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Paris - Emile Zola


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au milieu du frémissement de l'auditoire, les bienfaits de l'esprit nouveau, qui allait enfin pacifier la France, lui rendre son rang et sa force. Est-ce que, de toutes parts, des signes certains n'annonçaient pas cette résurrection? L'esprit nouveau, c'était le réveil de l'idéal, la protestation de l'âme contre le bas matérialisme, le triomphe du spiritualisme sur la littérature fangeuse; c'était aussi la science acceptée, mais remise en sa place, réconciliée avec la foi, du moment qu'elle ne prétendait plus empiéter sur le domaine sacré de celle-ci; et c'était encore la démocratie accueillie paternellement, la république légitimée, reconnue à son tour comme la bien-aimée fille de l'Eglise. Un souffle d'idylle passait, l'Eglise ouvrait son cœur à tous ses enfants, il n'y aurait plus que concorde et que joie, si le peuple, obéissant à l'esprit nouveau, se donnait au maître d'amour comme il s'était donné à ses rois, reconnaissait l'unique pouvoir de Dieu, souverain absolu des corps et des âmes.

      Maintenant, Pierre écoutait avec attention, et il se demandait où il avait entendu déjà des paroles presque identiques. Et, brusquement, il se souvint, il croyait de nouveau entendre, à Rome, monsignor Nani, dans la dernière conversation qu'ils avaient eue ensemble. Il retrouvait là le rêve d'un pape démocrate, lâchant les monarchies compromises, s'efforçant de conquérir le peuple. Puisque César était abattu, le pape ne pouvait-il réaliser l'ambition séculaire, être empereur et pontife, le Dieu souverain, universel? C'était le rêve que lui-même, dans sa naïveté humanitaire d'apôtre, avait fait autrefois, en écrivant sa Rome nouvelle, et dont la Rome réelle l'avait si rudement guéri. Au fond, simple politique d'hypocrite mensonge, et rien de plus, cette politique de prêtre qui a les siècles pour elle, tenace, s'acharnant à la conquête avec une extraordinaire souplesse, résolue à profiter de tout. Et quelle évolution, l'Eglise venant à la science, aux démocraties, aux républiques, convaincue qu'elle les dévorera, si on lui en laisse le temps! Ah! oui, l'esprit nouveau, l'antique esprit de domination qui sans cesse se renouvelle, toujours avec la même faim de vaincre et de posséder le monde!

      Parmi l'auditoire, Pierre croyait reconnaître certains des députés qu'il avait vus à la Chambre. N'était-ce pas une créature de Monferrand, ce grand monsieur à la barbe blonde, qui écoutait d'un air dévot? On disait que Monferrand, autrefois mangeur de prêtres, était à présent en coquetterie souriante avec le clergé. Toute une évolution sourde commençait dans les sacristies, des mots d'ordre venus de Rome couraient, il s'agissait de se rallier au gouvernement nouveau et de l'absorber en l'envahissant. La France était toujours la fille aînée de l'Eglise, la seule grande nation assez saine, assez forte, pour rétablir un jour le pape en sa royauté temporelle. Il fallait donc l'avoir à soi, elle méritait qu'on l'épousât, même républicaine. Dans cette lutte âpre d'ambitions, entre diplomates, l'évêque se servait du ministre, qui croyait avoir intérêt à s'appuyer sur l'évêque. Et qui des deux finirait par manger l'autre? Et à quel rôle tombait la religion, arme électorale, appoint de voix dans les majorités, raison décisive et secrète pour obtenir ou pour conserver un portefeuille! La divine charité était absente, une amertume noya le cœur de Pierre, au souvenir de la mort récente du cardinal Bergerot, le dernier des grands saints, des purs esprits de l'épiscopat français, où il ne semblait plus y avoir, désormais, que des intrigants et des sots.

      Cependant, la conférence s'achevait. Monseigneur Martha, dans une chaude péroraison, qui évoquait la basilique du Sacré-Cœur, là-haut, sur le mont sacré des Martyrs, dominant Paris du symbole sauveur de la croix, montrait ce grand Paris redevenu chrétien, maître du monde, grâce à la toute-puissance morale que lui donnait le divin souffle de l'esprit nouveau. L'auditoire, ne pouvant applaudir, eut un murmure de ravissement approbateur, heureux de cette fin miraculeuse, qui rassurait les intérêts et les consciences. Puis, monseigneur Martha quitta noblement la chaire, pendant qu'un grand bruit de chaises troublait la paix noire de l'église, à peine éclairée par les quelques cierges, luisant tels que les premières étoiles au ciel crépusculaire. Tout un flot de foule, d'ombres vagues et chuchotantes, s'en alla. Seules, des femmes restèrent, agenouillées et priant.

      Pierre, immobile, se haussait, cherchait à reconnaître l'abbé Rose, lorsqu'une main le toucha. C'était le vieux prêtre, qui l'avait aperçu de loin.

      – J'étais là-bas, près de la chaire, et je vous ai bien vu, mon cher enfant. Seulement, j'ai préféré attendre, pour ne déranger personne… Quel beau discours, comme monseigneur a parlé!

      Il paraissait en effet très ému. Mais c'était de la tristesse qui navrait sa bouche de bonté, ses yeux clairs d'enfant, dont le sourire d'habitude éclairait sa douce figure ronde, toute blanche.

      – J'avais peur que vous ne repartiez sans m'avoir vu, car j'avais une chose à vous dire… Vous savez, ce pauvre vieil homme, près de qui je vous ai envoyé ce matin, et auquel je vous ai prié de vous intéresser… Eh bien! en rentrant chez moi, j'ai trouvé une dame qui m'apporte parfois un peu d'argent pour mes pauvres. Alors, j'ai songé que les trois francs que je vous avais remis, étaient vraiment un trop maigre secours; et, comme cette pensée me tourmentait, ainsi qu'un remords, je n'ai pas pu résister, je suis allé cet après-midi rue des Saules…

      Il baissait la voix par respect, afin de ne pas troubler le profond silence sépulcral de l'église. Une sourde honte aussi le rendait bégayant, la honte d'être retombé dans son péché de charité imprudente, aveugle, comme le lui reprochaient ses supérieurs. Il acheva très bas, frissonnant.

      – Alors, mon enfant, imaginez-vous ma peine… J'avais cinq francs à remettre au pauvre homme, et je l'ai trouvé mort.

      Pierre frémit, dans une brusque secousse. Il ne voulait pas comprendre.

      – Comment, mort? Ce vieillard est mort, ce Laveuve est mort!

      – Oui, je l'ai trouvé mort, oh! dans quelle affreuse misère! tel qu'une vieille bête qui est allée finir sur un tas de loques, au fond d'un trou. Aucun voisin ne l'avait assisté, il s'était simplement tourné vers le mur. Et quelle nudité, quel froid! et quel abandon, quel déchirement pour un pauvre être de partir ainsi, sans une caresse! Ah! mon cœur en a bondi, et il en saigne encore!

      Dans son saisissement, Pierre n'eut d'abord qu'un geste de révolte contre l'imbécile cruauté sociale. Etait-ce donc le pain, laissé près de ce malheureux, et que celui-ci avait achevé trop goulûment peut-être, après de longs jours d'abstinence? N'était-ce pas plutôt le dénouement fatal d'une existence finie, usée par le travail et les privations? Qu'importait, d'ailleurs, la cause? La mort était venue, avait délivré le misérable.

      – Ce n'est pas lui que je plains, murmura-t-il enfin, c'est nous autres, nous tous qui assistons à cela, qui sommes coupables de cette abomination.

      Mais, déjà, le bon abbé Rose se résignait, ne voulait que du pardon et de l'espérance.

      – Non, non! mon enfant, la rébellion est mauvaise. Si nous sommes tous coupables, nous ne pouvons qu'implorer Dieu, pour qu'il oublie nos fautes… Je vous avais donné rendez-vous ici, espérant une bonne nouvelle, et c'est moi qui viens vous y apprendre cette chose affreuse… Faisons pénitence, prions.

      Et il s'agenouilla sur les dalles, près du pilier, derrière les femmes qui étaient là en prière, noires, indistinctes dans l'ombre. Sa tête blanche s'était courbée, il s'humilia longuement.

      Mais Pierre ne pouvait prier, tant la révolte grondait en lui. Il ne plia pas même les genoux, debout et frémissant. Son cœur était comme broyé, ses yeux ardents n'avaient pas une larme. Laveuve mort, là-bas, étendu sur son fumier de guenilles, les mains crispées, dans le désir têtu de se retenir à sa vie de torture, pendant que lui, repris de sa flamme de charité, brûlé d'un zèle d'apôtre, battait Paris afin de lui trouver un lit propre et sauveur pour le soir! Ah! l'atroce ironie de cela! Il devait être chez les Duvillard, dans le tiède salon bleu et argent, pendant que le vieil homme mourait; et c'était pour ce misérable mort qu'il avait couru ensuite à la Chambre, chez madame de Quinsac, chez cette Silviane et chez cette Rosemonde; et c'était pour ce libéré de la vie, cet évadé de la misère, qu'il avait fatigué les gens, troublé les égoïsmes, inquiété la paix des uns, menacé les plaisirs des autres! A quoi bon courir de la caverne parlementaire au froid salon où


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