Traité sur la tolérance. VoltaireЧитать онлайн книгу.
favorables. Ainsi, au milieu même de la guerre, la Religion réunissait les hommes, & adoucissait quelquefois leurs fureurs, si quelquefois elle leur commandait des actions inhumaines & horribles.
Je peux me tromper; mais il me paraît que de tous les anciens Peuples policés, aucun n'a gêné la liberté de penser. Tous avaient une Religion; mais il me semble qu'ils en usaient avec les hommes comme avec leurs Dieux; ils reconnaissaient tous un Dieu suprême, mais ils lui associaient une quantité prodigieuse de Divinités inférieures; ils n'avaient qu'un culte, mais ils permettaient une foule de systêmes particuliers.
Les Grecs, par exemple, quelque religieux qu'ils fussent, trouvaient bon que les Epicuriens niassent la Providence & l'existence de l'ame. Je ne parle pas des autres Sectes, qui toutes blessaient les idées saines qu'on doit avoir de l'Etre créateur, & qui toutes étaient tolérées.
Socrate qui approcha le plus près de la connaissance du Créateur, en porta, dit-on, la peine, & mourut martyr de la Divinité; c'est le seul que les Grecs ayent fait mourir pour ses opinions. Si ce fut en effet la cause de sa condamnation, cela n'est pas à l'honneur de l'Intolérance, puisqu'on ne punit que celui qui seul rendit gloire à Dieu, & qu'on honora tous ceux qui donnaient de la Divinité les notions les plus indignes. Les ennemis de la tolérance ne doivent pas, à mon avis, se prévaloir de l'exemple odieux des Juges de Socrate.
Il est évident d'ailleurs, qu'il fut la victime d'un parti furieux animé contre lui. Il s'était fait des ennemis irréconciliables des Sophistes, des Orateurs, des Poëtes, qui enseignaient dans les Ecoles, & même de tous les Précepteurs qui avaient soin des enfants de distinction. Il avoue lui-même dans son Discours rapporté par Platon, qu'il allait de maison en maison prouver à ces Précepteurs qu'ils n'étaient que des ignorants: cette conduite n'était pas digne de celui qu'un Oracle avait déclaré le plus sage des hommes. On déchaîna contre lui un Prêtre, & un Conseiller des cinq cents, qui l'accuserent; j'avoue que je ne sais pas précisément de quoi, je ne vois que du vague dans son apologie; on lui fait dire en général, qu'on lui imputait d'inspirer aux jeunes gens des maximes contre la Religion & le Gouvernement. C'est ainsi qu'en usent tous les jours les calomniateurs dans le monde: mais il faut dans un Tribunal des faits avérés, des chefs d'accusation précis & circonstanciés; c'est ce que le procès de Socrate ne nous fournit point: nous savons seulement qu'il eut d'abord deux cents vingt voix pour lui. Le Tribunal des cinq cents possédait donc deux cents vingt Philosophes: c'est beaucoup; je doute qu'on les trouvât ailleurs. Enfin, la pluralité fut pour la ciguë; mais aussi, songeons que les Athéniens, revenus à eux-mêmes, eurent les accusateurs & les Juges en horreur; que Melitus, le principal auteur de cet Arrêt, fut condamné à mort pour cette injustice; que les autres furent bannis, & qu'on éleva un Temple à Socrate. Jamais la Philosophie ne fut si bien vengée, ni tant honorée. L'exemple de Socrate est au fond le plus terrible argument qu'on puisse alléguer contre l'intolérance. Les Athéniens avaient un Autel dédié aux Dieux étrangers, aux Dieux qu'ils ne pouvaient connaître. Y a-t-il une plus forte preuve, non-seulement d'indulgence pour toutes les Nations, mais encore de respect pour leurs cultes?
Un honnête homme qui n'est ennemi ni de la raison, ni de la littérature, ni de la probité, ni de la patrie, en justifiant depuis peu la Saint-Barthelemi, cite la guerre des Phocéens, nommée la guerre sacrée, comme si cette guerre avait été allumée pour le culte, pour le dogme, pour des arguments de Théologie; il s'agissait de savoir à qui appartiendrait un champ: c'est le sujet de toutes les guerres. Des gerbes de bled ne sont pas un symbole de créance; jamais aucune Ville Grecque ne combattit pour des opinions. D'ailleurs que prétend cet homme modeste & doux? veut-il que nous fassions une guerre sacrée?
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