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Les contemplations. Autrefois, 1830-1843. Victor HugoЧитать онлайн книгу.

Les contemplations. Autrefois, 1830-1843 - Victor Hugo


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un mot sur un homme, et l'homme frissonnant

      Sèche et meurt, pénétré par la force profonde;

      Attache un mot vengeur au flanc de tout un monde,

      Et le monde, entraînant pavois, glaive, échafaud,

      Ses lois, ses moeurs, ses dieux, s'écroule sous le mot.

      Cette toute-puissance immense sort des bouches.

      La terre est sous les mots comme un champ sous les mouches.

      Le mot dévore, et rien ne résiste à sa dent.

      À son haleine, l'âme et la lumière aidant,

      L'obscure énormité lentement s'exfolie.

      Il met sa force sombre en ceux que rien ne plie;

      Caton a dans les reins cette syllabe: non.

      Tous les grands obstinés, Brutus, Colomb, Zénon,

      Ont ce mot flamboyant qui luit sous leur paupière:

      Espérance! – Il entr'ouvre une bouche de pierre

      Dans l'enclos formidable où les morts ont leur lit,

      Et voilà que don Juan pétrifié pâlit!

      Il fait le marbre spectre, il fait l'homme statue.

      Il frappe, il blesse, il marque, il ressuscite, il tue;

      Nemrod dit: «Guerre!» alors, du Gange à l'Illissus,

      Le fer luit, le sang coule. «Aimez-vous!» dit Jésus.

      Et ce mot à jamais brille et se réverbère

      Dans le vaste univers, sur tous, sur toi, Tibère,

      Dans les cieux, sur les fleurs, sur l'homme rajeuni,

      Comme le flamboiement d'amour de l'infini!

      Quand, aux jours où la terre entr'ouvrait sa corolle,

      Le premier homme dit la première parole,

      Le mot né de sa lèvre, et que tout entendit,

      Rencontra dans les cieux la lumière, et lui dit:

      «Ma soeur!

      «Envole-toi! plane! sois éternelle!

      Allume l'astre! emplis à jamais la prunelle!

      Échauffe éthers, azurs, sphères, globes ardents!

      Éclaire le dehors, j'éclaire le dedans.

      «Tu vas être une vie, et je vais être l'autre.

      Sois la langue de feu, ma soeur, je suis l'apôtre.

      Surgis, effare l'ombre, éblouis l'horizon,

      Sois l'aube; je te vaux, car je suis la raison;

      À toi les yeux, à moi les fronts. O ma soeur blonde,

      Sous le réseau Clarté tu vas saisir le monde;

      Avec tes rayons d'or, tu vas lier entre eux

      Les terres, les soleils, les fleurs, les flots vitreux,

      Les champs, les cieux; et moi, je vais lier les bouches;

      Et sur l'homme, emporté par mille essors farouches,

      Tisser, avec des fils d'harmonie et de jour,

      Pour prendre tous les coeurs, l'immense toile Amour.

      J'existais avant l'âme, Adam n'est pas mon père.

      J'étais même avant toi; tu n'aurais pu, lumière,

      Sortir sans moi du gouffre où tout rampe enchaîné;

      Mon nom est Fiat Lux, et je suis ton aîné!»

      Oui, tout-puissant! tel est le mot. Fou qui s'en joue!

      Quand l'erreur fait un noeud dans l'homme, il le dénoue.

      Il est foudre dans l'ombre et ver dans le fruit mûr.

      Il sort d'une trompette, il tremble sur un mur,

      Et Balthazar chancelle, et Jéricho s'écroule.

      Il s'incorpore au peuple, étant lui-même foule.

      Il est vie, esprit, germe, ouragan, vertu, feu;

      Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.

      Jersey, juin 1855.

      IX

      Le poëme éploré se lamente; le drame

      Souffre, et par vingt acteurs répand à flots son âme;

      Et la foule accoudée un moment s'attendrit,

      Puis reprend: «Bah! l'auteur est un homme d'esprit,

      Qui, sur de faux héros lançant de faux tonnerres,

      Rit de nous voir pleurer leurs maux imaginaires.

      «Ma femme, calme-toi; sèche tes yeux, ma soeur.»

      La foule a tort: l'esprit c'est le coeur; le penseur

      Souffre de sa pensée et se brûle à sa flamme.

      Le poëte a saigné le sang qui sort du drame;

      Tous ces êtres qu'il fait l'étreignent de leurs noeuds;

      Il tremble en eux, il vit en eux, il meurt en eux;

      Dans sa création le poëte tressaille;

      Il est elle; elle est lui; quand dans l'ombre il travaille,

      Il pleure, et s'arrachant les entrailles, les met

      Dans son drame, et, sculpteur, seul sur son noir sommet

      Pétrit sa propre chair dans l'argile sacrée;

      Il y renaît sans cesse, et ce songeur qui crée

      Othello d'une larme, Alceste d'un sanglot,

      Avec eux pêle-mêle en ses oeuvres éclot.

      Dans sa genèse immense et vraie, une et diverse,

      Lui, le souffrant du mal éternel, il se verse,

      Sans épuiser son flanc d'où sort une clarté.

      Ce qui fait qu'il est dieu, c'est plus d'humanité.

      Il est génie, étant, plus que les autres, homme.

      Corneille est à Rouen, mais son âme est à Rome;

      Son front des vieux Catons porte le mâle ennui.

      Comme Shakspeare est pâle! avant Hamlet, c'est lui

      Que le fantôme attend sur l'âpre plate-forme,

      Pendant qu'à l'horizon surgit la lune énorme.

      Du mal dont rêve Argan, Poquelin est mourant;

      Il rit: oui, peuple, il râle! Avec Ulysse errant,

      Homère éperdu fuit dans la brume marine.

      Saint Jean frissonne: au fond de sa sombre poitrine,

      L'Apocalypse horrible agite son tocsin.

      Eschyle! Oreste marche et rugit dans ton sein,

      Et c'est, ô noir poëte à la lèvre irritée,

      Sur ton crâne géant qu'est cloué Prométhée.

Paris, janvier 1834.

      X

      A MADAME D. G. DE G

      Jadis je vous disais: – Vivez, régnez, Madame!

      Le salon vous attend! le succès vous réclame!

      Le bal éblouissant pâlit quand vous partez!

      Soyez illustre et belle! aimez! riez! chantez!

      Vous avez la splendeur des astres et des roses!

      Votre regard charmant, où je lis tant de choses,

      Commente vos discours légers et gracieux.

      Ce que dit votre bouche étincelle


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