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Germinie Lacerteux. Edmond de GoncourtЧитать онлайн книгу.

Germinie Lacerteux - Edmond de Goncourt


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et faisait lentement son pèlerinage de tombe en tombe. Elle jetait les fleurs flétries, balayait les feuilles mortes, nouait les couronnes, s'asseyait sur son pliant, regardait, songeait, détachait du bout de son ombrelle, distraitement, une moisissure de mousse sur la pierre plate. Puis elle se levait, se retournait comme pour dire à revoir à la tombe qu'elle quittait, allait plus loin, s'arrêtait encore, causait tout bas, comme elle avait déj fait, avec ce qui dormait de son cœur sous cette pierre; et sa visite ainsi faite à tous les morts de ses affections, elle revenait lentement, religieusement, s'enveloppant de silence et comme ayant peur de parler.

       Table des matières

      Dans sa rêverie, Mlle de Varandeuil avait fermé les yeux.

      La parole de la bonne s'arrêta, et le reste de sa vie, qui était sur ses lèvres ce soir-là, rentra dans son cœur.

      La fin de son histoire était ceci.

      Lorsque la petite Germinie Lacerteux était arrivée à Paris, n'ayant pas encore quinze ans, ses sœurs, pressées de lui voir gagner sa vie et de lui mettre son pain à la main, l'avaient placée dans un petit café du boulevard où elle servait à la fois de femme de chambre à la maîtresse du café et d'aide aux garçons pour les gros ouvrages de l'établissement. L'enfant, sortie de son village et tombée là brusquement, se trouva dépaysée, tout effarouchée dans cette place, dans ce service. Elle sentait le premier instinct de ses pudeurs et la femme qu'elle allait être frissonner à ce contact perpétuel avec les garçons, à cette communauté de travail, de repas, d'existence avec des hommes; et chaque fois qu'elle avait une sortie et qu'elle allait chez ses sœurs, c'étaient des pleurs, des désespoirs, des scènes où, sans se plaindre précisément de rien, elle montrait comme une terreur de rentrer, disant qu'elle ne voulait plus rester là, qu'elle s'y déplaisait, qu'elle aimait mieux retourner chez eux. On lui répondait qu'elle avait déj coûté assez d'argent pour venir, que c'étaient des caprices, qu'elle était très-bien où elle était, et on la renvoyait au café tout en larmes. Elle n'osait dire tout ce qu'elle souffrait à côté de ces garçons de café, effrontés, blagueurs, cyniques, nourris de restes de débauche, salis de tous les vices qu'ils servent, et mêlant au fond d'eux les pourritures d'un arlequin d'orgie. À toute heure, elle avait à subir les lâches plaisanteries, les mystifications cruelles, les méchancetés de ces hommes heureux d'avoir leur petit martyr dans cette petite fillette sauvage, ne sachant rien, l'air malingre et opprimé, peureuse et ombrageuse, maigre et pitoyablement vêtue de ses mauvaises petites robes de campagne. Étourdie, comme assommée sous ce supplice de toutes les heures, elle devint leur souffre-douleur. Ils

      se jouaient de ses ignorances, ils la trompaient et l'abusaient par des farces, ils l'accablaient sous la fatigue, ils l'hébétaient de risées continues et impitoyables qui poussaient presque à l'imbécillité cette intelligence ahurie. Puis encore ils la faisaient rougir de choses qu'ils lui disaient et dont elle se sentait honteuse, sans les comprendre. Ils touchaient avec des demi-mots d'ordure à la naïveté de ses quatorze ans. Et ils s'amusaient à mettre les yeux de sa curiosité d'enfant à la serrure des cabinets.

      La petite voulait se confier à ses sœurs, elle n'osait. Comme, avec la nourriture, il lui venait un peu de chair au corps, un peu de couleur aux joues, une apparence de femme, les libertés augmentaient et s'enhardissaient. Il y avait des familiarités, des gestes, des approches, auxquels elle échappait et dont elle se sauvait pure, mais qui altéraient sa candeur en effleurant son innocence. Rudoyée, grondée, brutalisée par le maître de l'établissement, habitué à abuser de ses bonnes, et qui lui en voulait de n'avoir ni l'âge ni l'étoffe d'une maîtresse, elle ne trouvait un peu d'appui, un peu d'humanité qu'auprès de sa femme. Elle se mit à aimer cette femme avec une sorte de dévouement animal et à lui obéir avec des docilités de chien. Elle faisait toutes ses commissions, sans réflexion ni conscience. Elle allait porter ses lettres à ses amants, et elle était adroite à les porter. Elle se faisait agile, leste, ingénument rusée, pour passer, glisser, filer entre les soupçons éveillés du mari, et sans trop savoir ce qu'elle faisait, ce qu'elle cachait, elle avait une méchante petite joie d'enfant et de singe à se dire vaguement qu'elle faisait un peu de mal à cet homme et à cette maison qui lui en faisaient tant. Il se trouvait aussi parmi ses camarades un vieux garçon du nom de Joseph qui la défendait, la prévenait des méchants tours complotés contre elle, et arrêtait, quand elle était là, les conversations trop libres avec l'autorité de ses cheveux blancs et d'un intérêt paternel. Cependant l'horreur de cette maison croissait chaque jour pour Germinie. Une semaine ses sœurs furent obligées de la ramener de force au café.

      À quelques jours de là, comme il y avait une grande revue au Champ de Mars, les garçons eurent congé pour la journée. Il ne resta que Germinie et le vieux Joseph. Joseph était occupé dans une petite pièce noire ranger du linge sale. Il dit à Germinie de venir l'aider. Elle entra, cria, tomba, pleura, supplia, lutta, appela désespérément… La maison vide resta sourde.

      Revenue à elle, Germinie courut s'enfermer dans sa chambre. On ne la revit plus de la journée. Le lendemain, quand Joseph voulut lui parler et s'avança vers elle, elle eut un recul de terreur, un geste égaré, une épouvante de folle. Longtemps toutes les fois qu'un homme s'approchait d'elle, elle se retirait involontairement d'un premier mouvement brusque, frémissant et nerveux, comme frappée de la peur d'une bête éperdue qui cherche par où se sauver. Joseph, qui craignait qu'elle ne le dénonçât, se laissa tenir à distance et respecta l'affreux dégoût qu'elle lui montrait.

      Elle devint grosse. Un dimanche, elle avait été passer la soirée chez sa sœur la portière; après des vomissements, elle se trouva mal. Un médecin, locataire de la maison, prenait sa clef dans la loge: les deux sœurs apprirent par lui la position de leur cadette. Les révoltes d'orgueil intraitables et brutales qu'a l'honneur du peuple, les sévérités implacables de la dévotion, éclatèrent chez les deux femmes en colères indignées. Leur confusion se tourna en rage. Germinie reprit connaissance sous leurs coups, sous leurs injures, sous les blessures de leurs mains, sous les outrages de leur bouche. Il y avait là son beau-frère, qui ne lui pardonnait pas l'argent qu'avait coûté son voyage et qui la regardait d'un air goguenard avec une joie sournoise et féroce d'Auvergnat, avec un rire qui mit aux joues de la jeune fille plus de rouge encore que les soufflets de ses sœurs.

      Elle reçut les coups, elle ne repoussa pas les injures. Elle ne chercha ni à se défendre, ni à s'excuser. Elle ne raconta point comment les choses s'étaient passées, et combien peu il y avait de sa volonté dans son malheur. Elle resta muette: elle avait une vague espérance qu'on la tuerait. Sa sœur aînée lui demandant s'il n'y avait pas eu de violence, lui disant qu'il y avait des commissaires de police, des tribunaux, elle ferma les yeux devant l'idée horrible d'étaler sa honte. Un instant seulement, lorsque le souvenir de sa mère lui fut jeté à la face, elle eut un regard, un éclair des yeux dont les deux femmes se sentirent la conscience traversée: elles se souvinrent que c'étaient elles qui l'avaient placée, retenue dans cette place, exposée, presque forcée à sa faute.

      Le soir même, la plus jeune sœur de Germinie l'emmenait dans la rue Saint-Martin, chez une repriseuse de cachemires, avec laquelle elle logeait, et qui, presque folle de religion était porte-bannière d'une confrérie de la Vierge. Elle la mit à coucher avec elle, par terre, sur un matelas, et l'ayant là toute la nuit sous la main, elle soulagea sur elle ses longues et venimeuses jalousies, le ressentiment des préférences, des caresses données à Germinie par sa mère, par son père. Ce furent mille petits supplices, des méchancetés brutales ou hypocrites, des coups de pied dont elle lui meurtrissait les jambes, des avancements de corps avec lesquels peu à peu elle poussait sa compagne de lit, par le froid de l'hiver, sur le carreau de la chambre sans feu. Dans la journée, la repriseuse s'emparait de Germinie, la catéchisait, la sermonnait et lui faisait, avec le détail des supplices de l'autre vie, une épouvantable peur matérielle de l'enfer dont elle lui faisait toucher les flammes.

      Elle vécut là quatre mois, enfermée, sans qu'on lui permît de sortir. Au bout de quatre mois, elle accouchait


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