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Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave MirbeauЧитать онлайн книгу.

Le Journal d'une Femme de Chambre - Octave  Mirbeau


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pouvais me reposer un peu...

      Tout d'abord, je n'ai pas confiance. Certes, Madame est assez gentille avec moi. Elle a bien voulu m'adresser quelques compliments sur ma tenue, et se féliciter des renseignements qu'elle a reçus... Oh! sa tête, si elle savait qu'ils sont faux, du moins que ce sont des renseignements de complaisance... Ce qui l'épate surtout, c'est mon élégance. Et puis, le premier jour, il est rare qu'elles ne soient pas gentilles, ces chameaux-là... Tout nouveau, tout beau... C'est un air connu... Oui, et le lendemain, l'air change, connu, aussi... D'autant que Madame a des yeux très froids, très durs, et qui ne me reviennent pas... des yeux d'avare, pleins de soupçons aigus et d'enquêtes policières... Je n'aime pas non plus ses lèvres trop minces, sèches, et comme recouvertes d'une pellicule blanchâtre... ni sa parole brève, tranchante qui, d'un mot aimable, fait presque une insulte ou une humiliation. Lorsque, en m'interrogeant sur ceci, sur cela, sur mes aptitudes et sur mon passé, elle m'a regardé avec cette impudence tranquille et sournoise de vieux douanier qu'elles ont toutes, je me suis dit:

      —Il n'y a pas d'erreur... Encore une qui doit mettre tout sous clé, compter chaque soir les morceaux de sucre et les grains de raisin, et faire des marques aux bouteilles... Allons! allons! C'est toujours la même chose pour changer...

      Cependant, il faudra voir et ne pas m'en tenir à cette première impression. Parmi tant de bouches qui m'ont parlé, parmi tant de regards qui m'ont fouillé l'âme, je trouverai, peut-être, un jour—est-ce qu'on sait?—la bouche amie... et le regard pitoyable... Il ne m'en coûte rien d'espérer...

      Aussitôt arrivée, encore étourdie par quatre heures de chemin de fer en troisième classe, et sans qu'on ait, à la cuisine, seulement songé à m'offrir une tartine de pain, Madame m'a promenée, dans toute la maison, de la cave au grenier, pour me mettre immédiatement «au courant de la besogne». Oh! elle ne perd pas son temps, ni le mien... Ce que c'est grand cette maison! Ce qu'il y en a, là-dedans, des affaires et des recoins!... Ah bien! merci!... Pour la tenir en état, comme il faudrait, quatre domestiques n'y suffiraient pas... En plus du rez-de-chaussée, très important—car deux petits pavillons, en forme de terrasse s'y surajoutent et le continuent—elle se compose de deux étages que je devrai descendre et monter sans cesse, attendu que Madame, qui se tient dans un petit salon près de la salle à manger, a eu l'ingénieuse idée de placer la lingerie, où je dois travailler, sous les combles, à côté de nos chambres. Et des placards, et des armoires, et des tiroirs et des resserres, et des fouillis de toute sorte, en veux-tu, en voilà... Jamais, je ne me retrouverai dans tout cela...

      A chaque minute, en me montrant quelque chose, Madame me disait:

      —Il faudra faire bien attention à ça, ma fille. C'est très joli, ça, ma fille... C'est très rare, ma fille... Ça coûte très cher, ma fille.

      Elle ne pourrait donc pas m'appeler par mon nom, au lieu de dire, tout le temps: «ma fille» par ci... «ma fille» par là, sur ce ton de domination blessante, qui décourage les meilleures volontés et met aussitôt tant de distance, tant de haines, entre nos maîtresses et nous?... Est-ce que je l'appelle: «la petite mère», moi?... Et puis, Madame n'a dans la bouche que ce mot: «très cher». C'est agaçant... Tout ce qui lui appartient, même de pauvres objets de quatre sous, «c'est très cher». On n'a pas idée où la vanité d'une maîtresse de maison peut se nicher... Si ça ne fait pas pitié..., elle m'a expliqué le fonctionnement d'une lampe à pétrole, pareille d'ailleurs à toutes les autres lampes, et elle m'a recommandé:

      —Ma fille, vous savez que cette lampe coûte très cher, et qu'on ne peut la réparer qu'en Angleterre. Ayez-en soin, comme de la prunelle de vos yeux...

      J'ai eu envie de lui répondre:

      —Hé! dis donc, la petite mère, et ton pot de chambre... est-ce qu'il coûte très cher?... Et l'envoie-t-on à Londres quand il est fêlé?

      Non, là, vrai!... Elles en ont du toupet, et elles en font du chichi, pour peu de chose. Et quand je pense que c'est uniquement pour vous humilier, pour vous épater!...

      La maison n'est pas si bien que ça... Il n'y a pas de quoi, vraiment, être si fière d'une maison... De l'extérieur, mon Dieu!... avec les grands massifs d'arbres qui l'encadrent somptueusement et les jardins qui descendent jusqu'à la rivière en pentes molles, ornés de vastes pelouses rectangulaires, elle a l'air de quelque chose... Mais à l'intérieur... c'est triste, vieux, branlant, et cela sent le renfermé... Je ne comprends pas qu'on puisse vivre là-dedans... Rien que des nids à rats, des escaliers de bois à vous rompre le col et dont les marches gauchies tremblent et craquent sous les pieds... des couloirs bas et sombres où, en guise de tapis moelleux, ce sont des carreaux mal joints, passés au rouge et vernis, vernis, glissants, glissants... Les cloisons trop minces, faites de planches trop sèches, rendent les chambres sonores, comme des intérieurs de violon... C'est toc et province, quoi!... Elle n'est pas meublée, pour sûr, comme à Paris... Dans toutes les pièces, du vieil acajou, de vieilles étoffes mangées aux vers, de vieilles carpettes usées, décolorées, et des fauteuils et des canapés, ridiculement raides, sans ressorts, vermoulus et boiteux... Ce qu'ils doivent vous moudre les épaules, et vous écorcher les fesses!... Vraiment, moi qui aime tant les tentures claires, les vastes divans élastiques où l'on s'allonge voluptueusement sur des piles de coussins, et tous ces jolis meubles modernes, si luxueux, si riches et si gais, je me sens toute triste de la morne tristesse de ceux-là... Et j'ai peur de ne pouvoir jamais m'habituer à si peu de confortable, à un tel manque d'élégance, à tant de poussières anciennes et de formes mortes...

      Madame, non plus, n'est pas habillée comme à Paris. Elle manque de chic et ignore les grandes couturières... Elle est plutôt fagotée, comme on dit. Bien qu'elle affiche une certaine prétention dans ses toilettes, elle retarde d'au moins dix ans sur la mode... Et quelle mode!... Quoique ça elle ne serait pas mal, si elle voulait; du moins, elle ne serait pas trop mal... Son pire défaut est qu'elle n'éveille en vous aucune sympathie, qu'elle n'est femme en rien... Mais elle a des traits réguliers, de jolis cheveux naturellement blonds, et une belle peau... une peau trop fraîche, par exemple, et comme si elle souffrait d'une mauvaise maladie intérieure... Je connais ces types de femmes et je ne me trompe point à l'éclat de leur teint. C'est rose dessus, oui, et dedans, c'est pourri... Ça ne tient debout, ça ne marche, ça ne vit qu'au moyen de ceintures, de bandages hypogastriques, de pessaires, un tas d'horreurs secrètes et de mécanismes compliqués... Ce qui ne les empêche pas de faire leur poire dans le monde... Mais oui! C'est coquet, s'il vous plaît... ça flirte dans les coins, ça étale des chairs peintes, ça joue de la prunelle, ça se trémousse du derrière; et ça n'est bon qu'à mettre dans des bocaux d'esprit de vin... Ah! malheur!... On n'a guères d'agrément avec elles, je vous assure, et ça n'est pas toujours ragoûtant de les servir...

      Soit tempérament, soit indisposition organique, je serais bien étonnée que Madame fût portée sur la chose... Aux expressions de son visage, aux gestes durs, aux flexions raides de son corps, on ne sent pas du tout l'amour, et, jamais, le désir, avec ses charmes, ses souplesses et ses abandons, n'a passé par là... Des vieilles filles vierges, elle garde, en toute sa personne, je ne sais quoi d'aigre et de suri, je ne sais quoi de desséché, de momifié, ce qui est rare chez les blondes... Ce n'est pas Madame qu'une belle musique comme Faust—ah! ce Faust!—ferait tomber de langueur et s'évanouir de volupté entre les bras d'un beau mâle... Ah, non, par exemple! Elle n'appartient pas à ce genre de femmes très laides, sur les figures de qui l'ardeur du sexe met parfois tant de vie radieuse, tant de séductions et tant de beauté... Après tout, il ne faut pas se fier à des airs comme celui de Madame... J'en ai connu de plus sévères et de plus grincheuses, qui éloignaient toute idée de désir et d'amour, et qui étaient de fameuses gourgandines, et qui faisaient les quatre cent dix-neuf coups, avec leur valet de chambre ou leur cocher...

      Par exemple, bien que Madame se force pour être aimable, elle n'est sûrement pas à la coule, comme des fois j'en ai vu... Je la crois très méchante, très moucharde, très ronchonneuse; un sale caractère et un méchant coeur... Elle doit être, sans cesse, sur le dos des gens, à les asticoter de toutes les manières... Et des «savez-vous faire ceci?»... Et des «savez-vous faire cela?» Ou bien encore: «Êtes-vous


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