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Romans, Nouvelles et Histoires Maritimes. Эжен СюЧитать онлайн книгу.

Romans, Nouvelles et Histoires Maritimes - Эжен Сю


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s'être frotté vingt fois les yeux en bâillant d'une étrange manière.

      C'était M. Benoît (Claude-Borromée-Martial), capitaine et propriétaire du brick la Catherine, de trois cents tonneaux, doublé et chevillé en cuivre (le brick).

      M. Benoît (Claude-Borromée-Martial) était court, replet, fortement coloré, un peu chauve, avait le nez gros et rouge, les lèvres épaisses, le menton rentré, les joues pleines et lisses, et de petits yeux d'un bleu clair qui exprimaient une parfaite quiétude; en somme, c'était bien la plus honnête physionomie du monde. Une veste et un pantalon de toile rayée composaient toute sa toilette; et lorsqu'après avoir entouré son cou d'un madras, couvert sa tête grisonnante d'un grand chapeau de paille, il sortit de sa dunette la figure calme et reposée, l'air souriant, satisfait, les mains croisées derrière le dos,... vrai, n'eussent été les feux dévorants de l'équateur qui faisaient étinceler l'Océan comme un miroir au soleil, la chaleur étouffante et le plancher mobile du brick,... on eût pris M. Benoît pour un bon campagnard humant l'air parfumé du matin dans son bosquet de tilleuls fleuris, et allant s'asseoir sur le frais gazon pour respirer à son aise la bonne odeur de ses jasmins tout brillants de gouttes de rosée.

      —Eh bien, garçon—dit-il au timonier en lui pinçant joyeusement l'oreille—la Catherine file donc devant la brise comme une demoiselle respectueuse devant sa mère? (car les comparaisons de M. Benoît étaient toujours chastes.)

      —Oui, capitaine; mais elle se tortille comme une déhanchée, la vilaine. Tenez... quel coup de roulis... et cet autre....

      —Ah dam, mon garçon, si nous avions quelques quinteaux de fer dans notre cale, elle serait appuyée, cette pauvre Catherine; mais arrive notre chargement, et tu la verras ne pas plus broncher que l'armoire à linge que j'ai à Nantes dans ma petite salle à manger, où je reçois mes amis—disait naïvement le bon capitaine en étouffant un soupir de regret.

      À ce moment, un grand homme, brun et décharné, descendit des haubans de misaine et sauta sur le pont.

      —Je ne l'ai plus revue—dit-il au capitaine Benoît en lui rendant sa lunette—il faut qu'elle soit cachée dans la brume, car elle épaissit diablement, la brume,... et le soleil, hein... est-il foncé?...

      —Le fait est, Simon, que le soleil a l'air du four de campagne que Catherine faisait rougir au feu pour dorer le macaroni que j'aimais tant... (Ici nouveau soupir.) Mais, dis-moi, cette goëlette... elle me tracasse.

      —Disparue, capitaine, disparue; j'avais d'abord craint que ce ne fût une goëlette de guerre, mais non; un gréement tenu comme la teignasse d'un mousse malpropre, des mâts de hune, et des flèches de perroquet à faire chavirer le bon Dieu, s'il s'embarquait à bord,... et....

      —Simon,... Simon,... tu recommences, je n'aime pas à t'entendre blasphémer comme un païen; tu fais le philosophe, et ça te jouera un tour... tu verras.

      —Allons, bon, motus; mais je vous le dis, cette goëlette n'est point un bâtiment de guerre pour sûr; d'ailleurs, les croiseurs anglais ou français ne visitent jamais ce côté de la ligne; ainsi ne craignez rien.

      —Je ne crains rien non plus; j'ai, exprès, choisi ce côté de la ligne, parce que je n'ai pas de concurrents; mes affaires n'en vont pas plus mal; encore un ou deux jours, et nous verrons le père Van-Hop.... Il devient retors en diable; par exemple, le bois d'ébène[1] renchérit. Ah! il est passé ce bon temps où, pour quelques caisses de quincailleries, j'en chargeais mon brick à ne savoir où mettre les pieds....

      —Alors—dit Simon—on se moquait pas mal du déchet.

      —Un tiers, Simon, toujours un tiers de déchet, parce qu'il faut, vois-tu, que le bois d'ébène fasse son jeu dans le faux pont, à cause de l'humidité et de la chaleur.

      —Aussi, capitaine, ce qui reste est fameux!! et on peut le vendre à la Jamaïque pour en faire des pioches et des chariots, sans craindre qu'il éclate—répondit Simon en riant.

      —Farceur,... et pourtant c'est une partie toujours très-demandée par ces messieurs des colonies.

      —Cordieu! capitaine, si vous croyez qu'il ne faut pas plus de temps au chanvre pour pousser que pour s'user une fois qu'il est tressé en cordage,... et que le bon Dieu n'a qu'à souffler pour....

      —Ah ça, Simon, encore! tu ne veux donc pas finir?... Silence donc, tu vas nous attirer quelque chose de là-haut; tais-toi, viens plutôt causer de Catherine et boire une gorgée de gyn.

      Le capitaine et son second entrèrent dans la dunette et s'attablèrent.

      —Tiens, Simon—dit Benoît en montrant le portrait qui ornait sa petite chambre—vois donc, on croirait que Catherine nous regarde, et Thomas, donc,... est-il ressemblant! Jusqu'à Moumouth qui a l'air de me reconnaître avec sa patte levée; et puis c'est cette couronne-là qu'ils m'ont donnée le jour de ma fête... à la saint Claude.... Pauvres chers amours; allez,... je pense à vous.—Et il soupira profondément. Le digne homme!...

      —Le fait est, capitaine, que vous pouvez vous vanter de faire un crâne père de famille—dit l'autre avec l'accent d'une intime conviction.

      —Aussi une fois cette campagne finie—reprit Benoît—je plante mes choux; car, après tout, qu'est-ce que je veux, moi? je n'ai pas d'ambition. Ah! mon Dieu! une petite maison blanche, des volets verts, et un rond d'acacias sous lequel on dîne avec une paire d'amis et sa chère Catherine,... sa chère épouse.—Et les yeux du capitaine Benoît pétillaient de plaisir en contemplant avec amour le portrait de ce qu'il appelait son épouse.

      —C'est qu'aussi, capitaine, votre épouse... ah! votre épouse est digne d'être aimée,... elle a, sacredieu! une paire de bossoirs, que....

      —Simon, ah! Simon....

      —Pardon, capitaine; c'est le gyn, il est fameux, et ça monte; à propos de gyn, capitaine.... Mais voyez donc quel calme, quel beau temps! ça réjouit le cœur. À propos de gyn, on dit, et j'en suis sûr, qu'il n'y a rien de bon pour la santé comme de faire bouillir dans du tafia une pomme de pin piquée d'une douzaine de piments enragés, et gros comme le poing de poivre de Cayenne; on mêle ça avec le rhum ou le genièvre, et mordieu, capitaine, c'est à regretter de n'avoir pas le gosier large, large comme une manche à vent, pour s'en abreuver à flots.

      —Bigre! ça doit gratter un peu—dit Benoît en hochant la tête—(pardonnez-lui ce juron: bigre avec fichtre, c'étaient les seuls qu'il se permit).

      —Du tout, capitaine, c'est un velours, c'est doux comme le duvet d'une jeune mouette, un baume pour l'estomac.... J'ai connu un quartier-maître-voilier, un nommé Béquet, qui s'est guéri avec ça d'un affreux catarrhe qu'il avait pris à Terre-Neuve sur un banc de glaces.

      —Ça, c'est vrai comme Catherine n'a qu'un œil. Simon, à ta santé, mon garçon.

      —Ne me croyez pas si vous voulez.... À la vôtre, capitaine. Mais voyez donc quel temps!

      —Au fait, Simon, quel joli calme! il fait presque frais; oh! le beau soleil!... À ta santé.... Un temps comme celui-là, vois-tu, ça donne envie de boire.

      —Capitaine, ceci est physique.... Mettez une éponge imbibée au soleil, et vous verrez la chose. À la vôtre....

      —Ah! Simon... c'est toi qui me fais l'effet de l'éponge, car tu t'imbibes joliment—répondit maître Benoît, qui commençait à être fort gai, très-gai, on ne peut plus gai.

      —Dis donc, Simon....

      —Capitaine....

      —Si tu es raisonnable et que le père Van-Hop ne m'écorche pas trop en revenant de la Jamaïque... nous relâcherons quelque part.

      Et en parlant de parcourir ainsi presque le quart du globe, le bonhomme


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