussitôt qu'il fut arrivé au faubourg de la Ville Impériale, l'Empereur envoya un Colao au devant de lui, et lui fit bâtir une Église Chrétienne, etc. La date de l'inscription est de l'année 782.
Ce monument est peut-être une de ces fraudes pieuses, qu'on s'est toujours trop aisément permises. Ce nom d'Olopuen, qui est Espagnol, rend déjà le monument bien suspect. Cet empressement d'un Empereur de la Chine à envoyer à cet Olopuen un Grand de sa Cour, est plus suspect encore dans un Pays où il était défendu sous peine de mort aux Étrangers de passer les frontières. La date de l'inscription ne porte-t-elle pas encore le caractère du mensonge? Les Prêtres et les Évêques de Jérusalem ne comptaient point leurs années au VIIe Siècle, comme on les compte dans ce monument. L'Ère Vulgaire de Denys le Petit n'est point reçue chez les Nations Orientales, et on ne commença même à s'en servir en Occident que vers le temps de Charlemagne. De plus, comment cet Olopuen aurait-il pu, en arrivant, se faire entendre dans une Langue qu'on peut à peine apprendre en dix années; et comment un Empereur eut-il fait tout d'un coup bâtir une Église Chrétienne en faveur d'un Étranger qui aurait bégayé par interprète une Religion si nouvelle?
Il est donc probable qu'au temps de Charlemagne, la Religion Chrétienne était absolument inconnue à la Chine.
Je me réserve à jeter les yeux sur Siam, sur le Japon, et sur tout ce qui est situé vers l'Orient et le Midi, lorsque je serai parvenu au temps où l'industrie des Européens s'est ouvert un chemin facile à ces extrémités de notre Hémisphère.
DES INDES, DE LA PERSE, DE L'ARABIE ET DU MAHOMÉTISME
En me ramenant vers l'Europe, je trouve d'abord l'Inde ou l'Indoustan, Contrée un peu moins vaste que la Chine, et plus connue par les denrées précieuses que l'industrie des Négociants en a tiré dans tous les temps, que par des relations exactes.
Une chaîne de montagnes peu interrompues, semble en avoir fixé les limites entre la Chine, la Tartarie et la Perse. Le reste est entouré de mers. Cependant l'Inde en-deçà du Gange fut longtemps soumise aux Persans, et voilà pourquoi Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur de Darius, poussa ses conquêtes jusqu'aux Indes tributaires de son ennemi. Depuis Alexandre les Indiens avaient vécu dans la liberté et dans la mollesse qu'inspirent la valeur du climat et la richesse de la terre.
Les Grecs y voyageaient avant Alexandre pour y chercher la Science. C'est là que le célèbre Pilpay écrivit, il y a 2300 années, ces Fables Morales, traduites dans presque toutes les Langues du Monde. Le Jeu des Échecs y fut inventé. Les Chiffres dont nous nous servons, et que les Arabes nous ont apporté vers le temps de Charlemagne, nous viennent de l'Inde. Peut-être les anciennes Médailles, dont les Curieux Chinois font tant de cas, sont une preuve que les Arts furent cultivés aux Indes avant d'être connus des Chinois.
On y a de temps immémorial divisé la route annuelle du Soleil en douze parties. L'année des Bracmanes et des plus anciens Gymnosophistes commença toujours, quand le Soleil entrait dans la Constellation qu'ils nomment Moscham, et qui est pour nous le Bélier. Leurs Semaines furent toujours de sept jours: division que les Grecs ne connurent jamais. Leurs Jours portent les noms des sept Planètes. Le Jour du Soleil est appelé chez eux Mitradinam, reste à savoir si ce mot Mitra, qui chez les Perses signifie aussi le Soleil, est originairement un terme de la Langue des Mages, ou de celle des Sages de l'Inde. Il est bien difficile de dire, laquelle des deux Nations enseigna l'autre; mais s'il s'agissait de décider entre les Indes et l'Égypte, je croirais les Sciences bien plus anciennes dans les Indes. Ma conjecture est fondée sur ce que le terrain des Indes est bien plus aisément habitable que le terrain voisin du Nil, dont les débordements dûrent longtemps rebuter les premiers Colons, avant qu'ils eussent dompté ce fleuve en creusant des canaux. Le sol des Indes est d'ailleurs