L'année terrible. Victor HugoЧитать онлайн книгу.
il est aussi malin
D’assiéger Tortoni que d’assiéger Berlin;
Quand on a pris la Banque on peut prendre Mayence.
Pétersbourg et Stamboul sont deux chiens de faïence;
Pie et Galantuomo sont à couteaux tirés;
Comme deux boucs livrant bataille dans les prés,
L’Angleterre et l’Irlande à grand bruit se querellent;
D’Espagne sur Cuba les coups de fusil grêlent;
Joseph, pseudo-César, Wilhelm, piètre Attila,
S’empoignent aux cheveux; je mettrai le holà ;
Et moi, l’homme éculé d’autrefois, l’ancien pitre,
Je serai, par-dessus tous les sceptres, l’arbitre;
Et j’aurai cette gloire, à peu près sans débats.
D’être le Tout-Puissant et le Très-Haut d’en bas.
De faux Napoléon passer vrai Charlemagne,
C’est beau. Que faut-il donc pour cela? prier Magne
D’avancer quelque argent à Lebœuf, et choisir,
Comme Haroun escorté le soir par son vizir,
L’heure obscure où l’on dort, où la rue est déserte,
Et brusquement tenter l’aventure; on peut, certe,
Passer le Rhin ayant passé le Rubicon.
Piétri me jettera des fleurs de son balcon.
Magnan est mort, Frossard le vaut; Saint-Arnaud manque,
J’ai Bazaine. Bismarck me semble un saltimbanque;
Je crois être aussi bon comédien que lui.
Jusqu’ici j’ai dompté le hasard ébloui;
J’en ai fait mon complice, et la fraude est ma femme.
J’ai vaincu, quoique lâche, et brillé, quoique infâme.
En avant! j’ai Paris, donc j’ai le genre humain.
Tout me sourit, pourquoi m’arrêter en chemin?
Il ne me reste plus à gagner que le quine.
Continuons, la chance étant une coquine.
L’univers m’appartient, je le veux, il me plaît;
Ce noir globe étoilé tient sous mon gobelet.,
J’escamotai la France, escamotons l’Europe.
Décembre est mon manteau, l’ombre est mon enveloppe;
Les aigles sont partis, je n’ai que les faucons;
Mais n’importe! Il fait nuit. J’en profite. Attaquons.
Or il faisait grand jour. Jour sur Londres, sur Rome,
Sur Vienne, et tous ouvraient les yeux, hormis cet homme;
Et Berlin souriait et le guettait sans bruit.
Comme il était aveugle il crut qu’il faisait nuit.
Tous voyaient la lumière et seul il voyait l’ombre.
Hélas! sans calculer le temps, le lieu, le nombre,
A tâtons, se fiant au vide, sans appui,
Ayant pour sûreté ses ténèbres à lui,
Ce suicide prit nos fiers soldats, l’armée
De France devant qui marchait la renommée,
Et sans canons, sans pain, sans chefs, sans généraux,
Il conduisit au fond du gouffre les héros.
Tranquille, il les mena lui-même dans le piége.
— Où vas-tu? dit la tombe. Il répondit: que sais-je?
II
Que Pline aille au Vésuve, Empédocle à l’Etna,
C’est que dans le cratère une aube rayonna,
Et ces grands curieux ont raison; qu’un brahmine
Se fasse à Benarès manger par la vermine,
C’est pour le paradis et cela se comprend;
Qu’à travers Lipari de laves s’empourprant,
Un pêcheur de corail vogue en sa coraline,
Frêle planche que lèche et mord la mer féline,
Des caps de Corse aux rocs orageux de Corfou;
Que Socrate soit sage et que Jésus soit fou,
L’un étant raisonnable et l’autre étant sublime;
Que le prophète noir crie autour de Solime
Jusqu’à ce qu’on le tue à coups de javelots;
Que Green se livre aux airs et Lapeyrouse aux flots,
Qu’Alexandre aille en Perse ou Trajan chez les Daces,
Tous savent ce qu’ils font; ils veulent: leurs audaces
Ont un but; mais jamais les siècles, le passé,
L’histoire n’avaient vu ce spectacle insensé,
Ce vertige, ce rêve, un homme qui lui-même,
Descendant d’un sommet triomphal et suprême,
Tirant le fil obscur par où la mort descend,
Prend la peine d’ouvrir sa fosse, et, se plaçant
Sous l’effrayant couteau qu’un mystère environne,
Coupe sa tête afin d’affermir sa couronne!
III
Quand la comète tombe au puits des nuits, du moins
A-t-elle en s’éteignant les soleils pour témoins
Satan précipité demeure grandiose;
Son écrasement garde un air d’apothéose;
Et sur un fier destin, farouche vision,
La haute catastrophe est un dernier rayon.
Bonaparte jadis était tombé ; son crime,
Immense, n’avait pas déshonoré l’abîme;
Dieu l’avait rejeté, mais sur ce grand rejet
Quelque chose de vaste et d’altier surnageait;
Le côté de clarté cachait le côté d’ombre;
De sorte que la gloire aimait cet homme sombre,
Et que la conscience humaine avait un fond
De doute sur le mal que les colosses font.
Il est mauvais qu’on mette un crime dans un temple,
Et Dieu vit qu’il fallait recommencer l’exemple.
Lorsqu’un titan larron a gravi les sommets,
Tout voleur l’y veut suivre; or il faut désormais
Que Sbrigani ne puisse imiter Prométhée;
Il est temps que la terre apprenne épouvantée
A quel point le petit peut dépasser le grand,
Comment un ruisseau vil est pire qu’un torrent,
Et de