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Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis DiderotЧитать онлайн книгу.

Lettres à Mademoiselle de Volland - Dénis Diderot


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c'est par amitié pour moi, c'est par égard pour vous-même: on ne paye point en argent ces motifs-là. Cependant ils vous ont envoyé vingt louis à chaque volume; c'est cent quarante louis que vous avez reçus et qui ne vous étaient pas dus. Vous projetez un voyage à Wesel[23], dans un temps où vous leur étiez nécessaire ici; ils ne vous retiennent point; au contraire, vous manquez d'argent, ils vous en offrent. Vous acceptez deux cents louis; vous oubliez cette dette pendant deux ou trois ans. Au bout de ce terme assez long, vous songez à vous acquitter. Que font-ils? Ils vous remettent votre billet déchiré, et ils paraissent trop contents de vous avoir servi. Ce sont des procédés que cela, et vous êtes plus fait, vous, pour vous en souvenir qu'eux pour tes avoir. Cependant vous quittez une entreprise à laquelle ils ont mis toute leur fortune; une affaire de deux millions est une bagatelle qui ne mérite pas l'attention d'un philosophe comme vous. Vous débauchez leurs travailleurs, vous les jetez dans un monde d'embarras dont ils ne se tireront pas sitôt. Vous ne voyez que la petite satisfaction de faire parler de vous un moment. Ils sont dans la nécessité de s'adresser au public; il faut voir comment ils vous ménagent et me sacrifient.—C'est une injustice.—Il est vrai, mais ce n'est pas à vous à le leur reprocher. Ce n'est pas tout. Il vous vient en fantaisie de recueillir différents morceaux épars dans l'Encyclopédie; rien n'est plus contraire à leurs intérêts; ils vous te représentent, vous insistez, l'édition se fait, ils en avancent les frais, et vous en partagez le profit[24]. Il semblait qu'après avoir payé deux fois votre ouvrage ils étaient en droit de le regarder comme le leur. Cependant vous allez chercher un libraire au loin, et vous lui vendez pêle-mêle ce qui ne vous appartient pas.—Ils m'ont donné mille sujets de mécontentement.—Quelle défaite! Il n'y a point de petites choses entre amis. Tout se pèse, parce que l'amitié est un commerce de pureté et de délicatesse; mais les libraires, sont-ils vos amis? votre conduite avec eux est horrible. S'ils ne le sont pas, vous n'avez rien à leur objecter. Savez-vous, d'Alembert, à qui il appartient de juger entre eux et vous? Au public. S'ils faisaient un manifeste, et qu'ils le prissent pour arbitre, croyez-vous qu'il prononçât en votre faveur? non, mon ami; il laisserait de côté toutes les minuties, et vous seriez couvert de honte.—Quoi, Diderot, c'est vous qui prenez le parti des libraires!—Les torts qu'ils ont avec moi ne m'empêchent point de voir ceux que vous avez avec eux. Après toute cette ostentation de fierté, convenez que le rôle que vous faites à présent est bien misérable. Quoi qu'il en soit, votre demande me paraît petite, mais juste. S'il n'était pas si tard, j'irais leur parler. Demain je pars pour la campagne; je leur écrirai de là. À mon retour, vous saurez la réponse; en attendant, travaillez toujours. S'ils vous refusent les mille écus dont il s'agit, moi je vous les offre.—Vous vous moquez. Vous êtes-vous attendu que j'accepterais?—Je ne sais, mais ils ne vous aviliraient pas de ma main.—Dites que je ne m'engage que pour ma partie.—Ils n'en veulent pas davantage, ni moi non plus.—Plus de préface.—Vous en voudriez faire par la suite que vous n'en seriez pas le maître.—Et pourquoi cela?—C'est que les précédentes nous ont attiré toutes les haines dont nous sommes chargés. Qui est-ce qui n'y est pas insulté?—Je reverrai les épreuves à l'ordinaire, supposez que j'y sois. Maupertuis est mort. Les affaires du roi de Prusse ne sont pas désespérées. Il pourrait m'appeler.—On dit qu'il vous nomme à la présidence de son Académie.—Il m'a écrit; mais cela n'est pas M.—Au temps comme au temps. Bonsoir.»

      Il était sept heures et demie; l'allée devenait froide; l'architriclin de monseigneur m'attendait; j'avais promis à Grimm qu'il m'aurait entre huit et neuf; nous nous séparâmes donc. Je rentrai au Palais-Royal; je causai environ trois quarts d'heure avec M. de Montamy. Les mœurs furent notre texte; je dis là-dessus bien des choses dont je ne me souviens plus, si ce n'est que les hommes ont une étrange opinion de la vertu; ils croient qu'elle est à leur disposition, et qu'on devient honnête homme du jour au lendemain. Ils gardent leur linge sale tant qu'ils ont des vilenies à faire, et ils en font toute leur vie, parce qu'on ne quitte pas une habitude vicieuse comme une chemise. C'est pis que la peau du centaure Nessus; on ne l'arrache pas sans douleur et sans cris: on a plus tôt fait de rester comme on est. Oh! mon amie, ne faisons point le mal, aimons-nous pour nous rendre meilleurs, soyons-nous, comme nous l'avons été, censeurs fidèles l'un à l'autre. Rendez-moi digne de vous, inspirez-moi cette candeur, cette franchise, cette douceur qui vous sont naturelles. Il y a plus loin de notre état d'innocence actuelle à une première faute que d'une première faute à une seconde, et que de celle-ci à une troisième. Si je vous trompais une fois, je pourrais vous tromper mille; mais je ne vous tromperai jamais. Vous veillez au fond de mon cœur, vous êtes là, et rien de déshonnête ne peut approcher de vous. M. de Montamy me demanda ce que c'était qu'un homme heureux dans ce monde? Et je lui répondis: Celui à qui la nature a accordé un bon esprit, un cœur juste et une fortune proportionnée à son état.—Votre réponse, me dit-il, est celle que me fit un jour M. de Silhouette: il n'était pas alors fort opulent. Le contrôle général était bien loin de lui. Tous ses souhaits se bornaient à 30,000 livres de rente, et il s'écriait: «Si je les ai jamais, je serai bien plus honnête homme.» Si j'avais entendu ce discours de M. de Silhouette, j'en aurais peut-être conclu qu'il était un fripon: il y a de certains aveux sur lesquels on ne risque rien d'enchérir un peu. Tout le monde n'a pas ma sincérité. Quand je médis de moi je ne ménage pas les termes. Je dis ce qu'on peut dire de pis, je ne laisse rien à ajouter à ceux qui m'écoutent; et je me soucie fort peu qu'ils me prennent au mot. Vous surtout, mon amie, je ne veux pas que vous en rabattiez. Si le vice dont je m'accuse n'est pas dans mon cœur, il faut qu'il y en ait un autre dans mon esprit. Si ce principe vous paraît juste, vous m'apprécierez juste, et vous serez demain, après-demain, dans dix ans, également contente ou mécontente de moi. Faites-vous à mes défauts; je suis bien vieux pour me corriger: il vous sera plus facile d'avoir une vertu de plus qu'à moi un vice de moins. Je vaux quelque chose par certains côtés; par exemple, j'ai de l'esprit à proportion de celui qu'on a. Votre sœur m'en donnait quelquefois beaucoup. Avec vous, je sens, j'aime, j'écoute, je regarde, je caresse, j'ai une sorte d'existence que je préfère à toute autre. Si vous me serrez dans vos bras, je jouis d'un bonheur au delà duquel je n'en conçois point. Il y a quatre ans que vous me parûtes belle; aujourd'hui je vous trouve plus belle encore; c'est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus.

      Au sortir du Palais-Royal, j'allai chez Grimm. Il n'y était pas; je vous écrivis en attendant qu'il vînt; il ne tarda pas. Nous causâmes de lui, de vous, de votre mère, de moi. Il n'entend rien à cette femme. J'ai apporté ici votre journal; continuez-le-moi: je vous ferai le mien. Il sera peut-être un peu monotone, surtout pendant que les jours continueront d'être pluvieux; mais qu'importe? vous y verrez du moins que mes plus doux moments sont ceux où je pense à vous.

      J'ai été occupé toute la matinée d'Héloïse et d'Abélard. Elle disait: «J'aimerais mieux être la maîtresse de mon philosophe que la femme du plus grand roi du monde.» Et je disais, moi: Combien cet homme fut aimé!

      Adieu, ma Sophie; je vous embrasse de tout mon cœur.

      XXII

      Au Grandval, le 15 octobre 1759.

      Voilà pour la troisième fois que j'envoie à Charenton, et point de nouvelles de mon amie. Sophie, pourquoi donc ne m'avez-vous point écrit? Le domestique partit avant-hier à deux heures et demie; je lui avais recommandé de mettre mes lettres dans la commode à laquelle je laisserais la clef. À six heures, je pensai qu'il pourrait être revenu. Jamais soirée ne me parut plus longue. Je montai, j'ouvris le tiroir; point de lettres. Je descendis, j'avais l'air inquiet; on s'en aperçut; car tout ce qui se passe dans mon âme on le voit sur mon visage. On causa; je pris peu de part à la conversation; on me proposa de jouer, j'acceptai Au milieu de la partie, je quittai, j'allai voir, et je ne trouvai rien. Je me dis: Apparemment que ce coquin-là se sera amusé à boire, et qu'il ne viendra que bien tard. Tant mieux; je me retirerai de bonne heure; je serai seul; je me coucherai, et je lirai la tête sur mon oreiller.

      C'était un grand plaisir que je me promettais; j'étais impatient qu'on eût servi, et qu'on eût soupe, et qu'on remontât. Ce moment enfin arriva; je courus à la commode; je ne doutai point d'y trouver ce que je cherchais, et je fus vraiment chagrin d'être trompé dans mon attente.

      Qu'est-ce


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