Les Maîtres sonneurs. George SandЧитать онлайн книгу.
comme ferait une petite femme. Allons, prends courage et ne me retire pas le peu qui m'en reste, car si tu as de la peine pour cette départie, j'en ai encore plus que toi. Songe que je quitte aussi le père Brulet, qui était pour moi le meilleur des amis, et mon pauvre Joset, qui va trouver sa mère et votre maison bien à dire. Mais puisque c'est par le commandement de mon devoir, tu ne m'en voudrais point détourner.
Brulette pleura encore jusqu'au soir, et fut hors d'état d'aider la Mariton en quoi que ce soit; mais, quand elle la vit cacher ses larmes tout en préparant le souper, elle se jeta encore, à son cou, lui jura d'observer ses paroles, et se mit à travailler aussi d'un grand courage.
On m'envoya quérir Joseph qui oubliait, non pour la première fois ni pour la dernière, l'heure de rentrer et de faire comme les autres.
Je le trouvai en un coin, songeant tout seul et regardant la terre, comme si ses yeux y eussent voulu prendre racine. Contre sa coutume, il se laissa arracher quelques paroles où je vis plus de mécontentement que de regret. Il ne s'étonnait point d'entrer en service, sachant bien qu'il était en âge et ne pouvait faire autrement; mais, sans marquer qu'il eût entendu les desseins de sa mère, il se plaignit de n'être aimé de personne, et de n'être estimé capable d'aucun bon travail.
Je ne le pus faire expliquer davantage, et, durant la veillée, où je fus retenu pour faire mes prières avec Brulette et lui, il parut bouder, tandis que Brulette redoublait de soins et de caresses pour tout son monde.
Joseph fut loué au domaine de l'Aulnières, chez le père Michel, en office de bouaron.
La Mariton entra comme servante à l'auberge du Bœuf couronné, chez Benoît, de Saint-Chartier.
Brulette resta auprès de son grand-père, et moi chez mes parents qui, ayant un peu de bien, ne me trouvèrent pas de trop pour les aider à le cultiver.
Mon jour de première communion m'avait beaucoup secoué les esprits. J'y avais fait de gros efforts pour me ranger à la raison qui convenait à mon âge, et le temps du catéchisme avec Brulette m'avait changé aussi. Son idée se trouvait toujours mêlée, je ne sais: comment, avec celle que je voulais donner au bon Dieu, et, tout en mûrissant à la sagesse dans ma conduite, je sentais ma tête s'en aller en des folletés d'amour, qui n'étaient point encore de l'âge de ma cousine, et qui, mêmement pour le mien, devançaient un peu trop la bonne saison.
Dans ce temps-là, mon père m'emmena à la foire d'Orval, du côté de Saint-Amand, pour vendre une jument poulinière, et, pour la première fois de ma vie, je fus trois jours absent de la maison. Ma mère avait observé que je n'avais pas tant de sommeil et d'appétit qu'il m'en fallait pour soutenir mon croît, lequel était plus hâtif qu'il n'est d'habitude en nos pays, et mon père pensait qu'un peu d'amusement me serait bon. Mais je n'en pris pas tant, à voir du monde et des endroits nouveaux, comme j'en aurais eu six mois auparavant. J'avais comme une languition sotte qui me faisait regarder toutes les filles sans oser leur dire un mot; et puis, je songeais à Brulette, que je m'imaginais pouvoir épouser, par la seule raison que c'était la seule qui ne me fît point peur, et je ruminais le compte de ses années et des miennes, ce qui ne faisait pas marcher le temps plus vite que le bon Dieu ne l'avait réglé à son horloge.
Comme je revenais en croupe derrière mon père, sur une autre jument que nous avions achetée à la foire, nous fîmes rencontre, en un chemin creux, d'un homme entre les deux âges qui conduisait une petite charrette, très-chargée de mobilier, laquelle, n'étant traînée que d'un âne, restait embourbée et ne pouvait faire un pas de plus. L'homme était en train d'allégir le poids, en posant sur le chemin une partie de son chargement, ce que voyant mon père:
—Descends, me dit-il, et secourons le prochain dans l'embarras.
L'homme nous remercia de notre offre, et comme parlant à sa charrette:
—Allons, petite, éveille-toi, dit-il; j'aime autant que tu ne risques point de verser.
Alors, je vis se lever, de dessus un matelas, une jolie fille qui me parut avoir quinze ou seize ans, à première vue, et qui demanda, en se frottant les yeux, ce qu'il y avait de nouveau.
—Il y a que le chemin est mauvais, ma fille, dit le père en la prenant dans ses bras; viens, et ne te mets point les pieds dans l'eau; car vous saurez, dit-il à mon père, qu'elle est malade de fièvre pour avoir poussé trop vite en hauteur; voyez quelle grande vigne folle, pour une enfant d'onze ans et demi!
—Vrai Dieu, dit mon père, voilà un beau brin de fille, et jolie comme un jour, encore que la fièvre l'ait blêmie. Mais ça passera, et avec un peu de nourriture, ça ne sera pas d'une mauvaise défaite.
Mon père, parlant ainsi, avait la tête encore remplie du langage des maquignons en foire. Mais, voyant que la jeune fille avait laissé ses sabots sur la charrette, et qu'il n'était point aisé de les y retrouver, il m'appela, disant:
—Tiens, toi! tu es bien assez fort pour tenir cette petite un moment.
Et, la mettant dans mes bras, il attela notre jument à la place de l'âne bourdi, et sortit la charrette de ce mauvais pas. Mais il y en avait un second, que mon père connaissait pour avoir suivi plusieurs fois le chemin, et, me faisant appel de continuer, il marcha en avant avec l'autre paysan qui tirait son âne par les oreilles.
Je portais donc cette grande fillette et la regardais avec étonnement, car si elle avait la tête de plus que Brulette, on voyait bien, à sa figure, qu'elle n'était pas plus vieille.
Elle était blanche et menue comme un flambeau de cire vierge, et ses cheveux noirs, débordant d'un petit bonnet en mode étrangère, qui s'était dérangé dans son sommeil, me tombaient sur la poitrine et me pendaient quasiment jusqu'aux genoux. Je n'avais jamais rien vu de si bien achevé que son visage pâle, ses yeux bleu-clair, bordés de soies très-épaisses, son air doux et fatigué, et mêmement un signe tout à fait noir qu'elle avait au coin de la bouche et qui rendait sa beauté très-étrange et difficile à oublier.
Elle semblait si jeune que mon cœur ne me disait rien à côté du sien, et ce n'était peut-être pas tant son manque d'années que la langueur de sa maladie qui me la faisait paraître si enfant. Je ne lui parlais point, et marchais toujours sans la trouver lourde, mais ayant du plaisir à la regarder, comme on en sent devant toute chose belle, que ce soit fille ou femme, fleur ou fruit.
Comme nous approchions de la seconde gâne, où son père et le mien recommençaient, l'un à tirer son cheval, l'autre a pousser sa roue, la fillette me parla en un langage qui me fit rire, vu que je n'en comprenais pas un mot. Elle s'étonna de mon étonnement, et, me parlant alors comme nous parlons:
—Ne vous ruinez pas le corps à me porter, dit-elle, je marcherai bien sans sabots: j'y suis aussi habituée que les autres.
—Oui, mais vous êtes malade, que je lui répondis, et j'en porterais bien quatre comme vous. Mais de quel pays êtes-vous donc, que vous parliez si drôlement tout à l'heure?
—De quel pays! dit-elle. Je ne suis pas d'un pays. Je suis des bois, voilà tout. Et vous, de quel pays que vous êtes donc?
—Oh! ma fine, si vous êtes des bois, je suis des blés, que je lui répondis en riant.
J'allais cependant la questionner davantage quand son père vint me la reprendre.
—Allons, fit-il, après avoir donné une poignée de main à mon père, en vous remerciant, mes braves gens. Et toi, petite, embrasse donc ce bon garçon qui t'a portée comme une châsse.
La fillette ne se fit point prier; elle n'était pas encore dans l'âge de la honte, et, n'y entendant pas malice, elle n'y faisait point de façons. Elle m'embrassa sur les deux joues, en me disant:
—Merci à vous, mon beau serviteur. Et, passant aux bras de son père, elle fut remise sur son matelas et parut pressée de reprendre son somme, sans aucun souci des cahots et des aventures du chemin.
—Encore adieu! nous dit son père, qui me prit le genou pour me replacer en croupe sur la jument.