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Les compagnons de Jéhu. Alexandre DumasЧитать онлайн книгу.

Les compagnons de Jéhu - Alexandre Dumas


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cette période de lucidité progressive qui sépare le sommeil profond du réveil complet.

      Le gros monsieur de la diligence et sa femme avaient manifesté, ainsi que les autres voyageurs faisant partie du même convoi, la plus franche et la plus complète terreur. Placé à la gauche de Jean Picot, quand il avait vu le bandit s'approcher du marchand de vin, il avait, dans l'espérance illusoire de maintenir une distance honnête entre lui et le compagnon de Jéhu, reculé sa chaise sur celle de sa femme, qui, cédant au mouvement, de pression, avait essayé de reculer la sienne à son tour. Mais, comme la chaise qui venait ensuite était celle du citoyen Alfred de Barjols, qui, lui, n'avait aucun motif de craindre des hommes sur lesquels il venait de manifester une si haute et si avantageuse opinion, la chaise de la femme du gros monsieur avait trouvé un obstacle dans l'immobilité de celle du jeune noble; de sorte que, de même qu'il arriva à Marengo, huit ou neuf mois plus tard, lorsque le général en chef jugea qu'il était temps de reprendre l'offensive, le mouvement rétrograde s'était arrêté.

      Quant à celui-ci — c'est du citoyen Alfred de Barjols que nous parlons — son aspect, comme celui de l'abbé qui avait donné l'explication biblique touchant le roi d'Israël Jéhu et la mission qu'il avait reçue d'Élisée, son aspect, disons-nous, avait été celui d'un homme qui non seulement n'éprouve aucune crainte, mais qui s'attend même à l'événement qui arrive, si inattendu que soit cet événement. Il avait, le sourire sur les lèvres, suivi du regard l'homme masqué, et, si tous les convives n'eussent été si préoccupés des deux acteurs principaux de la scène qui s'accomplissait, ils eussent pu remarquer un signe presque imperceptible échangé des yeux entre le bandit et le jeune noble, signe qui, à linstant même, s'était reproduit entre le jeune noble et l'abbé.

      De leur côté, les deux voyageurs que nous avons introduits dans la salle de la table d'hôte et qui, comme nous l'avons dit, étaient assez isolés à l'extrémité de la table, avaient conservé l'attitude propre à leurs différents caractères. Le plus jeune des deux avait instinctivement porté la main à son côté, comme pour y chercher une arme absente, et s'était levé, comme mû par un ressort, pour s'élancer à la gorge de lhomme masqué, ce qui n'eût certes pas manqué d'arriver s'il eût été seul; mais le plus âgé, celui qui paraissait avoir non seulement l'habitude, mais le droit de lui donner des ordres, s'était, comme il l'avait déjà fait une première fois, contenté de le retenir vivement par son habit en lui disant d'un ton impératif, presque dur même:

      — Assis, Roland!

      Et le jeune homme s'était assis.

      Mais celui de tous les convives qui était demeuré, en apparence du moins, le plus impassible pendant toute la scène qui venait de s'accomplir, était un homme de trente-trois à trente-quatre ans, blond de cheveux, roux de barbe, calme et beau de visage, avec de grands yeux bleus, un teint clair, des lèvres intelligentes et fines, une taille élevée, et un accent étranger qui indiquait un homme né au sein de cette île dont le gouvernement nous faisait, à cette heure, une si rude guerre; autant qu'on pouvait en juger par les rares paroles qui lui étaient échappées, il parlait, malgré l'accent que nous avons signalé, la langue française avec une rare pureté. Au premier mot qu'il avait prononcé et dans lequel il avait reconnu cet accent d'outre-Manche, le plus âgé des deux voyageurs avait tressailli, et, se retournant du côté de son compagnon, habitué à lire la pensée dans son regard, il avait semblé lui demander comment un Anglais se trouvait en France au moment où la guerre acharnée que se faisaient les deux nations exilait naturellement les Anglais de la France, comme les Français de l'Angleterre. Sans doute, l'explication avait paru impossible à Roland, car celui-ci avait répondu d'un mouvement des yeux et d'un geste des épaules qui signifiaient: «Cela me paraît tout aussi extraordinaire qu'à vous; mais, si vous ne trouvez pas l'explication d'un pareil problème, vous, le mathématicien par excellence, ne me la demandez pas à moi.»

      Ce qui était resté de plus clair dans tout cela, dans l'esprit des deux jeunes gens, c'est que l'homme blond, à l'accent anglo-saxon, était le voyageur dont la calèche confortable attendait tout attelée à la porte de l'hôtel, et que ce voyageur était de Londres ou, tout au moins, de quelqu'un des comtés ou duchés de la Grande- Bretagne.

      Quant aux paroles qu'il avait prononcées, nous avons dit qu'elles étaient rares, si rares qu'en réalité c'étaient plutôt des exclamations que des paroles; seulement, à chaque explication qui avait été demandée sur l'état de la France, l'Anglais avait ostensiblement tiré un calepin de sa poche, et, en priant soit le marchand de vin, soit l'abbé, soit le jeune noble, de répéter l'explication — ce que chacun avait fait avec une complaisance pareille à la courtoisie qui présidait à la demande — il avait pris en note ce qui avait été dit de plus important, de plus extraordinaire et de plus pittoresque, sur l'arrestation de la diligence, l'état de la Vendée et les compagnons de Jéhu, remerciant chaque fois de la voix et du geste, avec cette roideur familière à nos voisins d'outre-mer, et chaque fois remettant dans la poche de côté de sa redingote son calepin enrichi d'une note nouvelle.

      Enfin, comme un spectateur tout joyeux d'un dénouement inattendu, il s'était écrié de satisfaction à l'aspect de l'homme masqué, avait écouté de toutes ses oreilles, avait regardé de tous ses yeux, ne l'avait point perdu de vue, que la porte ne se fût refermée derrière lui, et alors, tirant vivement son calepin de sa poche

      — Oh! monsieur, avait-il dit à son voisin, qui n'était autre que l'abbé, seriez-vous assez bon, si je ne m'en souvenais pas, de me répéter mot pour mot ce qu'a dit le gentleman qui sort d'ici?

      Il s'était mis à écrire aussitôt, et, la mémoire de l'abbé s'associant à la sienne, il avait eu la satisfaction de transcrire, dans toute son intégrité, la phrase du compagnon de Jéhu au citoyen Jean Picot.

      Puis, cette phrase transcrite, il s'était écrié avec un accent qui ajoutait un étrange cachet d'originalité à ses paroles

      — Oh! ce n'est qu'en France, en vérité, qu'il arrive de pareilles choses; la France, c'est le pays le plus curieux du monde. Je suis enchanté, messieurs, de voyager en France et de connaître les Français.

      Et la dernière phrase avait été dite avec tant de courtoisie qu'il ne restait plus, lorsqu'on l'avait entendue sortir de cette bouche sérieuse, qu'à remercier celui qui l'avait prononcée, fût-il le descendant des vainqueurs de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt.

      Ce fut le plus jeune des deux voyageurs qui répondit à cette politesse avec le ton d'insouciante causticité qui paraissait lui être naturel.

      — Par ma foi! je suis exactement comme vous, milord; je dis milord, car je présume que vous êtes Anglais.

      — Oui, monsieur, répondit le gentleman, j'ai cet honneur.

      — Eh bien! comme je vous le disais, continua le jeune homme, je suis enchanté de voyager en France et d'y voir ce que j'y ai vu. Il faut vivre sous le gouvernement des citoyens Gohier, Moulins, Roger Ducos, Sieyès et Barras, pour assister à une pareille drôlerie, et quand, dans cinquante ans, on racontera qu'au milieu d'une ville de trente mille âmes, en plein jour, un voleur de grand chemin est venu, le masque sur le visage, deux pistolets et un sabre à la ceinture, rapporter à un honnête négociant qui se désespérait de les avoir perdus, les deux cents louis qu'il lui avait pris la veille; quand on ajoutera que cela s'est passé à une table d'hôte où étaient assises vingt ou vingt-cinq personnes, et que ce bandit modèle s'est retiré sans que pas une des vingt ou vingt-cinq personnes présentes lui ait sauté à la gorge; j'offre de parier que l'on traitera d'infime menteur celui qui aura l'audace de raconter l'anecdote.

      Et le jeune homme, se renversant sur sa chaise, éclata de rire, mais d'un rire si nerveux et si strident, que tout le monde le regarda avec étonnement, tandis que, de son côté, son compagnon avait les yeux figés sur lui avec une inquiétude presque paternelle.

      — Monsieur, dit le citoyen Alfred de Barjols, qui, ainsi que les autres, paraissait impressionné de cette étrange modulation, plus triste, ou plutôt plus douloureuse que gaie, et dont, avant de répondre, il avait laissé éteindre jusqu'au dernier frémissement; monsieur, permettez-moi


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