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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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connais d’ailleurs pas du tout. Veux-tu que je te le présente? il me l’avait demandé, j’ai répondu dans le vague, parce qu’il est très insignifiant et ennuyeux, et comme il te trouve très jolie il ne te lâcherait plus.

      – Oh alors! non, dit Françoise, il est un peu laid du reste et vulgaire, malgré d’assez beaux yeux.

      – Tu as raison, dit Geneviève. Et puis tu le rencontreras souvent, cela pourrait te gêner si tu le connaissais.» Elle ajouta en plaisantant:

      «Maintenant si tu désires être intime avec lui, tu perds une bien belle occasion.

      – Oui, une bien belle occasion, dit Françoise, – et elle pensait déjà à autre chose.

      – Après tout, dit Geneviève, prise sans doute du remords d’avoir été un si infidèle mandataire et d’avoir gratuitement privé ce jeune homme d’un plaisir, c’est une des dernières soirées de la saison, cela n’aurait rien de bien grave et ce serait peut-être plus gentil.

      – Eh bien soit, s’il revient par ici.» Il ne revint pas. Il était à l’autre bout du salon, en face d’elles. «Il faut nous en aller, dit bientôt Geneviève.

      – Encore un instant, dit Françoise.»

      Et par caprice, surtout de coquetterie envers ce jeune homme qui devait en effet la trouver bien jolie, elle se mit à le regarder un peu longtemps, puis détournait les yeux et les fixait de nouveau sur lui. En le regardant, elle s’efforçait d’être caressante, elle ne savait pourquoi, pour rien, pour le plaisir, le plaisir de la charité, et de l’orgueil un peu, et aussi de l’inutile, le plaisir de ceux qui écrivent un nom sur un arbre pour un passant qu’ils ne verront jamais, de ceux qui jettent une bouteille à la mer. Le temps passait, il était déjà tard; M. de Laléande se dirigea vers la porte, qui resta ouverte après qu’il fut sorti, et Mme de Breyves l’apercevait au fond du vestibule qui tendait son numéro au vestiaire.

      «Il est temps de partir, tu as raison», dit-elle à Geneviève.

      Elles se levèrent. Mais le hasard d’un mot qu’un ami de Geneviève avait à lui dire laissa Françoise seule au vestiaire. Il n’y avait là à ce moment que M. de Laléande qui ne pouvait trouver sa canne. Françoise s’amusa une dernière fois à le regarder. Il passa près d’elle, remua légèrement le coude de Françoise avec le sien, et, les yeux brillants, dit, au moment où il était contre elle, ayant toujours l’air de chercher:

      «Venez chez moi, 5, rue Royale.»

      Elle avait si peu prévu cela et maintenant M. de Laléande continuait si bien à chercher sa canne, qu’elle ne sut jamais très exactement dans la suite si ce n’avait pas été une hallucination. Elle avait surtout très peur, et le prince d’A… passant à ce moment elle l’appela, voulait prendre rendez-vous avec lui pour faire le lendemain une promenade, parlait avec volubilité. Pendant cette conversation M. de Laléande s’en était allé. Geneviève arriva au bout d’un instant et les deux femmes partirent. Mme de Breyves ne raconta rien et resta choquée et flattée, au fond très indifférente. Au bout de deux jours, y ayant repensé par hasard, elle commença de douter de la réalité des paroles de M. de Laléande.

      Essayant de se rappeler, elle ne le put pas complètement, crut les avoir entendues comme dans un rêve et se dit que le mouvement du coude était une maladresse fortuite. Puis elle ne pensa plus spontanément à M. de Laléande et quand par hasard elle entendait prononcer son nom, elle se rappelait rapidement sa figure et avait tout à fait oublié la presque hallucination au vestiaire.

      Elle le revit à la dernière soirée qui fut donnée cette année-là (juin finissait, n’osa pas demander qu’on le lui présentât, et pourtant, malgré qu’elle le trouvât presque laid, le sût pas intelligent, elle aurait bien aimé le connaître. Elle s’approcha de Geneviève et lui dit:

      «Présente-moi tout de même M. de Laléande. Je n’aime pas à être impolie. Mais ne dis pas que c’est moi qui le demande. Cela m’engagerait trop.

      – Tout à l’heure si nous le voyons, il n’est pas là pour le moment.

      – Eh bien, cherche-le.

      – Il est peut-être parti.

      – Mais non, dit très vite Françoise, il ne peut pas être parti, il est trop tôt. Oh! déjà minuit. Voyons, ma petite Geneviève, ça n’est pourtant pas bien difficile.

      L’autre soir, c’était toi qui voulais. Je t’en prie, cela a un intérêt pour moi.» Geneviève la regarda un peu étonnée et alla à la recherche de M. de Laléande; il était parti.

      «Tu vois que j’avais raison, dit Geneviève, en revenant auprès de Françoise.

      – Je m’assomme ici, dit Françoise, j’ai mal à la tête, je t’en prie, partons tout de suite.»

      III

      Françoise ne manqua plus une fois l’Opéra, accepta avec un espoir vague tous les dîners où elle fut encore invitée. Quinze jours se passèrent, elle n’avait pas revu M. de Laléande et souvent s’éveillait la nuit en pensant aux moyens de le revoir. Tout en se répétant qu’il était ennuyeux et pas beau, elle était plus préoccupée par lui que par tous les hommes les plus spirituels et les plus charmants. La saison finie, il ne se présenterait plus d’occasion de le revoir, elle était résolue à en créer et cherchait.

      Un soir, elle dit à Geneviève:

      «Ne m’as-tu pas dit que tu connaissais un M. de Laléande?

      – Jacques de Laléande? Oui et non, il m’a été présenté, mais il ne m’a jamais laissé de cartes, je ne suis pas du tout en relation avec lui.

      – C’est que je te dirai, j’ai un petit intérêt, même assez grand, pour des choses qui ne me concernent pas et qu’on ne me permettra sans doute pas de te dire avant un mois (d’ici là elle aurait convenu avec lui d’un mensonge pour n’être pas découverte, et cette pensée d’un secret où seuls ils seraient tous les deux lui était douce), à faire sa connaissance et à me trouver avec lui.

      Je t’en prie, tâche de me trouver un moyen parce que la saison est finie, il n’y aura plus rien et je ne pourrai plus me le faire présenter.» Les étroites pratiques de l’amitié, si purifiantes quand elles sont sincères, abritaient Geneviève aussi bien que Françoise des curiosités stupides qui sont l’infâme volupté de la plupart des gens du monde. Aussi de tout son coeur, sans avoir eu un instant l’intention ni le désir, pas même l’idée d’interroger son amie, Geneviève cherchait, se fâchait seulement de ne pas trouver.

      «C’est malheureux que Mme d’A… soit partie. Il y a bien M. de Grumello, mais après tout, cela n’avance à rien, quoi lui dire? Oh! j’ai une idée. M. de Laléande joue du violoncelle assez mal, mais cela ne fait rien.

      M. de Grumello l’admire, et puis il est si bête et sera si content de te faire plaisir. Seulement toi qui l’avais toujours tenu à l’écart et qui n’aimes pas lâcher les gens après t’en être servie, tu ne vas pas vouloir être obligée de l’inviter l’année prochaine.» Mais déjà Françoise, rouge de joie, s’écriait:

      «Mais cela m’est bien égal, j’inviterai tous les rastaquouères de Paris s’il le faut. Oh! fais-le vite, ma petite Geneviève, que tu es gentille!» Et Geneviève écrivit:

      «Monsieur, vous savez comme je cherche toutes les occasions de faire plaisir à mon amie, Mme de Breyves, que vous avez sans doute déjà rencontrée. Elle a exprimé devant moi, à plusieurs reprises, comme nous parlions violoncelle, le regret de n’avoir jamais entendu M. de Laléande qui est un si bon ami à vous. Voudriez-vous le faire jouer pour elle et pour moi? Maintenant qu’on est si libre, cela ne vous dérangera pas trop et ce serait tout ce qu’il y a de plus aimable. Je vous envoie tous mes meilleurs souvenirs,

      ALÉRIOUVRE BUIVRES.»

      «Portez ce mot tout de suite chez M. de Grumello, dit Françoise à un domestique; n’attendez pas de réponse,


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