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Actes et Paroles, Volume 3. Victor HugoЧитать онлайн книгу.

Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo


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il ferma sa fenetre, ecrivit quelques mots, quelques vers, se deshabilla reveur, envoya encore une pensee de pitie aux vainqueurs aussi bien qu'aux vaincus, et, en paix avec Dieu, il s'endormit.

      Il fut brusquement reveille. A travers les profonds reves du premier sommeil, il entendit un coup de sonnette; il se dressa. Apres quelques secondes d'attente, il pensa que c'etait quelqu'un qui se trompait de porte; peut-etre meme ce coup de sonnette etait-il imaginaire; il y a de ces bruits dans les reves; il remit sa tete sur l'oreiller.

      Une veilleuse eclairait la chambre.

      Au moment ou il se rendormait, il y eut un second coup de sonnette, tres opiniatre et tres prolonge. Cette fois il ne pouvait douter; il se leva, mit un pantalon a pied, des pantoufles et une robe de chambre, alla a la fenetre et l'ouvrit.

      La place etait obscure, il avait encore dans les yeux le trouble du sommeil, il ne vit rien que de l'ombre, il se pencha sur cette ombre et demanda: Qui est la?

      Une voix tres basse, mais tres distincte, repondit: Dombrowski.

      Dombrowski etait le nom d'un des vaincus de Paris. Les journaux annoncaient, les uns qu'il avait ete fusille, les autres qu'il etait en fuite.

      L'homme que la sonnette avait reveille pensa que ce fugitif etait la, qu'il avait lu sa lettre publiee le matin, et qu'il venait lui demander asile. Il se pencha un peu, et apercut en effet, dans la brume nocturne, au-dessous de lui, pres de la porte de la maison, un homme de petite taille, aux larges epaules, qui otait son chapeau et le saluait. Il n'hesita pas, et se dit: Je vais descendre et lui ouvrir.

      Comme il se redressait pour fermer la fenetre, une grosse pierre, violemment lancee, frappa le mur a cote de sa tete. Surpris, il regarda. Un fourmillement de vagues formes humaines, qu'il n'avait pas remarque d'abord, emplissait le fond de la place. Alors il comprit. Il se souvint que la veille, on lui avait dit: Ne publiez pas cette lettre, sinon vous serez assassine. Une seconde pierre, mieux ajustee, brisa la vitre au-dessus de son front, et le couvrit d'eclats de verre, dont aucun ne le blessa. C'etait un deuxieme renseignement sur ce qui allait etre fait ou essaye. Il se pencha sur la place, le fourmillement d'ombres s'etait rapproche et etait masse sous sa fenetre; il dit d'une voix haute a cette foule: Vous etes des miserables!

      Et il referma la croisee.

      Alors des cris frenetiques s'eleverent: A mort! A la potence! A la lanterne! A mort le brigand!

      Il comprit que "le brigand" c'etait lui. Pensant que cette heure pouvait etre pour lui la derniere, il regarda sa montre. Il etait minuit et demi.

      Abregeons. Il y eut un assaut furieux. On en verra le detail dans ce livre. Qu'on se figure cette douce maison endormie, et ce reveil epouvante. Les femmes se leverent en sursaut, les enfants eurent peur, les pierres pleuvaient, le fracas des vitres et des glaces brisees etait inexprimable. On entendait ce cri: A mort! A mort! Cet assaut eut trois reprises et dura sept quarts d'heure, de minuit et demi a deux heures un quart. Plus de cinq cents pierres furent lancees dans la chambre; une grele de cailloux s'abattit sur le lit, point de mire de cette lapidation. La grande fenetre fut defoncee; les barreaux du soupirail du couloir d'entree furent tordus; quant a la chambre, murs, plafond, parquet, meubles, cristaux, porcelaines, rideaux arraches par les pierres, qu'on se represente un lieu mitraille. L'escalade fut tentee trois fois, et l'on entendit des voix crier: Une echelle! L'effraction fut essayee, mais ne put disloquer la doublure de fer des volets du rez-de-chaussee. On s'efforca de crocheter la porte; il y eut un gros verrou qui resista. L'un des enfants, la petite fille, etait malade; elle pleurait, l'aieul l'avait prise dans ses bras; une pierre lancee a l'aieul passa pres de la tete de l'enfant. Les femmes etaient en priere; la jeune mere, vaillante, montee sur le vitrage d'une serre, appelait au secours; mais autour de la maison en danger la surdite etait profonde, surdite de terreur, de complicite peut-etre. Les femmes avaient fini par remettre dans leurs berceaux les deux enfants effrayes, et l'aieul, assis pres d'eux, tenait leurs mains dans ses deux mains; l'aine, le petit garcon, qui se souvenait du siege de Paris, disait a demi-voix, en ecoutant le tumulte sauvage de l'attaque: C'est des prussiens. Pendant deux heures les cris de mort allerent grossissant, une foule effrenee s'amassait dans la place. Enfin il n'y eut plus qu'une seule clameur: Enfoncons la porte!

      Peu apres que ce cri fut pousse, dans une rue voisine, deux hommes portant une longue poutre, propre a battre les portes des maisons assiegees, se dirigeaient vers la place des Barricades, vaguement entrevus comme dans un crepuscule de la Foret-Noire.

      Mais en meme temps que la poutre le soleil arrivait; le jour se leva. Le jour est un trop grand regard pour de certaines actions; la bande se dispersa. Ces fuites d'oiseaux de nuit font partie de l'aurore.

      V

      Quel est le but de ce double recit? le voici: mettre en regard deux facons differentes d'agir, resultant de deux educations differentes.

      Voila deux foules, l'une qui envahit la maison n deg. 6 de la place

      Royale, a Paris; l'autre qui assiege la maison n deg. 3 de la place des

      Barricades, a Bruxelles; laquelle de ces deux foules est la populace?

      De ces deux multitudes, laquelle est la vile?

      Examinons-les.

      L'une est en guenilles; elle est sordide, poudreuse, delabree, hagarde; elle sort d'on ne sait quels logis qui, si l'on pense aux betes craintives, font songer aux tanieres, et, si l'on pense aux betes feroces, font songer aux repaires; c'est la houle de la tempete humaine; c'est le reflux trouble et indistinct du bas-fond populaire; c'est la tragique apparition des faces livides; cela apporte l'inconnu. Ces hommes sont ceux qui ont froid et qui ont faim. Quand ils travaillent, ils vivent a peu pres; quand ils choment, ils meurent presque; quand l'ouvrage manque, ils revent accroupis dans des trous avec ce que Joseph de Maistre appelle leurs femelles et leurs petits, ils entendent des voix faibles et douces crier: Pere, du pain! ils habitent une ombre peu distincte de l'ombre penale; quand leur fourmillement, aux heures fatales comme juin 1845, se repand hors de cette ombre, un eclair, le sombre eclair social, sort de leur cohue; ayant tous les besoins, ils ont presque droit a tous les appetits; ayant toutes les souffrances, ils ont presque droit a toutes les coleres. Bras nus, pieds nus. C'est le tas des miserables.

      L'autre multitude, vue de pres, est elegante et opulente; c'est minuit, heure d'amusement; ces hommes sortent des salons ou l'on chante, des cafes ou l'on soupe, des theatres ou l'on rit; ils sont bien nes, a ce qu'il parait, et bien mis; quelques-uns ont a leurs bras de charmantes femmes, curieuses de voir des exploits. Ils sont pares comme pour une fete; ils ont tous les necessaires, c'est-a-dire toutes les joies, et tous les superflus, c'est-a-dire toutes les vanites; l'ete ils chassent, l'hiver ils dansent; ils sont jeunes et, grace a ce bel age, ils n'ont pas encore ce commencement d'ennui qui est l'achevement des plaisirs. Tout les flatte, tout les caresse, tout leur sourit; rien ne leur manque. C'est le groupe des heureux.

      En quoi, a l'heure ou nous les observons, ces deux foules, les miserables et les heureux, se ressemblent-elles? en ce qu'elles sont l'une et l'autre pleines de colere.

      Les miserables ont en eux la sourde rancune sociale; les souffrants finissent par etre les indignes; ils ont toutes les privations, les autres ont toutes les jouissances. Les souffrants ont sur eux toutes ces sangsues, les parasitismes; cette succion les epuise. La misere est une fievre; de la ces aveugles acces de fureur qui, en haine de la loi passagere, blessent le droit eternel. Une heure vient ou ceux qui ont raison peuvent se donner tort. Ces affames, ces deguenilles, ces desherites deviennent brusquement tumultueux. Ils crient: Guerre! ils prennent tout ce qui leur tombe sous la main, le fusil, la hache, la pique; ils se jettent sur ce qui est devant eux, sur l'obstacle, quel qu'il soit; c'est la republique, tant pis! ils sont eperdus; ils reclament leur droit au travail, determines a vivre et resolus a mourir. Ils sont exasperes et desesperes, et ils ont en eux l'outrance farouche de la bataille. Une maison se presente; ils l'envahissent; c'est la maison d'un homme que la violente langue du moment appelle "un aristocrate". C'est la maison d'un homme qui en cet instant-la meme leur resiste et leur tient tete; ils sont les maitres; que vont-ils faire? saccager la maison de cet homme? Une voix leur crie: Cet homme fait son devoir! Ils s'arretent, se taisent, se decouvrent, et passent.

      Apres l'emeute des pauvres, voici l'emeute des riches. Ceux-ci


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