L'hérésiarque et Cie. Guillaume ApollinaireЧитать онлайн книгу.
après ces pénitences, la conviction qui m'était venue si fortuitement s'était renforcée dans mon âme, et je fus retrouver le Saint-Père qui, très affectueusement, me demanda si j'avais abandonné les chimères que le démon de l'hérésie m'avait inspirées. Pour lui répondre, il ne me vint que ces paroles: Ils étaient trois hommes… «Hélas! s'écria le pape, cet homme est possédé!» Je me mis à genoux alors. Je parlai de mes mortifications et suppliai le pontife de m'exorciser. Les larmes aux yeux, il m'affirma que Dieu me saurait gré de cette humiliation volontaire; puis il m'exorcisa selon les rites. Je partis ensuite, sans insister, car j'étais bien assuré que mes pensées n'étaient pas d'inspiration diabolique mais divine, puisqu'aucun exorcisme n'avait prévalu contre elles.»
L'hérésiarque cessa de parler, fit son manège accoutumé, but son vino santo, médita un moment, les yeux au plafond, et, renversé sur le dossier de son fauteuil, fit tourner, l'un autour de l'autre, ses pouces rapprochés sur son ventre. Il reprit ainsi:
–Le lendemain, j'écrivis au pape, lui faisant part de ma conviction et le priant, puisqu'il était le chef de la religion, de proclamer la vérité que j'avais apprise si miraculeusement. J'ajoutai qu'il n'y avait pas d'infaillibilité qui pût rendre mensonger ce qui était vrai, et que, par conséquent, je me séparerais de l'Église, au cas où il préférerait les anciennes erreurs à l'évidence nouvelle. Pour réponse, on m'excommunia. Alors, ayant abandonné mon Ordre, et riche des biens que je lui avais apportés, je vins me réfugier dans cet asile de paix où, jeté hors du giron de l'Église catholique, je place les fondements de la nouvelle religion. J'inaugurai la véritable communion triple en une hostie renfermant les trois corps humains d'un seul Dieu en Trois Personnes. Car la vérité est celle-ci: la Trinité se fit hommes. Il y eut trois incarnations. Les Trois Personnes du seul Dieu souffrirent, le même jour, la Passion nécessaire pour le rachat de l'Humanité. Le larron de droite était Dieu le père. On le remarque aisément par les paroles de sollicitude qu'il eut sur la Croix pour son Fils bien-aimé. Sa vie fut triste et patiente. Il souffrit injustement d'être pris pour un larron qu'il n'était pas. Étant tout puissant et infiniment majestueux, il ne voulut avoir aucun disciple. Le Christ, qui mourut entre les Larrons divins, était le Verbe et, l'étant, fut le Législateur. Ce sont ses paroles et ses actes qui devaient être transmis au monde pour lui être un enseignement. Il en fut ainsi. Le larron du gauche était le Saint-Esprit, le Paraclet, l'éternel Amour qui, devenu homme, voulut être pareil à l'amour humain qui est infâme. Il fut larron réel et souffrit justement. Voici le mystère en toute sa sainteté: Dieu se fit homme. Dieu le père incarné souffrit pour exercer sur soi sa toute-puissance et s'humilia jusqu'à rester inconnu et sans histoire. Dieu le fils incarné souffrit pour attester la vérité de son enseignement et donner l'exemple du martyre. Il souffrit injustement mais glorieusement pour frapper l'esprit des hommes. Dieu le Saint-Esprit voulut souffrir justement. Il s'incarna dans les pires faiblesses humaines, et s'abandonna à tous les péchés par compassion et amour profond pour l'Humanité. Voici la vérité:
Ils étaient trois hommes
Sur le Golgotha
De même qu'au ciel
Ils sont en Trinité.
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