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Le meunier d'Angibault. George SandЧитать онлайн книгу.

Le meunier d'Angibault - George Sand


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vous le demandais, à présent, ce sacrifice que la mort de votre époux rendrait, à coup sûr, moins terrible... moins effrayant....

      Madame de Blanchemont redevint pâle et sérieuse.

      —Henri, répondit-elle, je serais offensée et blessée jusqu'au fond du coeur d'une semblable pensée, lorsque je viens de vous offrir ma main et que vous semblez la refuser.

      —Je suis bien malheureux de ne pouvoir me faire comprendre, et d'être pris pour un misérable, quand je sens en moi l'héroïsme de l'amour!... reprit-il avec amertume. Le mot vous parait ambitieux et doit vous faire sourire de pitié. Il est vrai pourtant, et Dieu me tiendra compte de ma souffrance... elle est atroce, elle est au-dessus de mon courage, peut-être.

      Et Henri fondit en larmes.

      La douleur de ce jeune homme était si profonde et si sincère, que madame de Blanchemont en fut effrayée. Il y avait dans ces larmes brûlantes comme un refus invincible d'être heureux, comme un adieu éternel à toutes les illusions de l'amour et de la jeunesse.

      —O mon cher Henri! s'écria Marcelle, quel mal avez-vous donc résolu de nous faire à tous deux? Pourquoi ce désespoir, quand vous êtes le maître de ma vie, quand rien ne nous empêche plus d'être l'un à l'autre devant Dieu et devant les hommes? Est-ce donc mon fils qui est un obstacle entre nous? ne vous sentez-vous pas l'âme assez grande pour répartir sur lui une part de l'affection que vous avez pour moi! Craignez-vous d'avoir à vous reprocher un jour le malheur et l'abandon de cet enfant de mes entrailles!

      —Votre fils! dit Henri en sanglotant, j'aurais une crainte plus sérieuse que celle de ne l'aimer pas. Je craindrais de l'aimer trop, et de ne pouvoir me résigner à voir sa vie s'engager en sens inverse de la mienne dans le courant du siècle. L'usage et l'opinion me commanderaient de le laisser au monde, et je voudrais l'en arracher, dussé-je le rendre malheureux, pauvre et désolé avec moi.... Non, je ne pourrais le regarder avec assez d'indifférence et d'égoïsme pour consentir à en faire un homme semblable à ceux de sa classe; non! non!... cela, et autre chose, et tout, dans votre position et dans la mienne, est un obstacle insurmontable. De quelque côté que j'envisage un tel avenir, je n'y vois que lutte insensée, malheur pour vous, anathème sur moi!... C'est impossible, Marcelle, à jamais impossible! je vous aime trop pour accepter des sacrifices dont vous ne pouvez ni prévoir les résultats ni mesurer l'étendue. Vous ne me connaissez pas, je le vois bien. Vous me prenez pour un rêveur indécis et faible. Je suis un rêveur obstiné et incorrigible. Vous m'avez peut-être accusé quelquefois d'affectation; vous avez cru qu'un mot de vous me ramènerait à ce que vous croyez la raison et la vérité. Oh! je suis plus malheureux que vous ne pensez, et je vous aime plus que vous ne pouvez le comprendre maintenant. Plus tard... oui, plus tard, vous me remercierez au fond de vos pensées d'avoir su être malheureux tout seul.

      —Plus tard? et pourquoi? et quand donc? que voulez-vous dire?

      —Plus tard, vous dis-je, quand vous vous éveillerez de ce rêve sombre et maudit où je vous ai entraînée, quand vous retournerez au monde et que vous en partagerez les enivrements faciles et doux; quand vous ne serez plus un ange, enfin, et que vous redescendrez sur la terre.

      —Oui, oui, quand je serai desséchée par l'égoïsme et corrompue par la flatterie! Voilà ce que vous voulez dire, voilà ce que vous augurez, de moi! Dans votre orgueil sauvage, vous ne me croyez pas capable d'embrasser vos idées et de comprendre votre coeur. Tranchons le mot, vous ne me trouvez pas digne de vous, Henri!

      —Ce que vous dites est affreux, Madame, et cette lutte ne peut se supporter plus longtemps. Laissez-moi fuir, car nous ne pouvons pas nous comprendre maintenant.

      —Vous me quittez ainsi?

      —Non, je ne vous quitte pas; je vais, loin de votre présence, vous contempler en moi-même et vous adorer dans le secret de mon coeur. Je vais souffrir éternellement, mais avec l'espoir que vous m'oublierez, avec le remords d'avoir désiré et recherché votre affection, avec la consolation du moins de n'en avoir pas lâchement abusé.

      Madame de Blanchemont s'était levée pour retenir Henri. Elle retomba brisée sur son banc.

      —Pourquoi donc avez-vous désiré de me voir? lui demanda-t-elle d'un ton froid et offensé en le voyant s'éloigner.

      —Oui, oui, dit-il, vous avez raison de me le reprocher. C'est une dernière lâcheté de ma part; je le sentais, et je cédais au besoin de vous voir encore une fois.... J'espérais que je vous retrouverais changée pour moi; votre silence me l'avait fait croire; j'étais dévoré de chagrin, et je croyais trouver dans votre froideur la force de me guérir. Pourquoi suis-je venu? Pourquoi m'aimez-vous? Ne suis-je pas le plus grossier, le plus ingrat, le plus sauvage, le plus haïssable des hommes? Mais il vaut mieux que vous me voyiez ainsi, et que vous sachiez bien qu'il n'y a rien à regretter en moi.... Cela vaut mieux ainsi, et j'ai bien fait de venir, n'est-ce pas?

      Henri parlait avec une sorte d'égarement, ses traits graves et purs étaient bouleversés, sa voix, ordinairement sympathique et douce avait un timbre mat et dur qui faisait mal à entendre. Marcelle voyait bien sa souffrance, mais la sienne propre était si poignante qu'elle ne pouvait rien faire et rien dire pour leur mutuel soulagement. Elle restait pâle et muette, les mains crispées l'une dans l'autre et le corps raide comme une statue. Au moment de sortir, Henri se retourna, et la voyant ainsi, il vint tomber à ses pieds qu'il couvrit de larmes et de baiser.—Adieu, dit-il, la plus belle et la plus pure de toutes les femmes, la meilleure des amies, la plus grande des amantes! Puisses-tu trouver un coeur digne de toi, un homme qui t'aime comme je t'aime, et qui ne ne t'apporte pas en dot le découragement et l'horreur de la vie! Puisses-tu être heureuse et bienfaisante sans traverser les luttes d'une existence comme la mienne! Enfin, s'il est encore dans le monde où tu vis un reste de loyauté et de charité humaine, puisses-tu le ranimer de ton souffle divin, et trouver grâce devant Dieu pour ta caste et pour ton siècle que tu es digne de racheter à toi seule!

      Ayant ainsi parlé, Henri se précipita dehors, oubliant qu'il laissait Marcelle au désespoir. Il semblait poursuivi par les furies.

      Madame de Blanchemont demeura longtemps comme pétrifiée. Lorsqu'elle retourna dans son appartement, elle marcha lentement dans sa chambre jusqu'aux premières lueurs du matin, sans verser une larme, sans troubler par un soupir le silence de la nuit.

      Il serait téméraire d'affirmer que cette veuve de vingt-deux ans, belle, riche et remarquée dans le monde pour sa grâce, ses talents et son esprit, ne fut pas humiliée et indignée jusqu'à un certain point de voir refuser sa main par un homme sans naissance, sans fortune et sans aucune renommée. La fierté offensée de celle jeune femme lui tint probablement lieu de courage dans les premiers moments. Mais bientôt la véritable noblesse de ses sentiments lui suggéra des réflexions plus sérieuses, et, pour la première fois, elle plongea un profond regard dans sa propre vie et dans la vie générale des êtres dont elle était entourée. Elle se rappela tout ce que Henri lui avait dit en d'autres temps, alors qu'il ne pouvait être question entre eux que d'un amour sans espoir. Elle s'étonna de n'avoir pas assez pris au sérieux ce qu'elle considérait alors comme des idées romanesques chez ce jeune homme véritablement austère. Elle commença à le juger avec le calme qu'une volonté généreuse et forte ramène au milieu des plus violentes émotions du coeur. A mesure que les heures de la nuit s'écoulaient et que les horloges lointaines se les jetaient l'une à l'autre, d'une voix argentine et claire, dans le silence de la grande ville endormie, Marcelle arrivait à celle lucidité d'esprit que le recueillement d'une longue veille apporte à la douleur. Élevée dans d'autres principes que ceux de Lémor, elle avait été pourtant prédestinée en quelque sorte à partager l'amour de ce plébéien, et à s'y réfugier contre toutes les langueurs et toutes les tristesses de la vie aristocratique. Elle était de ces âmes tendres et fortes à la fois, qui ont besoin de se dévouer, et qui ne conçoivent pas d'autre bonheur que celui qu'elles donnent. Malheureuse dans son ménage, ennuyée dans le monde, elle s'était laissée aller avec la confiance romanesque d'une jeune fille à ce sentiment dont elle s'était bientôt fait une religion. Sincèrement dévote dans son adolescence, elle était nécessairement devenue passionnée


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