La Tétralogie de l'Anneau du Nibelung. Рихард ВагнерЧитать онлайн книгу.
évidemment, réminiscence effarée, dans cette oreille latine, de quelque abrupt poème, de quelque farouche saga entendue, déjà presque fixée dans la forme des lieder forcenés qui clament, à la fin du Nibelunge-nôt, l'entr'égorgement des Huns, des Burgundes et des Amelungen; mais erreur d'histoire, ou, du moins, exagération propre à entraîner à une erreur d'histoire (car Aquitanus, personnellement, s'embarrassa fort peu, semble-t-il, de connaître la suite des affaires de Gunther), attendu que Gunther eut pour successeur son fils Gundiok, lequel régna jusqu'en 463, et, en mourant, partagea ses états entre ses quatre fils: Chilpéric, Gondemar, Gondebaud et Godégésile. Gondebaud, ayant déposé ses trois frères, régna seul. La Burgundie sous lui serait, semble-t-il, redevenue puissante. La Loi Gombette, promulguée à Lyon par Gondebaud, et dont maintes dispositions sont empruntées au Code Théodosien, établit, entre autres choses, que les Burgundes laisseront aux vaincus le tiers, au moins, des terres conquises, et elle accorde aux Romains les mêmes droits qu'au peuple vainqueur. Cela implique une grande force.
Fait important: C'est dans cette Loi qu'est consignée la généalogie de la première dynastie burgunde. On y retrouve les noms des rois et princes burgundes chantés dans les Nibelungen et dans l'Edda: Gibico[143-1], qui est Giuki, père de Gunther, Gundahar qui est Gunther, Gislahar et Godomar pour Giselher et Gernôt, frères de Gunther[143-2].
Or, il est permis d'inférer de cette particularité qu'au moment où les noms des vieux rois et princes de Burgundie figuraient, pour la première fois, dans un Code promulgué par un de leurs descendants, les souvenirs, les légendes, les traditions qui leur étaient attachées, bénéficiaient d'une telle lumière, surgissaient, augmentées des impressions laissées par tout ce qui s'était accompli depuis. La mort de Gunther, par exemple, ne fut plus une catastrophe fortuite parmi les ruines du sillage d'Attila; mais toute l'invasion s'épanouit dans ce désastre, toutes les flammes et les écroulements de la dévastation hunnique emplissent ce champ de bataille des bords du Rhin, où tomba le valeureux Gunther.
Ce grand mouvement des invasions, cette rumeur immense de vie barbare aboutissait partout, aux formes exaltées, apocalyptiques, de sa propre tradition. Devant Basine prédisant à Chilpéric la décadence de la race mérovingienne, on songe à Brünnhilde, lorsqu'elle dévoile à Sigurd le sanglant avenir du Héros.
Ce serait du règne de Gondebaud, apparemment, qu'il faudrait dater le cycle chanté (non point écrit) des sagas burgundes.
Ces chants, probablement, figuraient au nombre des sagas germaniques que Charlemagne fit recueillir, en si grand nombre. Vraisemblable, parmi cette époque passionnée, au travers de tant de batailles.—Puis, des voûtes, du silence, le vieux cri de guerre des Barbaries évanoui; une grande douleur, une grande victime, une âme désespérée; un crépuscule tombant sur cet éclat d'épées: Louis le Pieux. Il n'aimait guère ces bardits tonitruants qui avaient fait la joie de son père.—Et qui s'improvisa, faute de lui, conservateur de ces âpres légendes? Nul autre que le clergé monastique, le dur clergé monastique d'alors, qui arma Lothaire contre son père. Par zèle studieux? Plutôt par une sorte de jouissance que devaient trouver à fixer ces farouches évocations tous ces Moines guerriers, de sang germanique, qui, souvent, avaient pour abbés des princes d'empire et passaient, sans s'en émouvoir, des cellules du monastère aux tentes du champ de bataille. L'origine des collections bénédictines? des compilations enfiévrées d'un fatras de vieux poèmes frustes et tonnants! Les sagas burgundes furent, comme tant d'autres, recensées dans les couvents[144-1].
Mais avant d'examiner cette phase de la formation du cycle des Nibelungen, où les chants qui le composent sont recueillis, recensés,—et remaniés, verrons-nous, par les Moines, il nous faut dire, vite, quelques mots,—peu intéressants,—des identifications historiques tentées, jusqu'à présent, à l'égard de Siegfried et Dietrich (Théodoric).
Que n'a-t-on pas combiné pour estampiller d'archéologie Siegfried! L'Art de vérifier les dates, tout entier, a fait nombre de sauts périlleux, sans pouvoir jamais retomber sur cette date chimérique, enfouie au fond de la légende! On a voulu voir en Siegfried le Sigebert mérovingien. Comme Siegfried, Sigebert vainquit Saxons et Danois.—«Il les dompta par la force, cet homme si beau! Le roi Liùdger doit en souffrir le dommage, ainsi que son frère Liùdgast, du pays des Sahsen (Nibelungen, IV).» Sigebert était Roi d'Austrasie: or, la capitale du Royaume de Siegfried, selon le poème, Santen, près du Rhin, se trouvait, par conséquent, en Austrasie; et il est certain, d'autre part, que, même avant les rois mérovingiens, à l'époque où Santen était une colonie romaine, les Francs-Saliens, à la tribu desquels Siegfried aurait appartenu, selon une autre hypothèse, étaient établis déjà dans cette contrée, puisque Julien, leur ayant vainement représenté qu'ils y usurpaient le territoire des empereurs, fut tenu de les en chasser. Outre cet argument, l'on n'a pas manqué d'établir une correspondance entre les querelles de Frédégonde et de Brunehaut et celles de Kriemhilt et de Brünnhild. Comme Sigebert, dans l'Histoire, Siegfried, dans le poème, est victime de ces querelles. Sigebert est assassiné comme il allait s'emparer de Tournay, refuge de son rival Chilpéric. Ainsi Gunther se félicite de la mort de Siegfried, dont la puissance menaçait la sienne. Il est certain que la célèbre rivalité de Frédégonde et de Brunehaut a eu sa légende, laquelle a pu se mêler, après coup, aux traditions burgundes. Mais ces identifications, même plus étroites, n'en demeureraient pas moins stériles, attendu que jamais on ne pourra vérifier historiquement les rapports de Siegfried avec les Burgundes du temps de Gunther, puisque, à l'époque de Sigebert, Gunther n'existait plus.
Aussi cette fameuse figure gravée (jadis, Cf. Montfaucon; la figure actuelle n'est pas authentique) sur le tombeau de Sigebert, à Saint-Médard de Soissons, et qui représente ce roi, les pieds sur un dragon. L'on a cru y voir un souvenir du mythe de Siegfried vainqueur de Fafner. La même figure se retrouve dans l'église de Santen, et l'on pourrait certainement, avec un peu de recherche, en indiquer ailleurs d'autres exemplaires. Mais que prouve cela, sinon que ce mythe scandinave du Dragon terrassé, ne heurtant point les idées du Christianisme, qui, lui-même, a son saint Michel vainqueur du Dragon, s'était conservé plus longtemps que les autres mythes, et était devenu comme un symbole de vaillance, de lieutenance divine. Ce symbole je le retrouve en d'autres personnages, avec qui jamais pourtant on ne songea à identifier Siegfried; ainsi: le Fléau-de-Dieu; et Théodoric dont le nom signifie: Combattant-de-Dieu.
Enfin une tradition norvégienne,—que, d'ailleurs, l'on ne peut guère prendre plus au sérieux que les hypothèses concernant l'identification du Héros des Nibelungen avec Sigebert Ier d'Austrasie (mais deux improbabilités se valent),—viendrait contredire le système ci-dessus rapporté. En effet, suivant ces dernières données, Siegfried, ou plutôt Sigurd, aurait vécu en Norvège, vers le commencement du IXe siècle, puisque le iarl Ragnar Lodbrog, qui y régnait alors, épousa, en secondes noces, une certaine Aslaug, (ou Kraka) «qu'il crut, longtemps, la fille d'un simple pêcheur, mais qui avait eu, pour père, Sigurd Fahnericida et Brynnhilda pour mère[147-1].» Une saga attribue même à Ragnar Lodbrog la victoire sur le Dragon! Il y eut, dans les pays norvégiens, une manière de dynastie de Sigurd[147-2], etc.
Le Siegfried germanique serait cependant antérieur au Sigurd scandinave. Lachmann et W. Grimm en font un Chef d'une tribu de Francs-Saliens. Dans les Nibelungen, les terres de Siegfried sont, comme on a vu, situées dans le pays qu'occupaient les Francs-Saliens. A quel moment aurait-il vécu parmi eux? A une époque très reculée certainement, puisque, aussi haut qu'on remonte, on retrouve Santen comme colonie romaine (Colonia Trajana, et aussi Tricesimæ). Le récit fait par Ammien-Marcellin de la lutte que Julien engagea avec eux, et qui les fit connaître, ne fournit aucun indice sur Siegfried. Si donc Siegfried a vécu parmi les Francs-Saliens, c'est à l'époque héroïque, quasi-fabuleuse, où ces tribus erraient, sans autres annales que les Chants de leurs Skaldes, des solitudes du Rhin aux brumeux rivages de la mer du Nord. Dans ces conditions, on ne peut guère plus en savoir historiquement sur le Héros germanique, que, par exemple, sur les rois danois de la mythique dynastie Skioldungienne.
Quelques mots sur Théodoric et nous avons fini ce fastidieux inventaire des