L'hérésiarque et Cie. Guillaume ApollinaireЧитать онлайн книгу.
pas:
—Confessez-moi, Monseigneur, dit-il, je vous confesserai ensuite.
Ils s'absolvirent mutuellement. Ensuite, sur l'avis du Franciscain coupable, les carrosses de l'archevêché furent attelés, et les domestiques, les petits abbés qui peuplent les palais épiscopaux, allèrent dans toutes les boulangeries, acheter le pain qu'ils devaient déposer au couvent du moine sacrilège.
Là, les moines étaient réunis, le Père gardien parlait:
—Qu'est devenu le Père Séraphin? Il était vertueux. Peut-être, au semblant de nos frères de jadis qui furent égarés par des oiseaux célestes et restèrent pendant des siècles en extase, reviendra-t-il dans cent ans...
Les moines se signèrent et chacun d'eux avait à citer une histoire:
—L'un des moines de Heisterbach, qui avait douté de l'éternité, suivit un écureuil dans la forêt. Il pensa y être demeuré dix minutes. Mais en revenant au couvent, il vit qu'au bord du chemin les petits cyprès étaient devenus de grands arbres...
Un autre dit:
—Un moine italien pensa n'avoir écouté qu'une minute un rossignol chanteur, mais en retournant au monastère...
Un jeune moine ergoteur ricana:
—On cite quelques aventures de cette espèce chez les Grecs, et qui sait? en ces oiseaux, au Moyen-Âge, était peut-être passée l'âme des antiques Sirènes...
À ce moment on frappa à la porte du couvent, et les petits abbés de l'archevêché entrèrent, portant, avec des précautions infinies, les pains consacrés, qui étaient de diverses formes. Il y avait des flûtes longues et minces, des pains polkas pareils à des écus ronds—fuselés d'or à cause de la croûte, et d'argent à cause de la farine saupoudrée—qu'avaient pétris des gindres ignorant l'art du blason; des petits pains viennois, pareils à des oranges pâles, des pains de ménage appelés bouleau ou fendu, selon leur aspect.
Et devant les moines chantant le Tantum ergo, les petits abbés portèrent leur fardeau dans la chapelle et empilèrent les pains sur l'autel...
En expiation du sacrilège, les prêtres et les moines passèrent la nuit en adoration. Le matin ils communièrent, et aussi les jours suivants jusqu'à consommation des Saintes-Espèces, qui les derniers jours, craquaient sous les dents, car le pain s'était rassis...
Le Père Séraphin ne reparut pas au couvent. Personne ne pourrait dire ce qu'il devint, si les journaux n'avaient rapporté la mort, à l'assaut de Pékin, d'un soldat anonyme de la Légion étrangère, sur l'avant-bras droit duquel était tatoué un nom de femme: Elinor, qui est aussi un nom de fée dans les anciens romans de chevalerie...
LE JUIF LATIN
Un matin, je dormais, vivant en un beau songe. Un violent coup de sonnette m'éveilla. Je me dressai, jurant en latin, en français, en allemand, en italien, en provençal et en wallon. Je passai un pantalon, mis des savates et allai ouvrir. Un monsieur que je ne connaissais pas, mais d'apparence correcte, me demanda un instant d'entretien...
Je fis entrer l'inconnu dans la chambre qui me sert de cabinet de travail, salon, et salle à manger, le cas échéant. Il s'empara de l'unique fauteuil. Pendant ce temps, dans la chambre à coucher, je précipitais une toilette sommaire en regardant mon réveille-matin, qui marquait onze heures. Je plongeai ma tête dans la cuvette, et, tandis que je frottais mes cheveux mouillés, le monsieur s'écria:
—Je ne suis pas un poireau!
Les cheveux en désordre, je pénétrai dans la pièce où je vis ce monsieur, penché sur un restant de pâté que j'avais oublié de cacher. Je m'excusai, demandai la permission de passer un veston, et portai le plat dans la chambre à coucher.
Lorsque je revins, le monsieur me dit en souriant:
—J'ai lu le Passant de Prague, et j'y ai vu que vous m'aimiez.
Je balbutiai sans oser nier, à cause que je m'imaginai avoir affaire à un éditeur original qui, séduit par ma littérature, venait m'en demander contre espèces. Il continua:
—Je me nomme Gabriel Fernisoun, né en Avignon. Vous ne me connaissez pas, mais vous aimez les juifs, donc vous m'aimez, car je suis juif, monsieur!
Je ris en disant que, par conséquent, il était vrai que je l'aimasse, mais Fernisoun m'interrompit, s'écriant:
—Halte-là, ne m'aimez pas. Vous êtes indécent, mon ami. Vous avez la gueule de bois, ce matin, mon pauvre, et vous osez parler d'amour!
Je me récriai, protestant que mes mœurs étaient pures et que je ne m'étais pas couché plus tard qu'à une heure du matin. Fernisoun se réinstalla dans le fauteuil. Je pris une chaise. Il parla:
—J'y consens, vous n'êtes pas amoureux; et, puisque je vous vois raisonnable, je vais élucider votre sympathie pour les juifs. Quels juifs préférez-vous?
À cette question bizarre, je répondis pour le flatter:
—Ceux d'Avignon, cher monsieur, et, parmi ceux-là, je préfère les prénommés Gabriel, nom qui se termine en el comme les paroles qui me sont les plus chères: ciel et miel.
Mots finissant en el comme les noms des anges, Le ciel que l'on médite et le miel que l'on mange.
Fernisoun rit bruyamment et, triomphant, s'écria:
—Nous y voilà donc, Boudiou! Dites-le crûment et sans ambages, ce sont les juifs du sud de l'Europe occidentale que vous préférez. Ce ne sont pas les juifs que vous aimez, ce sont des Latins. Oui des Latins. Je vous ai dit que j'étais juif, monsieur, mais je parlais au point de vue confessionnel, à tous autres égards je suis latin. Vous aimez les juifs dits portugais qui, jadis, faussement convertis, tinrent de leurs parrains espagnols ou portugais des noms espagnols ou portugais. Vous aimez les juifs dont les noms sont catholiques comme Santa-Cruz ou Saint-Paul. Vous aimez les juifs italiens et ceux français, dit Comtadins. Je vous l'ai dit, monsieur, je suis né en Avignon et issu d'une famille y établie depuis des siècles. Vous aimez les noms comme Muscat ou Fernisoun. Vous aimez des Latins et nous sommes d'accord. Vous nous aimez parce que, Portugais et Comtadins, nous ne sommes pas maudits. Non, nous ne le sommes pas. Nous n'avons pas trempé dans le crime judiciaire accompli contre le Christ. La tradition en fait foi, et la malédiction ne nous atteint pas!...
Fernisoun s'était dressé, rouge et gesticulant, tandis que, resté assis, je le regardais bouche bée. Il se calma, regarda autour de soi et me dit, avec une moue de dédain:
—Vous êtes bien mal installé, Boudiou! Au demeurant, je m'en bats l'œil. Mais, enfin, vous devriez posséder quelque boisson délicate. Vos visiteurs vous en sauraient gré.
J'allai à la cheminée, en soulevai le manteau, et pris dans les cendres un flacon de vieille liqueur aux poires bergamotes. Fernisoun le déboucha tandis que je lui cherchais une tasse. En même temps, je lui vantai la finesse de cette liqueur que je tenais d'un distillateur de Durckheim, dans le le Palatinat. Sans m'écouter, il remplit sa tasse jusqu'au bord et la vida d'un trait. Ensuite, il secoua soigneusement les dernières gouttes sur le parquet tandis que je m'excusais:
—Vous auriez préféré un bol?
Fernisoun ne daigna pas répondre sur ce point. Il continua:
—Et puis, au fait, vous avez raison, vous, Latins, de nous aimer, nous juifs latins. Car nous appartenons aux races latines autant que les Grecs et les Sarrazins de Provence et de Sicile. Nous ne sommes plus des métèques, pas plus que tous les individus hétérogènes que les grandes invasions ont fait se mêler aux Romains de l'empire. Nous sommes, en outre, les meilleurs propagateurs de la latinité. Dans la plupart des milieux juifs de Bulgarie