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Le Diable amoureux. Jacques CazotteЧитать онлайн книгу.

Le Diable amoureux - Jacques Cazotte


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hors de moi, ne sachant quel parti prendre; je lui laisse ma main qu'elle baise, et je balbutie les mots qui lui semblaient si importants. À peine ai-je fini qu'elle se relève. «Je suis à vous, s'écrie-t-elle avec transport; je pourrai devenir la plus heureuse de toutes les créatures.»

      En un moment, elle s'affuble d'un long manteau, rabat un grand chapeau sur ses yeux, et sort de ma chambre.

      J'étais dans une sorte de stupidité. Je trouve un état de mes dettes. Je mets au bas l'ordre à Carle de le payer; je compte l'argent nécessaire; j'écris au commandant, à un de mes plus intimes, des lettres qu'ils durent trouver très extraordinaires. Déjà la voiture et le fouet du postillon se faisaient entendre à la porte.

      Biondetta, toujours le nez dans son manteau, revient et m'entraîne. Carle, éveillé par le bruit, paraît en chemise. «Allez, lui dis-je, à mon bureau vous y trouverez mes ordres.» Je monte en voiture. Je pars.

      Biondetta était entrée avec moi dans la voiture. Elle était sur le devant. Quand nous fûmes sortis de la ville, elle ôta le chapeau qui la tenait à l'ombre. Ses cheveux étaient renfermés dans un filet cramoisi: on n'en voyait que la pointe: c'étaient des perles dans du corail. Son visage, dépouillé de tout autre ornement, brillait de ses seules perfections. On croyait voir un transparent sur son teint. On ne pouvait concevoir comment la douceur, la candeur, la naïveté pouvaient s'allier au caractère de finesse qui brillait dans ses regards. Je me surpris, faisant malgré moi ces remarques; et les jugeant dangereuses pour mon repos, je fermai les yeux pour essayer de dormir.

      Ma tentative ne fut pas vaine, le sommeil s'empara de mes sens, et m'offrit les rêves les plus agréables, les plus propres à délasser mon âme des idées effrayantes et bizarres dont elle avait été fatiguée. Il fut d'ailleurs très long; et ma mère, par la suite, réfléchissant un jour sur mes aventures, prétendit que cet assoupissement n'avait pas été naturel. Enfin, quand je m'éveillai, j'étais sur les bords du canal sur lequel on s'embarque pour aller à Venise.

      La nuit était avancée; je me sens tirer par la manche, c'était un portefaix: il voulait se charger de mes ballots. Je n'avais pas même un bonnet de nuit.

      Biondetta se présenta à une autre portière, pour me dire que le bâtiment qui devait me conduire était prêt. Je descends machinalement, j'entre dans la felouque, et retombe dans ma léthargie.

      Que dirai-je? le lendemain matin, je me trouvai logé sur la place Saint-Marc, dans le plus bel appartement de la meilleure auberge de Venise. Je le connaissais. Je le reconnus sur-le-champ. Je vois du linge, une robe de chambre assez riche auprès de mon lit. Je soupçonnai que ce pouvait être une attention de l'hôte chez qui j'étais arrivé dénué de tout.

      Je me lève et regarde si je suis le seul objet vivant gui soit dans la chambre; je cherchais Biondetta.

      Honteux de ce premier mouvement, je rendis grâce à ma bonne fortune. Cet esprit et moi ne sommes donc pas inséparables: j'en suis délivré; et, après mon imprudence, si je ne perds que ma compagnie aux gardes, je dois m'estimer très heureux.

      Courage, Alvare, continuai-je: il y a d'autres cours, d'autres souverains que celui de Naples; cela doit te corriger si tu n'es pas incorrigible, et tu te conduiras mieux. Si on refuse tes services, une mère tendre, l'Estramadure et un patrimoine honnête te tendent les bras.

      Mais que te voulait ce lutin qui ne t'a pas quitté depuis vingt-quatre heures? Il avait pris une figure bien séduisante: il m'a donné de l'argent; je veux le lui rendre.

      Comme je parlais encore, je vois arriver mon créancier; il m'amenait deux domestiques et deux gondoliers. «Il faut, dit-il, que vous soyez servi, en attendant l'arrivée de Carle. On m'a répondu, dans l'auberge, de l'intelligence et de la fidélité de ces gens-ci, et voici les plus hardis patrons de la république.—Je suis content de votre choix, Biondetta, lui dis-je, vous êtes logée ici?

      —J'ai pris, me répond le page les yeux baissés, dans l'appartement même de Votre Excellence, la pièce la plus éloignée de celle que vous occupez, pour vous causer le moins d'embarras qu'il sera possible.»

      Je trouvai du ménagement, de la délicatesse dans cette attention à mettre de l'espace entre elle et moi. Je lui en sus gré.

      Au pis aller, disais-je, je ne saurais la chasser du vague de l'air, s'il lui plaît de s'y tenir invisible pour m'obséder. Quand elle sera dans une chambre connue, je pourrai calculer ma distance. Content de mes raisons, je donnai légèrement mon approbation à tout.

      Je voulais sortir pour aller chez le correspondant de ma mère. Biondetta donna ses ordres pour ma toilette; et, quand elle fut achevée, je me rendis où j'avais besoin d'aller.

      Le négociant me fit un accueil dont j'eus lieu d'être surpris. Il était à sa banque; de loin il me caresse de l'œil, vient à moi: «Don Alvare, me dit-il, je ne vous croyais pas ici. Vous arrivez très à propos pour m'empêcher de faire une bévue; j'allais vous envoyer deux lettres et de l'argent.—Celui de mon quartier, lui répondis-je?—Oui, répliqua-t-il, et quelque chose de plus. Voilà deux cents sequins en sus, qui sont arrivés ce matin. Un vieux gentilhomme, à qui j'en ai donné le reçu, me les a remis de la part de dona Mencia. Ne recevant pas de vos nouvelles, elle vous a cru malade, et a chargé un Espagnol de votre connaissance de me les remettre pour vous les faire passer.—Vous a-t-il dit son nom?...—Je l'ai écrit dans le reçu; c'est don Miguel Pimientos, qui dit avoir été écuyer dans votre maison. Ignorant votre arrivée ici, je ne lui ai pas demandé son adresse.»

      Je pris l'argent. J'ouvris les lettres: ma mère se plaignait de sa santé, de ma négligence, et ne parlait pas des sequins qu'elle envoyait: je n'en fus que plus sensible à ses bontés.

      Me voyant la bourse aussi à propos et aussi bien garnie, je revins gaiement à l'auberge; j'eus de la peine à trouver Biondetta dans l'espèce de logement où elle s'était réfugiée. Elle y entrait par un dégagement distant de ma porte: je m'y aventurai par hasard, et la vis courbée près d'une fenêtre, fort occupée à rassembler et recoller les débris d'un clavecin.

      «J'ai de l'argent, lui dis-je, et vous rapporte celui que vous m'avez prêté.» Elle rougit, ce qui lui arrivait toujours avant de parler: elle chercha mon obligation, me la remit, prit la somme, et se contenta de me dire que j'étais trop exact, et qu'elle eût désiré jouir plus longtemps du plaisir de m'avoir obligé.

      «Mais je vous dois encore, lui dis-je; car vous avez payé les postes.» Elle en avait l'état sur la table: je l'acquittai. Je sortais avec un sang froid apparent; elle me demanda mes ordres, je n'en eus pas à lui donner, et elle se remit tranquillement à son ouvrage; elle me tournait le dos: je l'observai quelque temps; elle semblait très occupée, et apportait à son travail autant d'adresse que d'activité.

      Je revins rêver dans ma chambre. Voilà, disais-je, le pair de ce Calderon qui allumait la pipe de Soberano; et quoiqu'il ait l'air très distingué, il n'est pas de meilleure maison. S'il ne se rend ni exigeant, ni incommode, s'il n'a pas de prétentions, pourquoi ne le garderais-je pas? Il m'assure d'ailleurs que, pour le renvoyer, il ne faut qu'un acte de ma volonté. Pourquoi me presser de vouloir tout à l'heure ce que je puis vouloir à tous les instants du jour? On interrompit mes réflexions, en m'annonçant que j'étais servi.

      Je me mis à table. Biondetta, en grande livrée, était derrière mon siége, attentive à prévenir mes besoins. Je n'avais pas besoin de me retourner pour la voir: trois glaces, disposées dans le salon, répétaient tous ses mouvements. Le dîner fini, on dessert: elle se retire.

      L'aubergiste monte, la connaissance n'était pas nouvelle. On était en carnaval; mon arrivée n'avait rien qui dût le surprendre. Il me félicita sur l'augmentation de mon train, qui supposait un meilleur état dans ma fortune, et se rabattit sur les louanges de mon page, le jeune homme le plus beau, le plus affectionné, le plus intelligent, le plus doux qu'il eût encore vu. Il me demanda si je comptais prendre part aux plaisirs du carnaval: c'était mon intention. Je pris un déguisement, et montai dans ma gondole.

      Je courus la place, j'allai au spectacle, au Ridotto.


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