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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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si loin de moi, vous toutes, descendante exilée de la colombe de l’arche. Et qui même n’a connu de ces moments, cher Willie, où il voudrait être où vous êtes. On prend tant d’engagements envers la vie qu’il vient une heure où, découragé de pouvoir jamais les tenir tous, on se tourne vers les tombe qu’on appelle la mort, «la mort qui vient en aide aux destinées qui ont peine à s’accomplir».

      Mais si elle nous délie des engagements que nous avons pris envers la vie, elle ne peut nous délier de ceux que nous avons pris envers nous-même, et du premier surtout, qui est de vivre pour valoir et mériter.

      Plus grave qu’aucun de nous, vous étiez aussi plus enfant qu’aucun, non pas seulement par la pureté du coeur, mais par une gaieté candide et délicieuse. Charles de Grancey avait le don que je lui enviais de pouvoir, avec des souvenirs de collège, réveiller brusquement ce rire qui ne s’endormait jamais bien longtemps, et que nous n’entendrons plus.

      Si quelques-unes de ces pages ont été écrites à vingt-trois ans, bien d’autres “Violante, presque tous les Fragments de la comédie italienne, etc.) datent de ma vingtième année. Toutes ne sont que la vaine écume d’une vie agitée, mais qui maintenant se calme. Puisse-t-elle être un jour assez limpide pour que les Muses daignent s’y mirer et qu’on voie courir à la surface le reflet de leurs sourires et de leurs danses.

      Je vous donne ce livre. Vous êtes, hélas! le seul de mes amis dont il n’ait pas à redouter les critiques. J’ai au moins la confiance que nulle part la liberté du ton ne vous y eût choqué. Je n’ai jamais peint l’immoralité que chez des êtres d’une conscience délicate. Aussi, trop faibles pour vouloir le bien, trop nobles pour jouir pleinement dans le mal, ne connaissant que la souffrance, je n’ai pu parler d’eux qu’avec une pitié trop sincère pour qu’elle ne purifiât pas ces petits essais.

      Que l’ami véritable, le Maître illustre du bien-aimé qui leur ont ajouté, l’un la poésie de la musique, l’autre la musique de son incomparable poésie, que M. Darlu aussi, le grand philosophe dont la parole inspirée, plus sûre de durer qu’un écrit, a, en moi comme en tant d’autres, engendré la pensée, me pardonnent d’avoir réservé pour vous ce gage dernier d’affection, se souvenant qu’aucun vivant, si grand soit-il ou si cher, ne doit être honoré qu’après un mort.

Juillet 1894

      La Mort De Baldassare Silvande

VICOMTE de SYLVANIE

      I

      «Apollon gardait les troupeaux d’Admète, disent les poètes;

      chaque homme aussi est un dieu déguisé qui contrefait le fou.»

EMERSON

      «Monsieur Alexis, ne pleurez pas comme cela, M. le vicomte de Sylvanie va peut-être vous donner un cheval.

      – Un grand cheval, Beppo, ou un poney?

      – Peut-être un grand cheval comme celui de M. Cardenio. Mas ne pleurez donc pas comme cela… le jour de vos treize ans!» L’espoir de recevoir un cheval et le souvenir qu’il avait treize ans firent briller, à travers les larmes, les yeux d’Alexis. Mais il n’était pas consolé puisqu’il fallait aller voir son oncle Baldassare SILVANDE, vicomte de Sylvanie. Certes, depuis le jour où il avait entendu dire que la maladie de son oncle était inguérissable, Alexis l’avait vu plusieurs fois. Mais depuis, tout avait bien changé. Baldassare s’était rendu compte de son mal et savait maintenant qu’il avait au plus trois ans à vivre. Alexis, sans comprendre d’ailleurs comment cette certitude n’avait pas tué de chagrin ou rendu fou son oncle, se sentait incapable de supporter la douleur de le voir. Persuadé qu’il allait lui parler de sa fin prochaine, il ne se croyait pas la force, non seulement de le consoler, mais même de retenir ses sanglots.

      Il avait toujours adoré son oncle, le plus grand, le plus beau, le plus jeune, le plus vif, le plus doux de ses parents. Il aimait ses yeux gris, ses moustaches blondes, ses genoux, lieu profond et doux de plaisir et de refuge quand il était plus petit, et qui lui semblaient alors inaccessibles comme une citadelle, amusants comme des chevaux de bois et plus inviolables qu’un temple.

      Alexis, qui désapprouvait hautement la mise sombre et sévère de son père et rêvait à un avenir où, toujours à cheval, il serait élégant comme une dame et splendide comme un roi, reconnaissait en Baldassare l’idéal le plus élevé qu’il se formait d’un homme; il savait que son oncle était beau, qu’il lui ressemblait, il savait aussi qu’il était intelligent, généreux, qu’il avait une puissance égale à celle d’un évêque ou d’un général. A la vérité, les critiques de ses parents lui avaient appris que le vicomte avait des défauts. Il se rappelait même la violence de sa colère le jour où son cousin Jean Galeas s’était moqué de lui, combien l’éclat de ses yeux avait trahi les jouissances de sa vanité quand le duc de Parme lui avait fait offrir la main de sa soeur dl avait alors, en essayant de dissimuler son plaisir, serré les dents et fait une grimace qui lui était habituelle et qui déplaisait à Alexis) et le ton méprisant dont il parlait à Lucretia qui faisait profession de ne pas aimer sa musique.

      Souvent, ses parents faisaient allusion à d’autres actes de son oncle qu’Alexis ignorait, mais qu’il entendait vivement blâmer.

      Mais tous les défauts de Baldassare, sa grimace vulgaire, avaient certainement disparu. Quand son oncle avait su que dans deux ans petit-être il serait mort, combien les moqueries de Jean Galeas, l’amitié du duc de Parme et sa propre musique avaient dû lui devenir indifférentes. Alexis se le représentait aussi beau, mais solennel et plus parfait encore qu’il ne l’était auparavant. Oui, solennel et déjà plus tout à fait de ce monde. Aussi à son désespoir se mêlait un peu d’inquiétude et d’effroi.

      Les chevaux étaient attelés depuis longtemps, il fallait partir; il monta dans la voiture, puis redescendit pour aller demander un dernier conseil à son précepteur. Au moment de parler, il devint très rouge:

      «Monsieur Legrand, vaut-il mieux que mon oncle croie ou ne croie pas que je sais qu’il sait qu’il doit mourir?

      – Qu’il ne le croie pas, Alexis!

      – Mais, s’il m’en parle?

      – Il ne vous en parlera pas.

      – Il ne m’en parlera pas?» dit Alexis étonné, car c’était la seule alternative qu’il n’eût pas prévue: chaque fois qu’il commençait à imaginer sa visite à son oncle, il l’entendait lui parler de la mort avec la douceur d’un prêtre.

      «Mais, enfin, s’il m’en parle?

      – Vous direz qu’il se trompe.

      – Et si je pleure?

      – Vous avez trop pleuré ce matin, vous ne pleurerez pas chez lui.

      – Je ne pleurerai pas! s’écria Alexis avec désespoir, mais il croira que je n’ai pas de chagrin, que je ne l’aime pas… mon petit oncle!».

      Et il se mit à fondre en larmes. Sa mère, impatientée d’attendre, vint le chercher; ils partirent.

      Quand Alexis eut donné son petit paletot à un valet en livrée verte et blanche, aux armes de Sylvanie, qui se tenait dans le vestibule, il s’arrêta un moment avec sa mère à écouter un air de violon qui venait d’une chambre voisine. Puis, on les conduisit dans une immense pièce ronde entièrement vitrée où le vicomte se tenait souvent. En entrant, on voyait en face de soi la mer, et, en tournant la tête, des pelouses, des pâturages et des bois; au fond de la pièce, il y avait deux chats, des roses, des pavots et beaucoup d’instruments de musique. Ils attendirent un instant.

      Alexis se jeta sur sa mère, elle crut qu’il voulait l’embrasser, mais il lui demanda tout bas, sa bouche collée à son oreille:

      «Quel âge a mon oncle?

      – Il aura trente-six ans au mois de juin.» Il voulut demander: «Crois-tu qu’il aura jamais trente-six ans?» mais il n’osa pas.

      Une porte s’ouvrit, Alexis trembla, un domestique dit:

      «Monsieur


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