Histoire de la peinture en Italie. StendhalЧитать онлайн книгу.
vite que, pour s'avancer, il fallait de l'esprit et de la politique[51]. Léon X, entrant à treize ans dans le collége des cardinaux, qui avaient pour doyen très-considéré le cardinal Borgia, vivant publiquement avec ses enfants et la belle Vanosa, ce qui ne l'empêcha pas bientôt après d'acheter la couronne, ne devait prendre qu'une idée médiocre de l'utilité des mœurs. De nos jours, c'est le contraire, la mode est pour les vertus négatives; et les papes, avertis par la présence de l'ennemi, n'élèvent à la pourpre que des vieillards habiles qui ont passé leur vie à ne pas se rendre indignes de cette grande distinction, et à s'en approcher sans cesse par des pas insensibles.
Si l'on a la curiosité de prendre l'âge des évêques et des cardinaux du quinzième siècle, et qu'on le compare au temps où la vieille ambition de nos prêtres reçoit enfin sa récompense, on verra que Luther a mis les grandeurs de l'Église dans une autre saison de la vie[52]. Dommage immense pour les beaux-arts.
Les circonstances qui leur étaient favorables, et que le hasard avait surtout réunies à Florence, à Rome et à Venise, se rencontraient plus ou moins dans les autres États.
MILAN.
Un duc de Milan appela Léonard de Vinci. Comme c'était un prince qui donnait aux arts une protection réelle, il fit naître Bernardino Luini et d'autres peintres recommandables. Mais la révolution qui le jeta prisonnier dans le château de Loches, et dépeupla la Lombardie, détruisit ce public naissant et dispersa les peintres.
NAPLES.
A l'autre extrémité de l'Italie, le royaume de Naples offrait une féodalité plus ridicule encore que celle du nord de l'Europe.
Le Dominiquin, qui alla peindre à Naples l'église de Saint-Janvier, y fut empoisonné par les artistes du pays. Voilà tout ce que la peinture doit dire de cet État.
Mais il devait être illustré par un art différent, montrer, trois siècles après, que l'Italie fut toujours la patrie du génie, et lui donner des Cimarosa et des Pergolèze, quand elle n'avait plus de Titien ni de Paul Véronèse.
LE PIÉMONT.
La peinture fut appelée en Piémont pour y être, comme dans les autres monarchies, une plante exotique soignée à grands frais, élevée au milieu d'une grande jactance de paroles, et qui ne fleurit jamais.
Quoique les pinceaux soient muets, le gouvernement monarchique, même dans le cas où le roi est un ange, s'oppose à leurs chefs-d'œuvre, non pas en défendant les sujets de tableaux, mais en brisant les âmes d'artistes.
Il n'est pas si contraire à la sculpture, qui n'admet guère d'expression, et ne cherche que la beauté[53]. Loin que je veuille dire que ce gouvernement ne puisse être fort juste, quant à la propriété et quant à la liberté des sujets; mais je dis que, par les habitudes qu'il imprime, il écrase le moral des peuples.
Quelles que soient les vertus du roi, il ne peut empêcher que la nation ne prenne ou ne conserve les habitudes de la monarchie; sans quoi, son gouvernement tombe. Il ne peut empêcher que chaque classe de sujets n'ait intérêt à plaire au ministre, ou au sous-ministre, qui est son chef immédiat.
Je suppose toujours ces ministres les plus honnêtes gens du monde. Les habitudes serviles que donne la soif de leur plaire ont un caractère déplorable de petitesse, et chassent toute originalité; car, dans la monarchie, celui qui n'est pas comme les autres insulte les autres, qui se vengent par le ridicule. Dès lors plus de vrais artistes, plus de Michel-Ange, plus de Guide, plus de Giorgion. On n'a qu'à voir les mouvements d'une petite ville de France, lorsqu'un prince du sang[54] doit passer, l'anxiété avec laquelle intrigue un malheureux jeune homme pour être de la garde d'honneur à cheval; enfin il est désigné, non point par ses talents, mais par l'absence de ses talents, mais parce qu'il n'est pas une mauvaise tête, mais par le crédit qu'une vieille femme, dont il fait le boston, a sur le confesseur du maire de la ville. Dès lors c'est un homme perdu.
Je ne prétends pas qu'il ne soit honnête homme, homme respectable, homme aimable, si l'on veut; mais ce sera toujours un plat homme[55].
On suit bien l'influence de la monarchie lorsque l'on voit les grands qui ont le plus de génie naturel obligés, par tous les liens de Gulliver, à périr d'ennui pour représenter, c'est-à-dire pour tenir école de servilité monarchique[56]. C'est le service que l'archichancelier rendait à Paris à l'empereur Napoléon.
Les artistes ont le malheur de vivre à la cour[57]. Bien plus, ils ont un chef particulier auquel il faut complaire.
Si Lebrun est premier peintre du roi, tous les artistes copieront Lebrun. Si, contre toute apparence, il se trouvait quelque pauvre homme de génie assez insolent pour ne pas suivre sa manière, le premier peintre se gardera bien de favoriser un talent qui, par sa nouveauté, peut dégoûter du sien le roi son maître. Il sera très-honnête homme, je le veux; mais il ne sentira pas ce talent qui diffère du sien. La peinture sera donc toujours médiocre dans les monarchies absolues. Si le hasard y fait naître un Poussin, il ira mourir à Rome[58].
La monarchie constitutionnelle lui serait assez favorable. Personne n'a reproché aux Anglais de manquer d'originalité, d'énergie ou de richesses. Ce qui leur manque pour avoir des arts, c'est un soleil et du loisir[59].
La Sicile, par exemple, avec le gouvernement et l'opulence de l'Angleterre, pourra donner de grands peintres, si la mode y vient jamais de faire faire des tableaux.
J'ai rencontré avec plaisir le Piémont pour exemple de la monarchie. Tout le monde trouve cet exemple sous ses pas en entrant en Italie: on peut voir si j'ai menti, et tout le monde rend grâce à notre glorieuse révolution, si cet exemple est le seul que l'on puisse rencontrer aujourd'hui[60].
[2] Tacite, Robertson, Mallet.
[3] Robertson.
[4] «.... Et quoique j'eusse tué plusieurs hommes, le vicaire de Dieu m'avait pardonné par l'autorité de sa loi,» dit Benvenuto Cellini sur le point d'être mis à mort, et faisant son examen de conscience en 1538. (Vita, I, 417, édit. des classiques.)
[5] Les Italiens du treizième siècle ont un analogue vivant: la race des Afghans, au royaume de Kaboul.
[6] Ces mœurs passionnées, dont l'amour et la religion font la base, existent encore dans un petit coin du monde: on peut les observer dans la nature; mais il faut aller aux îles Açores. (Voyez History of the Azores, Londres, 1813.)
[7] Probablement on ne laissait prononcer aucun mot à l'élève sans qu'il y attachât une idée nette. La théologie et toutes les sciences vaines qui ne ressemblent à rien dans la nature sont comme les