Hamlet. William ShakespeareЧитать онлайн книгу.
et qui n'ont pris aucune part à l'action.
Après cette grande peinture morale, vient la seconde des beautés supérieures de Shakspeare, l'effet dramatique. Elle n'est nulle part plus complète et plus frappante que dans Hamlet, car les deux conditions du grand effet dramatique s'y trouvent, l'unité dans la variété; une seule impression constante, dominante; et cette même impression diversifiée selon le caractère, le tour d'esprit, la condition des divers personnages dans lesquels elle se reproduit. La mort plane sur tout le drame; le spectre du roi assassiné la représente et la personnifie; il est toujours là, tantôt présent lui-même, tantôt présent à la pensée et dans les discours des autres personnages. Grands ou petits, coupables ou innocents, intéressés ou indifférents à son histoire, ils sont tous constamment occupés de lui; les uns avec remords, les autres avec affection et douleur, d'autres encore simplement avec curiosité, quelques-uns même sans curiosité et uniquement par occasion: par exemple, ce grossier fossoyeur qui avait, dit-il, commencé son métier le jour où feu ce grand roi avait remporté une grande victoire sur son voisin le roi de Norwège, et qui, en le continuant pour creuser la fosse de la belle Ophélia, la maîtresse folle de Hamlet fou, retrouve le crâne du pauvre Yorick, ce bouffon du roi défunt, le crâne du bouffon de ce spectre qui sort à chaque instant de son tombeau pour troubler les vivants et obtenir justice de son assassin. Tous ces personnages, au milieu de toutes ces circonstances, sont amenés, retirés, ramenés tour à tour, chacun avec sa physionomie, son langage, son impression propre; et tous concourent incessamment à entretenir, à répandre, à fortifier cette impression unique et générale de la mort, de la mort juste ou injuste, naturelle ou violente, oubliée ou pleurée, mais toujours présente, et qui est la loi suprême et devrait être la pensée permanente des hommes.
Au théâtre, devant des spectateurs réunis en grand nombre et mêlés, l'effet de ce drame, à la fois si lugubre et si animé, est irrésistible; l'âme est remuée dans ses dernières profondeurs, en même temps que l'imagination et les sens sont occupés et entraînés par un mouvement extérieur continu et rapide. C'est là le double génie de Shakspeare, philosophe et poëte également inépuisable, moraliste et machiniste tour à tour, aussi habile à remplir bruyamment la scène qu'à pénétrer et à mettre en lumière les plus intimes secrets du coeur humain. Soumis à l'action immédiate d'une telle puissance, les hommes en masse ne lui demandent rien au delà de ce qu'elle leur donne; elle les domine et emporte d'assaut leur sympathie et leur admiration. Les esprits difficiles et délicats, qui jugent presque au même moment où ils sentent, et qui portent le besoin de la perfection jusque dans leurs plus vifs plaisirs, goûtent et admirent aussi immensément Shakspeare; mais ils sont désagréablement troublés dans leur admiration et leur jouissance, tantôt par l'entassement et la confusion des personnages et des incidents inutiles; tantôt par les longs et subtils développements d'une réflexion ou d'une idée qu'il conviendrait au personnage d'indiquer en passant, mais dans laquelle le poëte se complaît et s'arrête pour son propre compte; plus souvent encore par ce bizarre mélange de grossièreté et de recherche dans le langage qui donne quelquefois, aux sentiments les plus vrais, des formes factices et pédantes, et, aux plus belles inspirations de la philosophie ou de la poésie, une physionomie barbare. Ces défauts abondent dans Hamlet. Je ne veux ni me donner la pénible satisfaction de le prouver, ni me dispenser de le dire. En fait de génie, Shakspeare n'a peut-être point de rivaux; dans les hautes et pures régions de l'art, il ne saurait être un modèle.
HAMLET
TRAGÉDIE
PERSONNAGES
CLAUDIUS, roi de Danemark.
HAMLET, fils de Hamlet et neveu de Claudius.
POLONIUS, seigneur chambellan.
HORATIO, ami de Hamlet.
LAERTES, fils de Polonius.
VOLTIMAND,
CORNÉLIUS, ROSENCRANTZ, GUILDENSTERN, seigneurs de la cour de Danemark.
OSRICK, seigneur de la cour.
UN AUTRE SEIGNEUR DE LA COUR.
UN PRÊTRE.
MARCELLUS, BERNARDO, officiers.
FRANCISCO, soldat.
REYNALDO, domestique de Polonius.
UN CAPITAINE, ambassadeur.
L'OMBRE du père d'Hamlet.
FORTINBRAS, prince de Norwége.
GERTRUDE, reine de Danemark et mère d'Hamlet.
OPHÉLIA, fille de Polonius.
SEIGNEURS, DAMES, OFFICIERS, SOLDATS, COMÉDIENS, FOSSOYEURS, MATELOTS, MESSAGERS et autres serviteurs.
La scène est à Elseneur.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
Elseneur.—Une plate-forme devant le château.
FRANCISCO montant la garde, BERNARDO vient à lui.
BERNARDO.—Qui va là?
FRANCISCO.—Non, répondez vous-même. Arrêtez-vous et faites-vous reconnaître.
BERNARDO.—Vive le roi!
FRANCISCO.—Bernardo?
BERNARDO.—En personne.
FRANCISCO.—Vous venez très-soigneusement à votre heure.
BERNARDO.—Minuit vient de sonner: va regagner ton lit, Francisco.
FRANCISCO.—Pour cette délivrance, mille grâces. Le froid est aigre, et j'ai le coeur saisi.
BERNARDO.—Avez-vous eu une garde tranquille?
FRANCISCO.—Pas une souris qui ait bougé!
BERNARDO.—Allons, bonne nuit. Si vous rencontrez Horatio et Marcellus, mes compagnons de garde, priez-les de faire hâte.
(Horatio et Marcellus entrent.)
FRANCISCO.—Je pense que je les entends.—Holà! halte! qui va là?
HORATIO.—Amis de ce pays.
MARCELLUS.—Et hommes liges du roi de Danemark.
FRANCISCO.—Je vous souhaite une bonne nuit.
MARCELLUS.—Adieu donc, honnête soldat; qui vous a relevé?
FRANCISCO.—Bernardo a pris mon poste; je vous souhaite une bonne nuit.
(Francisco sort.)
MARCELLUS.—Holà! Bernardo!
BERNARDO.—Que dites-vous? Est-ce Horatio qui est là?
HORATIO.—Un petit morceau de lui, oui.
BERNARDO.—Soyez le bienvenu, Horatio. Soyez le bienvenu, bon Marcellus.
MARCELLUS.—Eh bien! cette chose a-t-elle encore apparu cette nuit?
BERNARDO.—Je n'ai rien vu.
MARCELLUS.—Horatio dit que c'est pure imagination, et il ne veut pas souffrir que la croyance ait prise sur lui, quant à cette terrible vision que nous avons vue par deux fois. C'est pourquoi j'ai