De l'origine des espèces. Чарльз ДарвинЧитать онлайн книгу.
qui comprennent beaucoup d'espèces, un nombre relativement plus considérable d'espèces dominantes. Toutefois, il y a tant de causes en jeu tendant à contre-balancer ce résultat, que je suis très surpris que mes tableaux indiquent même une petite majorité en faveur des grands genres. Je ne mentionnerai ici que deux de ces causes. Les plantes d'eau douce et celles d'eau salée sont ordinairement très répandues et ont une extension géographique considérable, mais cela semble résulter de la nature des stations qu'elles occupent et n'avoir que peu ou pas de rapport avec l'importance des genres auxquels ces espèces appartiennent. De plus, les plantes placées très bas dans l'échelle de l'organisation sont ordinairement beaucoup plus répandues que les plantes mieux organisées; ici encore, il n'y a aucun rapport immédiat avec l'importance des genres. Nous reviendrons, dans notre chapitre sur la distribution géographique, sur la cause de la grande dissémination des plantes d'organisation inférieure.
En partant de ce principe, que les espèces ne sont que des variétés bien tranchées et bien définies, j'ai été amené à supposer que les espèces des genres les plus riches dans chaque pays doivent plus souvent offrir des variétés que les espèces des genres moins riches; car, chaque fois que des espèces très voisines se sont formées (j'entends des espèces d'un même genre), plusieurs variétés ou espèces naissantes doivent, en règle générale, être actuellement en voie de formation. Partout où croissent de grands arbres, on peut s'attendre à trouver de jeunes plants. Partout où beaucoup d'espèces d'un genre se sont formées en vertu de variations, c'est que les circonstances extérieures ont favorisé la variabilité; or, tout porte à supposer que ces mêmes circonstances sont encore favorables à la variabilité. D'autre part, si l'on considère chaque espèce comme le résultat d'autant d'actes indépendants de création, il n'y a aucune raison pour que les groupes comprenant beaucoup d'espèces présentent plus de variétés que les groupes en comprenant très peu.
Pour vérifier la vérité de cette induction, j'ai classé les plantes de douze pays et les insectes coléoptères de deux régions en deux groupes à peu près égaux, en mettant d'un côté les espèces appartenant aux genres les plus riches, et de l'autre celles appartenant aux genres les moins riches; or, il s'est invariablement trouvé que les espèces appartenant aux genres les plus riches offrent plus de variétés que celles appartenant aux autres genres. En outre, les premières présentent un plus grand nombre moyen de variétés que les dernières. Ces résultats restent les mêmes quand on suit un autre mode de classement et quand on exclut des tableaux les plus petits genres, c'est-à-dire les genres qui ne comportent que d'une à quatre espèces. Ces faits ont une haute signification si l'on se place à ce point de vue que les espèces ne sont que des variétés permanentes et bien tranchées; car, partout où se sont formées plusieurs espèces du même genre, ou, si nous pouvons employer cette expression, partout où les causes de cette formation ont été très actives, nous devons nous attendre à ce que ces causes soient encore en action, d'autant que nous avons toute raison de croire que la formation des espèces doit être très lente. Cela est certainement le cas si l'on considère les variétés comme des espèces naissantes, car mes tableaux démontrent clairement que, en règle générale, partout où plusieurs espèces d'un genre ont été formées, les espèces de ce genre présentent un nombre de variétés, c'est-à-dire d'espèces naissantes, beaucoup au-dessus de la moyenne. Ce n'est pas que tous les genres très riches varient beaucoup actuellement et accroissent ainsi le nombre de leurs espèces, ou que les genres moins riches ne varient pas et n'augmentent pas, ce qui serait fatal à ma théorie; la géologie nous prouve, en effet, que, dans le cours des temps, les genres pauvres ont souvent beaucoup augmenté et que les genres riches, après avoir atteint un maximum, ont décliné et ont fini par disparaître. Tout ce que nous voulons démontrer, c'est que, partout où beaucoup d'espèces d'un genre se sont formées, beaucoup en moyenne se forment encore, et c'est là certainement ce qu'il est facile de prouver.
BEAUCOUP D'ESPÈCES COMPRISES DANS LES GENRES LES PLUS RICHES RESSEMBLENT À DES VARIÉTÉS EN CE QU'ELLES SONT TRÈS ÉTROITEMENT, MAIS INÉGALEMENT VOISINES LES UNES DES AUTRES, ET EN CE QU'ELLES ONT UN HABITAT TRES LIMITÉ.
D'autres rapports entre les espèces des genres riches et les variétés qui en dépendent, méritent notre attention. Nous avons vu qu'il n'y a pas de critérium infaillible qui nous permette de distinguer entre les espèces et les variétés bien tranchées. Quand on ne découvre pas de chaînons intermédiaires entre des formes douteuses, les naturalistes sont forcés de se décider en tenant compte de la différence qui existe entre ces formes douteuses, pour juger, par analogie, si cette différence suffit pour les élever au rang d'espèces. En conséquence, la différence est un critérium très important qui nous permet de classer deux formes comme espèces ou comme variétés. Or, Fries a remarqué pour les plantes, et Westwood pour les insectes, que, dans les genres riches, les différences entre les espèces sont souvent très insignifiantes. J'ai cherché à apprécier numériquement ce fait par la méthode des moyennes; mes résultats sont imparfaits, mais ils n'en confirment pas moins cette hypothèse. J'ai consulté aussi quelques bons observateurs, et après de mûres réflexions ils ont partagé mon opinion. Sous ce rapport donc, les espèces des genres riches ressemblent aux variétés plus que les espèces des genres pauvres. En d'autres termes, on peut dire que, chez les genres riches où se produisent actuellement un nombre de variétés, ou espèces naissantes, plus grand que la moyenne, beaucoup d'espèces déjà produites ressemblent encore aux variétés, car elles diffèrent moins les unes des autres qu'il n'est ordinaire.
En outre, les espèces des genres riches offrent entre elles les mêmes rapports que ceux que l'on constate entre les variétés d'une même espèce. Aucun naturaliste n'oserait soutenir que toutes les espèces d'un genre sont également distinctes les unes des autres; on peut ordinairement les diviser en sous-genres, en sections, ou en groupes inférieurs. Comme Fries l'a si bien fait remarquer, certains petits groupes d'espèces se réunissent ordinairement comme des satellites autour d'autres espèces. Or, que sont les variétés, sinon des groupes d'organismes inégalement apparentés les uns aux autres et réunis autour de certaines formes, c'est-à- dire autour des espèces types? Il y a, sans doute, une différence importante entre les variétés et les espèces, c'est-à-dire que la somme des différences existant entre les variétés comparées les unes avec les autres, ou avec l'espèce type, est beaucoup moindre que la somme des différences existant entre les espèces du même genre. Mais, quand nous en viendrons à discuter le principe de la divergence des caractères, nous trouverons l'explication de ce fait, et nous verrons aussi comment il se fait que les petites différences entre les variétés tendent à s'accroître et à atteindre graduellement le niveau des différences plus grandes qui caractérisent les espèces.
Encore un point digne d'attention. Les variétés ont généralement une distribution fort restreinte; c'est presque une banalité que cette assertion, car si une variété avait une distribution plus grande que celle de l'espèce qu'on lui attribue comme souche, leur dénomination aurait été réciproquement inverse. Mais il y a raison de croire que les espèces très voisines d'autres espèces, et qui sous ce rapport ressemblent à des variétés, offrent souvent aussi une distribution limitée. Ainsi, par exemple, M. H.-C. Watson a bien voulu m'indiquer, dans l'excellent Catalogue des plantes de Londres (4° édition), soixante-trois plantes qu'on y trouve mentionnées comme espèces, mais qu'il considère comme douteuses à cause de leur analogie étroite avec d'autres espèces. Ces soixante-trois espèces s'étendent en moyenne sur 6.9 des provinces ou districts botaniques entre lesquels M. Watson a divisé la Grande-Bretagne. Dans ce même catalogue, on trouve cinquante-trois variétés reconnues s'étendant sur 7.7 de ces provinces, tandis que les espèces auxquelles se rattachent ces variétés s'étendent sur 14.3 provinces. Il résulte de ces chiffres que les variétés, reconnues comme telles, ont à peu près la même distribution restreinte que ces formes très voisines que M. Watson m'a indiquées comme espèces douteuses, mais qui sont universellement considérées par les botanistes anglais comme de bonnes et véritables espèces.
RÉSUMÉ.
En résumé, on ne peut distinguer les variétés des espèces que: 1° par la découverte de chaînons