Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1). VoltaireЧитать онлайн книгу.
liberté entière aux Chrétiens auxquels on ne pouvait plus l'ôter, et dont le parti l'avait mis sur le Trône, cette liberté était devenue une source intarissable de querelles; car le Fondateur de la Religion n'ayant rien écrit, et les hommes voulant tout savoir, chaque mystère fit naître des opinions, et chaque opinion coûta du sang.
Fallut-il décider si le Fils était consubstantiel au Père? le Monde Chrétien fut partagé, et la moitié persécuta l'autre. Voulut-on savoir si la Mère de Jésus-Christ était la Mère de Dieu, ou de Jésus? si le Christ avait deux natures et deux volontés dans une même personne, ou deux personnes et une volonté, ou une volonté et une personne? Toutes ces disputes nées dans Constantinople, dans Antioche, dans Alexandrie, excitèrent des séditions. Un parti anathématisait l'autre, la faction dominante condamnait à l'exil, à la prison, à la mort, et aux peines éternelles après la mort l'autre faction qui se vengeait à son tour par les mêmes armes.
De pareils troubles n'avaient point été connus dans le Paganisme, la raison en est que les Païens dans leurs erreurs grossières, n'avaient point de dogmes, et que les Prêtres des Idoles, encore moins les Séculiers, ne s'assemblèrent jamais juridiquement pour disputer.
Dans le VIIIe Siècle on agita dans les Églises d'Orient s'il fallait rendre un culte aux Images. La Loi de Moïse les avait expressément défendues, cette Loi n'avait jamais été révoquée, et les premiers Chrétiens pendant plus de 200 ans n'en avaient jamais souffert dans leurs assemblées.
Peu à peu la coutume s'introduisit partout d'avoir chez soi des Crucifix. Ensuite on eut les portraits vrais ou faux des Martyrs ou des Confesseurs. Il n'y avait point encore d'Autels érigés pour les Saints, point de Messes célébrées en leur nom seulement à la vue d'un Crucifix et de l'image d'un homme de bien. Le cœur qui surtout dans ces climats a besoin d'objets sensibles, s'excitait à la vertu.
Cet usage s'introduisit dans les Églises. Quelques Évêques ne l'adoptèrent pas. On voit qu'en 393 St. Épiphane arracha d'une Église de Syrie une Image devant laquelle on priait. Il déclara que la Religion Chrétienne ne permettait pas ce culte, et la sévérité ne causa point de Schisme.
Enfin cette pratique pieuse dégénéra en abus, comme toutes les choses humaines. Le Peuple toujours grossier ne distingua point Dieu et les Images. Bientôt on en vint jusqu'à leur attribuer des vertus et des miracles. Chaque Image guérissait une maladie. On les mêla même aux Sortilèges, qui ont presque toujours séduit la crédulité du Vulgaire. Je dis non seulement le vulgaire du Peuple, mais celui des Princes et des Savants.
En 727 l'Empereur Léon l'Isaurien voulut, à la persuasion de quelques Évêques, déraciner l'abus; mais par un abus encore plus grand, il fit effacer toutes les peintures. Il abattit les statues et les représentations de JÉSUS-CHRIST et des Saints, en ôtant ainsi tout d'un coup aux Peuples les objets de leur culte; il les révolta, on désobéit, il persécuta, il devint Tyran, parce qu'il avait été imprudent.
Son Fils Constantin Copronime fit passer en Loi Civile et Ecclésiastique l'abolition des Images. Il tint à Constantinople un Concile de 338 Évêques; ils proscrivirent d'une commune voix ce culte reçu dans plusieurs Églises, et surtout à Rome.
Cet Empereur eût voulu abolir aussi aisément les Moines, qu'il avait en horreur, et qu'il n'appelait que les abominables; mais il ne put y réussir: ces Moines déjà fort riches défendirent plus habilement leurs biens, que les Images de leurs Saints.
Le Pape Grégoire III et ses successeurs, ennemis secrets des Empereurs, et opposés ouvertement à leur doctrine, ne lancèrent pourtant point ces sortes d'excommunications, depuis si fréquemment et si légèrement employées. Mais soit que ce vieux respect pour les successeurs des Césars contînt encore les Métropolitains de Rome, soit plutôt qu'ils vissent combien ces excommunications, ces interdits et dispenses du serment de fidélité seraient méprisés dans Constantinople, où l'Église Patriarcale s'égalait au moins à celle de Rome, les Papes se contentèrent d'un Concile en 732, où l'on décida que tout ennemi des Images serait excommunié, sans rien de plus, et sans parler de l'Empereur. Il paraît que les Papes songèrent plutôt à négocier qu'à disputer, et qu'en agissant aux dehors en Évêques fermes, mais modérés, ils se conduisirent en vrais politiques, et préparèrent la révolution d'Occident.
RENOUVELLEMENT DE L'EMPIRE EN OCCIDENT
Le Royaume de Pépin s'étendait du Rhin aux Pyrénées et aux Alpes; Charlemagne son fils aîné recueillit cette succession toute entière car un de ses frères était mort après le partage, et l'autre s'était fait Moine auparavant au Monastère de St. Sylvestre. Une espèce de piété qui se mêlait à la barbarie de ces temps, enferma plus d'un Prince dans le Cloître; ainsi Rachis Roi des Lombards, Carloman frère de Pépin, un Duc d'Aquitaine, avaient pris l'habit de Bénédictin. Il n'y avait presque alors que cet Ordre dans l'Occident. Les Couvents étaient riches, puissants, respectés. C'étaient des asiles honorables pour ceux qui cherchaient une vie paisible. Bientôt après ces asiles furent les prisons des Princes détrônés.
Pépin n'avait pas à beaucoup près le domaine direct de tous ces États: l'Aquitaine, la Bavière, la Provence, la Bretagne Pays nouvellement conquis, rendaient hommage et payaient tribut.
Deux Voisins pouvaient être redoutables à ce vaste État, les Germains Septentrionaux et les Sarrasins. L'Angleterre, conquise par les Anglo-Saxons partagée en sept dominations, toujours en guerre avec l'Albanie qu'on nomme Écosse, et avec les Danois, était sans politique et sans puissance. L'Italie faible et déchirée n'attendait qu'un nouveau Maître qui voulût s'en emparer.
Les Germains Septentrionaux étaient alors appelés Saxons. On connaissait sous ce nom tous ces Peuples qui habitaient les bords du Weser et ceux de l'Elbe, de Hambourg à la Moravie, et de Mayence à la Mer Baltique. Ils étaient Païens, ainsi que tout le Septentrion. Leurs Mœurs et leurs Lois étaient les mêmes que du temps des Romains. Chaque Canton se gouvernait en République, mais ils élisaient un Chef pour la Guerre. Leurs Lois étaient simples comme leurs mœurs: leur Religion grossière: ils sacrifiaient dans les grands dangers, des hommes à la Divinité, ainsi que tant d'autres Nations; car c'est le caractère des Barbares, de croire la Divinité malfaisante, les hommes font Dieu à leur image. Les Français, quoique déjà Chrétiens, eurent sous Théodebert cette superstition horrible, ils immolèrent des victimes humaines en Italie au rapport de Procope, et les Juifs avaient commis quelquefois ces sacrilèges par piété. D'ailleurs ces Peuples cultivaient la justice, ils mettaient leur gloire et leur bonheur dans la liberté. Ce sont eux qui sous le nom de Cattes, de Chéruskes et de Bructéres avaient vaincu Varus, et que Germanicus avait ensuite défait.
Une partie de ces Peuples vers le Ve Siècle appelée par les Bretons insulaires contre les habitants de l'Écosse, subjugua la Bretagne qui touche à l'Écosse, et lui donna le nom d'Angleterre. Ils y avaient déjà passé au IIIe Siècle; car au temps de Constantin les côtes de cette Île étaient appelées les Côtes Saxoniques.
Charlemagne, le plus ambitieux, le plus politique et le plus grand guerrier de son Siècle, fit la guerre aux Saxons trente années avant de les assujettir pleinement. Leur Pays n'avait point encore ce qui tente aujourd'hui la cupidité des Conquérants. Les riches Mines de Goflar, dont on a tiré tant d'argent, n'étaient point découvertes, elles ne le furent que sous Henri l'Oiseleur. Point de richesses accumulées par une longue industrie, nulle Ville digne de l'ambition d'un Usurpateur. Il ne s'agissait que d'avoir pour esclaves des millions d'hommes qui cultivaient la terre sous un climat triste, qui nourrissaient leurs troupeaux, et qui ne voulaient point de Maîtres.
Ils étaient mal armés; car je vois dans les Capitulaires de Charlemagne une défense rigoureuse de vendre des cuirasses aux Saxons. Cette différence des armes, jointe à la discipline, avait rendu les Romains vainqueurs de tant de Peuples, elle fit triompher enfin Charlemagne.
Le Général de la plupart de ces Peuples était ce fameux Vitiking, dont on fait aujourd'hui descendre les principales Maisons de l'Empire; Homme tel qu'Arminius, mais qui eut enfin plus de faiblesse. Charles prend d'abord la fameuse Bourgade d'Eresbourg; car ce lieu ne méritait ni le nom de Ville, ni celui de Forteresse. Il fait égorger les habitants. Il y pille et rase ensuite le principal Temple du Pays, élevé