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Intentions. Wilde OscarЧитать онлайн книгу.

Intentions - Wilde Oscar


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intelligentes dont les souvenirs sont toujours basés sur la mémoire, dont les appréciations ont la probabilité pour limite invariable et qui, à tout moment, peuvent voir leurs dires confirmés par le plus pur Philistin présent, la société tôt ou tard reviendra vers son chef perdu: le raffiné, le fascinant menteur. Quel fut donc celui qui, le premier, sans avoir jamais été à la chasse brutale, conta aux troglodytes émerveillés dans le crépuscule, comment il avait arraché le Megatherium aux ténèbres pourpres de sa caverne de jaspe, ou comment il tua le Mammouth en combat singulier et rapporta ses défenses dorées, quel fut cet homme? Nous ne saurions le dire et pas un de nos modernes anthropologistes, avec toute leur science trop vantée, n'a eu le simple courage de nous l'apprendre. Quels qu'aient été son nom et sa race, il fut certainement le vrai fondateur des relations sociales. Car le but du menteur est simplement de charmer, d'enchanter, de donner du plaisir.» Il est la base même de la société civilisée et, sans lui, un dîner, même en la demeure des grands, est aussi morose qu'une conférence à la Royal Society, un début chez les «Incorporated Authors» ou une des comédies burlesques de M. Burnand.

      Et la société ne sera pas seule à le bien accueillir. L'Art, s'évadant de la geôle du réalisme, accourra pour le saluer et baisera ses belles lèvres menteuses, sachant que lui seul possède le grand secret de toutes ses manifestations: c'est-à-dire que la vérité est entièrement, absolument, affaire de style, tandis que la Vie, – la pauvre, la probable, l'inintéressante vie humaine – lasse de se répéter au bénéfice de M. Herbert Spencer, des historiens scientifiques et des compilateurs de statistiques en général, humblement le suivra et tâchera de reproduire, avec son procédé simple et fruste, quelques-unes des merveilles dont il parle.

      Sans doute il y aura toujours des critiques, comme un certain écrivain de la Saturday Review, qui reprocheront d'un air grave au diseur de contes féériques, son insuffisante connaissance de l'histoire naturelle, qui mesureront l'œuvre d'imagination avec leur absence de toute faculté imaginative et lèveront d'horreur leurs mains tachées d'encre si quelque honnête gentleman, n'ayant jamais dépassé les ifs de son jardin, écrit un livre fascinant de voyages comme Sir John Mandeville ou, comme le grand Raleigh, une histoire universelle, sans rien connaître du passé. Pour s'excuser, ils s'abriteront sous l'égide de celui qui fit Prospero le magicien et lui donna pour le servir Caliban et Ariel, qui entendit les Tritons souffler dans leurs conques autour des récifs de corail de l'Ile Enchantée et les fées se chanter l'une à l'autre dans un bois près d'Athènes, qui mena les rois fantômes en une procession indistincte parmi les bruyères de la brumeuse Ecosse et cacha dans une caverne Hécate et ses sauvages sœurs. Ils en appelleront à Shakespeare – ils le font toujours – et citeront ce passage tant ressassé sur l'Art qui présente le miroir à la Nature, oubliant que ce malheureux aphorisme est à dessein proféré par Hamlet pour convaincre les spectateurs de son absolue démence en tout ce qui concerne l'art».

      Cyrille. – Hum! Une autre cigarette s'il vous plaît.

      Vivian. – Mon cher camarade, quoi que vous puissiez dire, ce n'est purement qu'une expression dramatique et ne représente pas plus la réelle opinion de Shakespeare sur l'art que les discours de Iago ne représentent ses opinions sur la morale. Mais laissez-moi terminer ce passage:

      «L'Art trouve sa perfection en lui-même et non au dehors. On ne saurait le juger d'après aucun modèle intérieur. C'est un voile plutôt qu'un miroir. Il a des fleurs que ne connaît aucune forêt, des oiseaux que nul bois ne possède. Il crée et détruit bien des mondes et peut tirer du ciel la lune avec un fil écarlate. A lui les «formes plus réelles qu'un vivant», à lui les grands archétypes dont les choses existantes ne sont que d'imparfaites copies. A ses yeux la Nature n'a pas de loi, pas d'uniformité. Il peut faire à volonté des miracles, et les monstres sortent de l'abîme à son appel. Il peut dire à l'amandier de fleurir en hiver et faire tomber la neige sur le champ de blé mûr. A sa voix, la gelée pose son doigt d'argent sur la bouche brûlante de juin, et les lions ailés sortent de leurs repaires au flanc des collines Lydiennes. Les dryades, dans les fourrés, l'épient quand ils passent et les faunes bruns sourient d'un sourire étrange à son approche. Il a des dieux à tête de faucon qui l'adorent et les centaures galopent à ses côtés.»

      Cyrille. – J'aime cela. Je puis le voir. Est-ce la fin?

      Vivian. – Non. Il y a un autre passage, mais purement pratique et qui simplement suggère quelques méthodes pour ressusciter cet art perdu du Mensonge.

      Cyrille. – Eh bien, avant que vous me le lisiez, j'aimerais à vous poser une question. Vous dites que cette vie, «la pauvre, la probable, l'inintéressante vie humaine» essaiera de reproduire les merveilles de l'Art. Qu'entendez-vous par là? Je puis bien comprendre que vous vous opposiez à ce que l'Art soit traité comme un miroir. Vous pensez que le génie serait ainsi réduit à l'état d'une glace fêlée. Mais vous ne voulez pas dire que vous croyez sérieusement à l'imitation de l'Art par la Vie, et que la Vie en fait est le miroir et l'Art la réalité?

      Vivian. – Je le crois, soyez-en sûr. Si paradoxal que cela semble – et les paradoxes sont toujours choses dangereuses – il n'en est pas moins vrai que la Vie imite l'Art bien plus que l'Art n'imite la Vie. Nous avons tous vu ces temps-ci, en Angleterre, comment un certain type de beauté, curieux et fascinant, inventé et accentué par deux peintres imaginatifs, a si bien influencé la Vie que partout où l'on va, soit à une exposition privée, soit dans un salon artistique on voit, ici, les yeux mystiques du rêve de Rossetti, la longue gorge d'ivoire, l'étrange mâchoire carrée, la flottante chevelure d'ombre qu'il aimait d'une telle ardeur, là la douce pureté de «l'Escalier d'Or», la bouche de fleur et le charme languide du «Laus Amoris», le visage pâle de passion d'Andromède, les mains fines et la souple beauté de la Viviane dans le «Songe de Merlin». Et toujours il en fut ainsi. Un grand artiste invente un type et la Vie essaie de le copier, de le reproduire sous une forme populaire, comme un éditeur entreprenant. Ni Holbein, ni Van Dyck n'ont trouvé en Angleterre ce qu'ils nous ont donné. Ils apportèrent avec eux leurs types et la Vie, avec sa faculté aiguë d'imitation, se mit à fournir au maître des modèles. Les Grecs, avec leur vif instinct de l'art, l'avaient compris; ils plaçaient dans la chambre de l'épouse la statue d'Hermès ou celle d'Apollon, pour qu'elle enfantât des créatures égales en beauté aux œuvres d'art qu'elle fixait dans son extase ou dans sa douleur. Ils savaient que la Vie reçoit de l'Art non seulement la spiritualité, la profondeur de pensée et de sentiment, le tourment ou la paix de l'âme, mais qu'elle peut se façonner sur les lignes mêmes et les couleurs de l'Art et qu'elle peut reproduire la dignité de Phidias aussi bien que la grâce de Praxitèle. De là leur aversion pour le réalisme. Ils le méprisaient pour des raisons purement sociales. Ils sentaient qu'il produit dans les êtres une inévitable laideur et c'était d'une raison parfaite. Nous essayons d'améliorer les conditions de la race au moyen de l'air pur, de la libre clarté solaire, de l'eau saine et de bâtisses hideusement nues pour mieux loger le bas peuple. Mais tout cela produit de la santé, non de la beauté. Il y faut l'Art, et les vrais disciples du grand artiste ne sont pas ses imitateurs d'atelier, mais ceux qui deviennent pareils à ses œuvres, qu'elles soient plastiques comme au temps des Grecs ou pictoriales comme de nos jours; en un mot, la Vie est le meilleur élève, le seul élève de l'Art.

      Il en est ainsi en littérature comme en les arts visibles. La forme la plus frappante et la plus vulgaire sous laquelle cette loi se montre, existe dans ce cas de gamins stupides qui, pour avoir lu les aventures de Jack Sheppard ou de Dick Turpin, pillent les étalages de pauvres marchandes de pommes, s'introduisent nuitamment dans les boutiques de confiseurs, et terrorisent les vieux messieurs rentrant de la cité en se jetant sur eux dans les ruelles faubouriennes, avec des masques noirs et des revolvers non chargés. Ce phénomène intéressant, qui se produit toujours après l'apparition d'une édition nouvelle de l'un ou l'autre des livres que je viens de citer, est attribué d'ordinaire à l'influence de la littérature sur l'imagination. Mais c'est là une erreur. L'imagination est essentiellement créatrice et recherche toujours une nouvelle forme. Le petit brigand est simplement l'inévitable résultat de l'instinct imitateur de la Vie. Il est un Fait, occupé, comme l'est toujours un fait, à essayer de reproduire une Fiction et ce que nous voyons en lui se répète sur une plus grande échelle dans toute la vie. Schopenhauer a analysé le pessimisme


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