Histoire d'un casse-noisette. Alexandre DumasЧитать онлайн книгу.
de petits instruments sans nom, qu'il avait fabriqués lui-même et dont lui seul connaissait la propriété, choisissait les plus aigus, qu'il plongeait dans l'intérieur de la pendule, acuponcture qui faisait grand mal à la petite Marie, laquelle ne pouvait croire que la pauvre horloge ne souffrît pas de ces opérations, mais qui, an contraire, ressuscitait la gentille trépanée, qui, dès qu'elle était replacée dans son coffre, ou entre ses colonnes, ou sur son rocher, se mettait à vivre, battre et à ronronner de plus belle; ce qui rendait aussitôt l'existence à l'appartement, qui semblait avoir perdu son âme en perdant sa joyeuse pensionnaire.
Il y a plus: sur la prière de la petite Marie, qui voyait avec peine le chien de la cuisine tourner la broche, occupation très-fatigante pour le pauvre animal, le parrain Drosselmayer avait consenti à descendre des hauteurs de sa science pour fabriquer un chien automate, lequel tournait maintenant la broche sans aucune douleur ni aucune convoitise, tandis que Turc, qui, au métier qu'il avait fait depuis trois ans, était devenu très-frileux, se chauffait en véritable rentier le museau et les pattes, sans avoir autre chose à faire que de regarder son successeur, qui, une fois remonté, en avait pour une heure faire sa besogne gastronomique sans qu'on eût à s'occuper seulement de lui.
Aussi, après le président, après la présidente, après Fritz et après Marie, Turc était bien certainement l'être de la maison qui aimait et vénérait le plus le parrain Drosselmayer, auquel il faisait grande fête toutes les fois qu'il le voyait arriver, annonçant même quelquefois, par ses aboiements joyeux et par le frétillement de sa queue, que le conseiller de médecine était en route pour venir, avant même que le digne parrain eût touché le marteau de la porte.
Le soir donc de cette bienheureuse veille de Noël, au moment o le crépuscule commençait à descendre, Fritz et Marie, qui, de toute la journée, n'avaient pu entrer dans le grand salon d'apparat, se tenaient accroupis dans un petit coin de la salle manger.
Tandis que mademoiselle Trudchen, leur gouvernante, tricotait près de la fenêtre, dont elle s'était approchée pour recueillir les derniers rayons du jour, les enfants étaient pris d'une espèce de terreur vague, parce que, selon l'habitude de ce jour solennel, on ne leur avait pas apporté de lumière; de sorte qu'ils parlaient bas comme on parle quand on a un petit peu peur.
—Mon frère, disait Marie, bien certainement papa et maman s'occupent de notre arbre de Noël; car, depuis le matin, j'entends un grand remue-ménage dans le salon, où il nous est défendu d'entrer.
—Et moi, dit Fritz, il y a dix minutes à peu près que j'ai reconnu; à la manière dont Turc aboyait, que le parrain Drosselmayer entrait dans la maison.
—O Dieu! s'écria Marie en frappant ses deux petites mains l'une contre l'autre, que va-t-il nous apporter, ce bon parrain? Je suis sûre, moi, que ce sera quelque beau jardin tout plant d'arbres, avec une belle rivière qui coulera sur un gazon brod de fleurs. Sur cette rivière, il y aura des cygnes d'argent avec des colliers d'or, et une jeune fille qui leur apportera des massepains qu'ils viendront manger jusque dans son tablier.
—D'abord, dit Fritz, de ce ton doctoral qui lui était particulier, et que ses parents reprenaient en lui comme un de ses plus graves défauts, vous saurez, mademoiselle Marie, que les cygnes ne mangent pas de massepains.
—Je le croyais, dit Marie; mais, comme tu as un an et demi de plus que moi, tu dois en savoir plus que je n'en sais.
Fritz se rengorgea.
—Puis, reprit-il, je crois pouvoir dire que, si parrain Drosselmayer apporte quelque chose, ce sera une forteresse, avec des soldats pour la garder, des canons pour la défendre, et des ennemis pour l'attaquer; ce qui fera des combats superbes.
—Je n'aime pas les batailles, dit Marie. S'il apporte une forteresse, comme tu le dis ce sera donc pour toi; seulement, je réclame les blessés pour en avoir soin.
—Quelque chose qu'il apporte, dit Fritz, tu sais bien que ce ne sera ni pour toi ni pour moi, attendu que, sous le prétexte que les cadeaux de parrain Drosselmayer sont de vrais chefs-d'oeuvre, on nous les reprend aussitôt qu'il nous les a donnés, et qu'on les enferme tout au haut de la grande armoire vitrée où papa seul peut atteindre, et encore en montant sur une chaise, ce qui fait, continua Fritz, que j'aime autant et même mieux les joujoux que nous donnent papa et maman, et avec lesquels on nous laisse jouer au moins jusqu'à ce que nous les ayons mis en morceaux, que ceux que nous apporte le parrain Drosselmayer.
—Et moi aussi, répondit Marie; seulement, il ne faut pas répéter ce que tu viens de dire au parrain.
—Pourquoi?
—Parce que cela lui ferait de la peine que nous n'aimassions pas autant ses joujoux que ceux qui nous viennent de papa et de maman; il nous les donne, pensant nous faire grand plaisir, il faut donc lui laisser croire qu'il ne se trompe pas.
—Ah bah! dit Fritz.
—Mademoiselle Marie a raison, monsieur Fritz, dit mademoiselle Trudchen, qui, d'ordinaire, était fort silencieuse et ne prenait la parole que dans les grandes circonstances.
—Voyons, dit vivement Marie pour empêcher Fritz de répondre quelque impertinence à la pauvre gouvernante, voyons, devinons ce que nous donneront nos parents. Moi, j'ai confié à maman, mais la condition qu'elle ne la gronderait pas, que mademoiselle Rosé, ma poupée, devenait de plus en plus maladroite, malgré les sermons que je lui fais sans cesse, et n'est occupée qu'à se laisser tomber sur le nez, accident qui ne s'accomplit jamais sans laisser des traces très désagréables sur son visage; de sorte qu'il n'y a plus à penser à la conduire dans le monde, tant sa figure jure maintenant avec ses robes.
—Moi, dit Fritz, je n'ai pas laissé ignorer à papa qu'un vigoureux cheval alezan ferait très-bien dans mon écurie; de même que je l'ai prié d'observer qu'il n'y a pas d'armée bien organisée sans cavalerie légère, et qu'il manque un escadron de hussards pour compléter la division que je commande.
A ces mots, mademoiselle Trudchen jugea que le moment convenable était venu de prendre une seconde fois la parole.
—Monsieur Fritz et mademoiselle Marie, dit-elle, vous savez bien que c'est l'enfant Jésus qui donne et bénit tous ces beaux joujoux qu'on vous apporte. Ne désignez donc pas d'avance ceux que vous désirez, car il sait mieux que vous-mêmes ceux qui peuvent vous être agréables.
—Ah! oui, dit Fritz, avec cela que, l'année passée, il ne m'a donné que de l'infanterie quand, ainsi que je viens de le dire, il m'eût été très agréable d'avoir un escadron de hussards.
—Moi, dit Marie, je n'ai qu'à le remercier, car je ne demandais qu'une seule poupée, et j'ai encore eu une jolie colombe blanche avec des pattes et un bec roses.
Sur ces entrefaites, la nuit étant arrivée tout à fait, de sorte que les enfants parlaient de plus bas en plus bas, et qu'ils se tenaient toujours plus rapprochés l'un de l'autre, il leur semblait autour d'eux sentir les battements d'ailes de leurs anges gardiens tout joyeux, et entendre dans le lointain une musique douce et mélodieuse comme celle d'un orgue qui eût chanté, sous les sombres arceaux d'une cathédrale, la nativité de Notre-Seigneur. Au même instant, une vive lueur passa sur la muraille, et Fritz et Marie comprirent que c'était l'enfant Jésus qui, après avoir déposé leurs joujoux dans le salon, s'envolait sur un nuage d'or vers d'autres enfants qui l'attendaient avec la même impatience qu'eux.
Aussitôt une sonnette retentit, la porte s'ouvrit avec fracas, et une telle lumière jaillit de l'appartement, que les enfants demeurèrent éblouis, n'ayant que la force de crier:
—Ah! ah! ah!
Alors le président et la présidente vinrent sur le seuil de la porte, prirent Fritz et Marie par la main.
—Venez voir, mes petits amis, dirent-ils, ce que l'enfant Jésus vient de vous apporter.
Les enfants entrèrent aussitôt dans le salon, et mademoiselle Trudchen, ayant posé son tricot sur la chaise qui était devant elle, les suivit.
L'arbre de Noël
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