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Romans et contes. Theophile GautierЧитать онлайн книгу.

Romans et contes - Theophile Gautier


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un soleil. Je restais ébloui, extatique et stupide. Abîmé dans la contemplation de sa beauté, ravi aux sons de sa voix céleste qui faisait de chaque idiome une musique ineffable, lorsqu’il me fallait absolument répondre, je balbutiais quelques mots incohérents qui devaient lui donner la plus pauvre idée de mon intelligence, quelquefois même un imperceptible sourire d’une ironie amicale passait comme une lueur rose sur ses lèvres charmantes à certaines phrases, qui dénotaient, de ma part, un trouble profond ou une incurable sottise.

      «Je ne lui avais encore rien dit de mon amour; devant elle j’étais sans pensée, sans force, sans courage; mon cœur battait comme s’il voulait sortir de ma poitrine et s’élancer sur les genoux de sa souveraine. Vingt fois j’avais résolu de m’expliquer, mais une insurmontable timidité me retenait; le moindre air froid ou réservé de la comtesse me causait des transes mortelles, et comparables à celles du condamné qui, la tête sur le billot, attend que l’éclair de la hache lui traverse le cou. Des contractions nerveuses m’étranglaient, des sueurs glacées baignaient mon corps. Je rougissais, je pâlissais et je sortais sans avoir rien dit, ayant peine à trouver la porte et chancelant comme un homme ivre sur les marches du perron.

      «Lorsque j’étais dehors, mes facultés me revenaient et je lançais au vent les dithyrambes les plus enflammés. J’adressais à l’idole absente mille déclarations d’une éloquence irrésistible. J’égalais dans ces apostrophes muettes les grands poëtes de l’amour.—Le Cantique des cantiques de Salomon avec son vertigineux parfum oriental et son lyrisme halluciné de haschich, les sonnets de Pétrarque avec leurs subtilités platoniques et leurs délicatesses éthérées, l’Intermezzo de Henri Heine avec sa sensibilité nerveuse et délirante n’approchent pas de ces effusions d’âme intarissables où s’épuisait ma vie. Au bout de chacun de ces monologues, il me semblait que la comtesse vaincue devait descendre du ciel sur mon cœur, et plus d’une fois je me croisai les bras sur ma poitrine, pensant les renfermer sur elle.

      «J’étais si complétement possédé que je passais des heures à murmurer en façon de litanies d’amour ces deux mots:—Prascovie Labinska,—trouvant un charme indéfinissable dans ces syllabes tantôt égrenées lentement comme des perles, tantôt dites avec la volubilité fiévreuse du dévot que sa prière même exalte. D’autres fois, je traçais le nom adoré sur les plus belles feuilles de vélin, en y apportant des recherches calligraphiques des manuscrits du moyen âge, rehauts d’or, fleurons d’azur, ramages de sinople. J’usais à ce labeur d’une minutie passionnée et d’une perfection puérile les longues heures qui séparaient mes visites à la comtesse. Je ne pouvais lire ni m’occuper de quoi que ce fût. Rien ne m’intéressait hors de Prascovie, et je ne décachetais même pas les lettres qui me venaient de France. A plusieurs reprises je fis des efforts pour sortir de cet état; j’essayai de me rappeler les axiomes de séduction acceptés par les jeunes gens, les stratagèmes qu’emploient les Valmont du café de Paris et les don Juan du Jockey-Club; mais à l’exécution le cœur me manquait, et je regrettais de ne pas avoir, comme le Julien Sorel de Stendhal, un paquet d’épîtres progressives à copier pour les envoyer à la comtesse. Je me contentais d’aimer, me donnant tout entier sans rien demander en retour, sans espérance même lointaine, car mes rêves les plus audacieux osaient à peine effleurer de leurs lèvres le bout des doigts rosés de Prascovie. Au quinzième siècle, le jeune novice le front sur les marches de l’autel, le chevalier agenouillé dans sa roide armure, ne devaient pas avoir pour la madone une adoration plus prosternée.»

      M. Balthazar Cherbonneau avait écouté Octave avec une attention profonde, car pour lui le récit du jeune homme n’était pas seulement une histoire romanesque, et il se dit comme à lui-même pendant une pause du narrateur: «Oui, voilà bien le diagnostic de l’amour-passion, une maladie curieuse et que je n’ai rencontrée qu’une fois,—à Chandernagor,—chez une jeune paria éprise d’un brahme; elle en mourut, la pauvre fille, mais c’était une sauvage; vous, monsieur Octave, vous êtes un civilisé, et nous vous guérirons.» Sa parenthèse fermée, il fit signe de la main à M. de Saville de continuer; et, reployant sa jambe sur la cuisse comme la patte articulée d’une sauterelle, de manière à faire soutenir son menton par son genou, il s’établit dans cette position impossible pour tout autre, mais qui semblait spécialement commode pour lui.

      «Je ne veux pas vous ennuyer du détail de mon martyre secret, continua Octave; j’arrive à une scène décisive. Un jour, ne pouvant plus modérer mon impérieux désir de voir la comtesse, je devançai l’heure de ma visite accoutumée; il faisait un temps orageux et lourd. Je ne trouvai pas madame Labinska au salon. Elle s’était établie sous un portique soutenu de sveltes colonnes, ouvrant sur une terrasse par laquelle on descendait au jardin; elle avait fait apporter là son piano, un canapé et des chaises de jonc; des jardinières, comblées de fleurs splendides—nulle part elles ne sont si fraîches ni si odorantes qu’à Florence—remplissaient les entre-colonnements, et imprégnaient de leur parfum les rares bouffées de brise qui venaient de l’Apennin. Devant soi, par l’ouverture des arcades, l’on apercevait les ifs et les buis taillés du jardin, d’où s’élançaient quelques cyprès centenaires, et que peuplaient des marbres mythologiques dans le goût tourmenté de Baccio Bandinelli ou de l’Ammanato. Au fond, au-dessus de la silhouette de Florence, s’arrondissait le dôme de Santa Maria del Fiore et jaillissait le beffroi carré du Palazzo Vecchio.

      «La comtesse était seule, à demi couchée sur le canapé de jonc; jamais elle ne m’avait paru si belle; son corps nonchalant, alangui par la chaleur, baignait comme celui d’une nymphe marine dans l’écume blanche d’un ample peignoir de mousseline des Indes que bordait du haut en bas une garniture bouillonnée comme la frange d’argent d’une vague; une broche en acier niellé du Khorassan fermait à la poitrine cette robe aussi légère que la draperie qui voltige autour de la Victoire rattachant sa sandale. Des manches ouvertes à partir de la saignée, comme les pistils du calice d’une fleur, sortaient ses bras d’un ton plus pur que celui de l’albâtre où les statuaires florentins taillent des copies de statues antiques; un large ruban noir noué à la ceinture, et dont les bouts retombaient, tranchait vigoureusement sur toute cette blancheur. Ce que ce contraste de nuances attribuées au deuil aurait pu avoir de triste, était égayé par le bec d’une petite pantoufle circassienne sans quartier en maroquin bleu, gaufrée d’arabesques jaunes, qui pointait sous le dernier pli de la mousseline.

      «Les cheveux blonds de la comtesse, dont les bandeaux bouffants, comme s’ils eussent été soulevés par un souffle, découvraient son front pur, et ses tempes transparentes formaient comme un nimbe, où la lumière pétillait en étincelles d’or.

      «Près d’elle, sur une chaise, palpitait au vent un grand chapeau de paille de riz, orné de longs rubans noirs pareils à celui de la robe, et gisait une paire de gants de Suède qui n’avaient pas été mis. A mon aspect, Prascovie ferma le livre qu’elle lisait—les poésies de Mickiewicz—et me fit un petit signe de tête bienveillant; elle était seule,—circonstance favorable et rare.—Je m’assis en face d’elle sur le siége qu’elle me désigna. Un de ces silences, pénibles quand ils se prolongent, régna quelques minutes entre nous. Je ne trouvais à mon service aucune de ces banalités de la conversation; ma tête s’embarrassait, des vagues de flammes me montaient du cœur aux yeux, et mon amour me criait: «Ne perds pas cette occasion suprême.»

      «J’ignore ce que j’eusse fait, si la comtesse, devinant la cause de mon trouble, ne se fût redressée à demi en tendant vers moi sa belle main, comme pour me fermer la bouche.

      «—Ne dites pas un mot, Octave; vous m’aimez, je le sais, je le sens, je le crois; je ne vous en veux point, car l’amour est involontaire. D’autres femmes plus sévères se montreraient offensées; moi, je vous plains, car je ne puis vous aimer, et c’est une tristesse pour moi d’être votre malheur.—Je regrette que vous m’ayez rencontrée, et maudis le caprice qui m’a fait quitter Venise pour Florence. J’espérais d’abord que ma froideur persistante vous lasserait et vous éloignerait; mais le vrai amour, dont je vois tous les signes dans vos yeux, ne se rebute de rien. Que ma douceur ne fasse naître en vous aucune illusion, aucun rêve, et ne prenez pas ma pitié pour un encouragement.


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