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Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples - Emile Zola


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Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples

      LES THÉORIES ET LES EXEMPLES

      Durant quatre années, j'ai été chargé de la critique dramatique, d'abord au Bien public, ensuite au Voltaire. Sur ce nouveau terrain du théâtre, je ne pouvais que continuer ma campagne, commencée autrefois dans le domaine du livre et de l'oeuvre d'art.

      Cependant, mon attitude d'homme de méthode et d'analyse a surpris et scandalisé mes confrères. Ils ont prétendu que j'obéissais à de basses rancunes, que je salissais nos gloires pour me venger de mes chutes, parlant de tout, de mes oeuvres particulièrement, à l'exception des pièces jouées.

      Je n'ai qu'une façon de répondre: réunir mes articles et les publier. C'est ce que je fais. On verra, je l'espère, qu'ils se tiennent et qu'ils s'expliquent, qu'ils sont à la fois une logique et une doctrine. Avec ces fragments, bâclés à la hâte et sous le coup de l'actualité, mon ambition serait d'avoir écrit un livre. En tout cas, telles sont mes idées sur notre théâtre, j'en accepte hautement la responsabilité.

      Comme mes articles étaient nombreux, j'ai dû les répartir en deux volumes. Le naturalisme au théâtre n'est donc qu'une première série. La seconde: Nos auteurs dramatiques, paraîtra prochainement.

E. Z.

      LES THÉORIES

      LE NATURALISME

I

      Chaque hiver, à l'ouverture de la saison théâtrale, je suis pris des mêmes pensées. Un espoir pousse en moi, et je me dis que les premières chaleurs de l'été ne videront peut-être pas les salles, sans qu'un auteur dramatique de génie se soit révélé. Notre théâtre aurait tant besoin d'un homme nouveau, qui balayât les planches encanaillées, et qui opérât une renaissance, dans un art que les faiseurs ont abaissé aux simples besoins de la foule! Oui, il faudrait un tempérament puissant dont le cerveau novateur vînt révolutionner les conventions admises et planter enfin le véritable drame humain à la place des mensonges ridicules qui s'étalent aujourd'hui. Je m'imagine ce créateur enjambant les ficelles des habiles, crevant les cadres imposés, élargissant la scène jusqu'à la mettre de plain-pied avec la salle, donnant un frisson de vie aux arbres peints des coulisses, amenant par la toile de fond le grand air libre de la vie réelle.

      Malheureusement, ce rêve, que je fais chaque année au mois d'octobre, ne s'est pas encore réalisé et ne se réalisera peut-être pas de sitôt. J'ai beau attendre, je vais de chute en chute. Est-ce donc un simple souhait de poète? Nous a-t-on muré dans cet art dramatique actuel, si étroit, pareil à un caveau où manquent l'air et la lumière? Certes, si la nature de l'art dramatique interdisait cet envolement dans des formules plus larges, il serait quand même beau de s'illusionner et de se promettre à toute heure une renaissance. Mais, malgré les affirmations entêtées de certains critiques qui n'aiment pas à être dérangés dans leur criterium, il est évident que l'art dramatique, comme tous les arts, a devant lui un domaine illimité, sans barrière d'aucune sorte, ni à gauche ni à droite. L'infirmité, l'impuissance humaine seule est la borne d'un art.

      Pour bien comprendre la nécessité d'une révolution au théâtre, il faut établir nettement où nous en sommes aujourd'hui. Pendant toute notre période classique, la tragédie a régné en maîtresse absolue. Elle était rigide et intolérante, ne souffrant pas une velléité de liberté, pliant les esprits les plus grands à ses inexorables lois. Lorsqu'un auteur tentait de s'y soustraire, on le condamnait comme un esprit mal fait, incohérent et bizarre, on le regardait presque comme un homme dangereux. Pourtant, dans cette formule si étroite, le génie bâtissait quand même son monument de marbre et d'airain. La formule était née dans la renaissance grecque et latine, les créateurs qui se l'appropriaient y trouvaient le cadre suffisant à de grandes oeuvres. Plus tard seulement, lorsqu'arrivèrent les imitateurs, la queue de plus en plus grêle et débile des disciples, les défauts de la formule apparurent, on en vit les ridicules et les invraisemblances, l'uniformité menteuse, la déclamation continuelle et insupportable. D'ailleurs, l'autorité de la tragédie était telle, qu'il fallut deux cents ans pour la démoder. Peu à peu, elle avait tâché de s'assouplir, sans y arriver, car les principes autoritaires dont elle découlait, lui interdisaient formellement, sous peine de mort, toute concession à l'esprit nouveau. Ce fut lorsqu'elle tenta de s'élargir qu'elle fut renversée, après un long règne de gloire.

      Depuis le dix-huitième siècle, le drame romantique s'agitait donc dans la tragédie. Les trois unités étaient parfois violées, on donnait plus d'importance à la décoration et à la figuration, on mettait en scène les péripéties violentes que la tragédie reléguait dans des récits, comme pour ne pas troubler par l'action la tranquillité majestueuse de l'analyse psychologique. D'autre part, la passion de la grande époque était remplacée par de simples procédés, une pluie grise de médiocrité et d'ennui tombait sur les planches. On croit voir la tragédie, vers le commencement de ce siècle, pareille à une haute figure pâle et maigrie, n'ayant plus sous sa peau blanche une goutte de sang, traînant ses draperies en lambeaux dans les ténèbres d'une scène, dont la rampe s'est éteinte d'elle-même. Une renaissance de l'art dramatique sous une nouvelle formule était fatale, et c'est alors que le drame romantique planta bruyamment son étendard devant le trou du souffleur. L'heure se trouvait marquée, un lent travail avait eu lieu, l'insurrection s'avançait sur un terrain préparé pour la victoire. Et jamais le mot insurrection n'a été plus juste, car le drame saisit corps à corps la tragédie, et par haine de cette reine devenue impotente, il voulut briser tout ce qui rappelait son règne. Elle n'agissait pas, elle gardait une majesté froide sur son trône, procédant par des discours et des récits; lui, prit pour règle l'action, l'action outrée, sautant aux quatre coins de la scène, frappant à droite et à gauche, ne raisonnant et n'analysant plus, étalant sous les yeux du public l'horreur sanglante des dénouements. Elle avait choisi pour cadre l'antiquité, les éternels Grecs et les éternels Romains, immobilisant l'action dans une salle, dans un pérystile de temple; lui, choisit le moyen âge, fit défiler les preux et les châtelaines, multiplia les décors étranges, des châteaux plantés à pic sur des fleuves, des salles d'armes emplies d'armures, des cachots souterrains trempés d'humidité, des clairs de lune dans des forêts centenaires. Et l'antagonisme se retrouve ainsi partout; le drame romantique, brutalement, se fait l'adversaire armé de la tragédie et la combat par tout ce qu'il peut ramasser de contraire à sa formule.

      Il faut insister sur cette rage d'hostilité, dans le beau temps du drame romantique, car il y a là une indication précieuse. Sans doute, les poètes qui ont dirigé le mouvement, parlaient de mettre à la scène la vérité des passions et réclamaient un cadre plus vaste pour y faire tenir la vie humaine tout entière, avec ses oppositions et ses inconséquences; ainsi, on se rappelle que le drame romantique a surtout bataillé pour mêler le rire aux larmes dans une même pièce, en s'appuyant sur cet argument que la gaieté et la douleur marchent côte à côte ici-bas. Mais, en somme, la vérité, la réalité importait peu, déplaisait même aux novateurs. Ils n'avaient qu'une passion, jeter par terre la formule tragique qui les gênait, la foudroyer à grand bruit, dans une débandade de toutes les audaces. Ils voulaient, non pas que leurs héros du moyen âge fussent plus réels que les héros antiques des tragédies, mais qu'ils se montrassent aussi passionnés et sublimes que ceux-ci se montraient froids et corrects. Une simple guerre de costumes et de rhétoriques, rien de plus. On se jetait ses pantins à la tête. Il s'agissait de déchirer les peplums en l'honneur des pourpoints et de faire que l'amante qui parlait à son amant, au lieu de l'appeler: Mon seigneur, l'appelât: Mon lion. D'un côté comme de l'autre, on restait dans la fiction, on décrochait les étoiles.

      Certes, je ne suis pas injuste envers le mouvement romantique. Il a eu une importance capitale et définitive, il nous a faits ce que nous sommes, c'est-à-dire des artistes libres. Il était, je le répète, une révolution nécessaire, une violente émeute qui s'est produite à son heure pour balayer le règne de la tragédie tombée en enfance. Seulement, il serait ridicule de vouloir borner au drame romantique l'évolution de l'art dramatique. Aujourd'hui surtout, on reste stupéfait quand on lit certaines préfaces, où le mouvement de 1830 est donné comme une entrée triomphale dans la vérité humaine. Notre recul d'une quarantaine d'années suffit déjà pour nous faire clairement voir que la prétendue vérité des romantiques est une continuelle et monstrueuse exagération du réel, une fantaisie lâchée dans l'outrance. A coup sûr, si la tragédie est d'une autre fausseté, elle n'est pas


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