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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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efforts pour me sécher, je retournais près de la fenêtre jeter encore un regard sur ce vaste cirque éblouissant et montagneux et sur les sommets neigeux de ses vagues en pierre d’émeraude çà et là polie et translucide, lesquelles avec une placide violence et un froncement léonin laissaient s’accomplir et dévaler l’écoulement de leurs pentes auxquelles le soleil ajoutait un sourire sans visage. Fenêtre à laquelle je devais ensuite me mettre chaque matin comme au carreau d’une diligence dans laquelle on a dormi, pour voir si pendant la nuit s’est rapprochée ou éloignée une chaîne désirée – ici ces collines de la mer qui avant de revenir vers nous en dansant, peuvent reculer si loin que souvent ce n’était qu’après une longue plaine sablonneuse que j’apercevais à une grande distance leurs premières ondulations, dans un lointain transparent, vaporeux et bleuâtre comme ces glaciers qu’on voit au fond des tableaux des primitifs toscans. D’autres fois, c’était tout près de moi que le soleil riait sur ces flots d’un vert aussi tendre que celui que conserve aux prairies alpestres (dans les montagnes où le soleil s’étale çà et là comme un géant qui en descendrait gaiement, par bonds inégaux, les pentes) moins l’humidité du sol que la liquide mobilité de la lumière. Au reste, dans cette brèche que la plage et les flots pratiquent au milieu du monde pour du reste y faire passer, pour y accumuler la lumière, c’est elle surtout, selon la direction d’où elle vient et que suit notre oeil, c’est elle qui déplace et situe les vallonnements de la mer. La diversité de l’éclairage ne modifie pas moins l’orientation d’un lieu, ne dresse pas moins devant nous de nouveaux buts qu’il nous donne le désir d’atteindre, que ne ferait un trajet longuement et effectivement parcouru en voyage. Quand le matin le soleil venait de derrière l’hôtel, découvrant devant moi les grèves illuminées jusqu’aux premiers contreforts de la mer, il semblait m’en montrer un autre versant et m’engager à poursuivre, sur la route tournante de ses rayons, un voyage immobile et varié à travers les plus beaux sites du paysage accidenté des heures. Et dès ce premier matin le soleil me désignait au loin d’un doigt souriant ces cimes bleues de la mer qui n’ont de nom sur aucune carte géographique, jusqu’à ce qu’étourdi de sa sublime promenade à la surface retentissante et chaotique de leurs crêtes et de leurs avalanches, il vînt se mettre à l’abri du vent dans ma chambre, se prélassant sur le lit défait et égrenant ses richesses sur le lavabo mouillé, dans la malle ouverte, où par sa splendeur même et son luxe déplacé, il ajoutait encore à l’impression du désordre. Hélas, le vent de mer, une heure plus tard, dans la grande salle à manger – tandis que nous déjeunions et que, de la gourde de cuir d’un citron, nous répandions quelques gouttes d’or sur deux soles qui bientôt laissèrent dans nos assiettes le panache de leurs arêtes, frisé comme une plume et sonore comme une cithare – il parut cruel à ma grand’mère de n’en pas sentir le souffle vivifiant à cause du châssis transparent mais clos qui, comme une vitrine, nous séparait de la plage tout en nous la laissant entièrement voir et dans lequel le ciel entrait si complètement que son azur avait l’air d’être la couleur des fenêtres et ses nuages blancs un défaut du verre. Me persuadant que j’étais «assis sur le môle» ou au fond du «boudoir» dont parle Baudelaire, je me demandais si son «soleil rayonnant sur la mer» ce n’était pas – bien différent du rayon du soir, simple et superficiel comme un trait doré et tremblant – celui qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière, écumante comme du lait, tandis que par moments s’y promenaient çà et là de grandes ombres bleues, que quelque Dieu semblait s’amuser à déplacer en bougeant un miroir dans le ciel. Malheureusement ce n’était pas seulement par son aspect que différait de la «salle» de Combray donnant sur les maisons d’en face, cette salle à manger de Balbec, nue, emplie de soleil vert comme l’eau d’une piscine, et à quelques mètres de laquelle la marée pleine et le grand jour élevaient, comme devant la cité céleste, un rempart indestructible et mobile d’émeraude et d’or. A Combray, comme nous étions connus de tout le monde, je ne me souciais de personne. Dans la vie de bains de mer on ne connaît que ses voisins. Je n’étais pas encore assez âgé et j’étais resté trop sensible pour avoir renoncé au désir de plaire aux êtres et de les posséder. Je n’avais pas l’indifférence plus noble qu’aurait éprouvée un homme du monde à l’égard des personnes qui déjeunaient dans la salle à manger, ni des jeunes gens et des jeunes filles passant sur la digue, avec lesquels je souffrais de penser que je ne pourrais pas faire d’excursions, moins pourtant que si ma grand’mère, dédaigneuse des formes mondaines et ne s’occupant que de ma santé, leur avait adressé la demande, humiliante pour moi, de m’agréer comme compagnon de promenade. Soit qu’ils rentrassent vers quelque chalet inconnu, soit qu’ils en sortissent pour se rendre raquette en mains à un terrain de tennis, ou montassent sur des chevaux dont les sabots me piétinaient le coeur, je les regardais avec une curiosité passionnée, dans cet éclairage aveuglant de la plage où les proportions sociales sont changées, je suivais tous leurs mouvements à travers la transparence de cette grande baie vitrée qui laissait passer tant de lumière. Mais elle interceptait le vent et c’était un défaut à l’avis de ma grand’mère qui, ne pouvant supporter l’idée que je perdisse le bénéfice d’une heure d’air, ouvrit subrepticement un carreau et fit envoler du même coup avec les menus, les journaux, voiles et casquettes de toutes les personnes qui étaient en train de déjeuner; elle-même, soutenue par le souffle céleste, restait calme et souriante comme sainte Blandine, au milieu des invectives qui, augmentant mon impression d’isolement et de tristesse, réunissaient contre nous les touristes méprisants, dépeignés et furieux.

      Pour une certaine partie – ce qui, à Balbec, donnait à la population, d’ordinaire banalement riche et cosmopolite, de ces sortes d’hôtels de grand luxe, un caractère régional assez accentué – ils se composaient de personnalités éminentes des principaux départements de cette partie de la France, d’un premier président de Caen, d’un bâtonnier de Cherbourg, d’un grand notaire du Mans qui, à l’époque des vacances, partant des points sur lesquels toute l’année ils étaient disséminés en tirailleurs ou comme des pions au jeu de dames, venaient se concentrer dans cet hôtel. Ils y conservaient toujours les mêmes chambres, et, avec leurs femmes qui avaient des prétentions à l’aristocratie, formaient un petit groupe, auquel s’étaient adjoints un grand avocat et un grand médecin de Paris qui le jour du départ leur disaient:

      – Ah! c’est vrai, vous ne prenez pas le même train que nous, vous êtes privilégiés, vous serez rendus pour le déjeuner.

      – Comment, privilégiés? Vous qui habitez la capitale, Paris, la grand ville, tandis que j’habite un pauvre chef-lieu de cent mille âmes, il est vrai cent deux mille au dernier recensement; mais qu’est-ce à côté de vous qui en comptez deux millions cinq cent mille? et qui allez retrouver l’asphalte et tout l’éclat du monde parisien?

      Ils le disaient avec un roulement d’r paysan, sans y mettre d’aigreur, car c’étaient des lumières de leur province qui auraient pu comme d’autres venir à Paris – on avait plusieurs fois offert au premier président de Caen un siège à la Cour de cassation – mais avaient préféré rester sur place, par amour de leur ville, ou de l’obscurité, ou de la gloire, ou parce qu’ils étaient réactionnaires, et pour l’agrément des relations de voisinage avec les châteaux. Plusieurs d’ailleurs ne regagnaient pas tout de suite leur chef-lieu.

      Car – comme la baie de Balbec était un petit univers à part au milieu du grand, une corbeille des saisons où étaient rassemblés en cercle les jours variés et les mois successifs, si bien que, non seulement les jours où on apercevait Rivebelle, ce qui était signe d’orage, on y distinguait du soleil sur les maisons pendant qu’il faisait noir à Balbec, mais encore que quand les froids avaient gagné Balbec, on était certain de trouver sur cette autre rive deux ou trois mois supplémentaires de chaleur – ceux de ces habitués du Grand-Hôtel dont les vacances commençaient tard ou duraient longtemps, faisaient, quand arrivaient les pluies et les brumes, à l’approche de l’automne, charger leurs malles sur une barque, et traversaient rejoindre l’été à Rivebelle ou à Costedor. Ce petit groupe de l’hôtel de Balbec regardait d’un air méfiant chaque nouveau venu, et, ayant l’air de ne pas s’intéresser à lui, tous interrogeaient sur son compte leur ami le


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