Histoire de la peinture en Italie. StendhalЧитать онлайн книгу.
qui au fond est un peu bête, se trouve avoir une base naturelle dans le caractère de la nation la plus spirituelle de l'Europe.
L'homme de goût comprend le Cloten de Cimbélyne, comme l'Achille d'Iphigénie. Il ne voit dans les choses que ce qui s'y trouve; il ne lit pas les commentaires de tous ces gens médiocres qui veulent nous apprendre le secret des grands hommes[97]; au lieu de se faire l'idée de la perfection d'après Virgile, et de s'extasier ensuite niaisement avec les rhéteurs sur la perfection de Virgile, il se forme d'abord l'idée du beau, et cite Virgile à son tribunal avec autant de sévérité que Pradon[98].
[89] Si la charte que nous devons à un prince éclairé continue à faire notre bonheur, le goût français changera; la perverse habitude de raisonner juste passera de la politique à la littérature. Ce grand jour, on jettera au feu tous les livres écrits sous l'influence des anciennes idées[iii], et les jurés faiseurs d'hémistiches crieront que tout est perdu. N'est-il pas bien piquant pour ces pauvres diables de n'être plus payés que pour écrire sur les constitutions, après avoir passé leur jeunesse à peser les hémistiches de Racine ou les chutes sonores de Bossuet? C'est ce qui les rend anticonstitutionnels, et qui, dans trente ans, fera libéraux leurs successeurs en génie.
[iii] A commencer par le Siècle de Louis XIV de Voltaire, les œuvres de d'Alembert, de Fontenelle, tout ce qui n'est pas idéologie dans Condillac, etc., etc.
En 1770, on admirait plus les vers que les traits de caractère. Les esprits dégradés estimaient plus la richesse de la matière que le travail; la difficulté vaincue dans la chose difficile que l'on pouvait comprendre, que la difficulté vaincue dans la chose plus difficile devenue inintelligible par le malheur des temps. La cause de Racine est liée à l'inquisition.
[90] Œil simple et qui vois les objets tels qu'ils sont, à qui rien n'échappe, et qui n'y ajoutes rien, combien je t'aime! tu es la sagesse même.
(Lavater, I, 118.)
[91] Age cannot wither it, nor custom stale its infinite variety.
[92] Shakspeare dut son excellent public aux têtes qui tombaient sans cesse. On marchait à la constitution de 1688.
[93] Gibbon, tom. III; Mosheim, les Histoires d'Italie; les Civilisations de Naples et de l'Espagne comparées à celle de la France sous Louis XIV.
[94] Voyez les Sept devant Thèbes, dans le grec d'Eschyle; les modernes ne manquent pas de les faire tirer au sort dans une belle urne.
[95] L'Espagne marque bien cette différence. Quels braves guerriers contre les Français[iv]! Quels plats politiques pour défendre leur constitution, c'est-à-dire leurs têtes!
[iv] Voir le charmant tableau du général Lejeune, exposition de 1817. Là se trouve la véritable imitation de la nature, comme dans la Didon le véritable idéal. Ce sont peut-être les seuls tableaux qui seront encore regardés en 1867.
«Au mois d'avril 1815, le collége de mon département envoie à la chambre des communes quatre hommes honnêtes, ne manquant pas de fermeté, peu éclairés, mais, chose rare alors, ne portant les livrées d'aucun parti. Au mois d'août, le même collége est réuni; le quart seulement des électeurs est noble: on se jure, la veille, de nommer trois députés plébéiens; l'on va au scrutin, et le dépouillement nous donne pour représentants quatre imbéciles hors d'état d'écrire une lettre, mais qui ont l'honneur de descendre directement du Cosaque qui fut le plus fort dans mon village il y a quinze siècles. Il est bien plaisant de voir nos publicistes discuter gravement le maximum du bien pour un peuple dont l'élite ne sait pas nommer, en tout secret et toute liberté, le député qu'il sait parfaitement être convenable à ses intérêts les plus chers et les plus familiers. Eh! messieurs, des écoles à la Lancastre!»
(Note traduite du Morning-Chronicle, et qu'on croit fort exagérée.)
[96] Mademoiselle Raucourt.
[97] Excepté Rulhière, tout ce qui a paru depuis trente ans peut s'intituler: Grand secret pour faire de belles choses, inconnu jusqu'à ce jour. Nos gens ne voient pas la nature, ils ne voient que ses copies dans les phrases des livres, et ils ne savent pas même choisir ces livres. Qui est-ce qui lit en France les vingt-cinq volumes de l'Edimbourg-Review, ouvrage qui est à Grimm ce que Grimm est à la Harpe?
[98] La niaiserie littéraire est un des symptômes d'un certain état de civilisation. Écoutons le Volney des Anglais, le célèbre Elphinstone (Voyage au royaume de Caubul):
«Chez les nations qui jouissent de la liberté civile, tous les individus sont gênés par les lois, au moins jusqu'au point où cette gêne est nécessaire au maintien des droits de tous.
«Sous le despotisme, les hommes sont inégalement et imparfaitement protégés contre la violence, et soumis à l'injustice du tyran et de ses agents.
«Dans l'état d'indépendance, les individus ne sont ni gênés ni protégés par les lois; mais le caractère de l'homme prend un libre essor, et développe toute son énergie. Le courage et le talent naissent de toutes parts, car l'un et l'autre se trouvent nécessaires à l'existence.»
M. Elphinstone ajoute: «Mieux vaut un sauvage à grandes qualités qui commet des crimes, qu'un esclave incapable de toute vertu.»
Rien de plus vrai, du moins pour les arts.
CHAPITRE XVI.
ÉCOLE DE GIOTTO.
Il arriva aux élèves de Giotto ce qui arrive aux élèves de Racine, ce qui arrivera à ceux de tous les grands artistes. Ils n'osent voir dans la nature les choses que le maître n'y a pas prises. Ils se mettent tout simplement devant les effets qu'il a choisis, et prétendent en donner de nouvelles copies, c'est-à-dire qu'ils tentent précisément la chose que, jusqu'à un changement de caractère dans la nation, le grand homme vient de rendre impossible. Ils disent qu'ils le respectent, et s'ils s'élevaient à comprendre ce qu'ils font, il n'y a pas d'entreprise plus téméraire.
Pendant le reste du quatorzième siècle, la peinture ne fit plus de progrès. Les tableaux de Giotto, vus à côté des tableaux de Cavallini, de Gaddi et de ses autres bons élèves, sont toujours les ouvrages du maître. Une fois qu'on est parvenu à connaître son style, on n'a que faire d'étudier le leur. Il est moins grandiose et moins gracieux, voilà tout.
Stefano Fiorentino, dont les ouvrages ont péri, Tommaso di Stefano et Tossicani l'imitèrent avec succès. Son élève favori, celui