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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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la baie de Balbec, ont de la plage située à l’autre extrémité: de Rivebelle on voit un peu Marcouville l’Orgueilleuse; mais cela même trompe, car on croit qu’on est vu de Marcouville, d’où au contraire les splendeurs de Rivebelle sont en grande partie invisibles.

      Le médecin de Balbec appelé pour un accès de fièvre que j’avais eu, ayant estimé que je ne devrais pas rester toute la journée au bord de la mer, en plein soleil, par les grandes chaleurs, et rédigé à mon usage quelques ordonnances pharmaceutiques, ma grand’mère prit les ordonnances avec un respect apparent où je reconnus tout de suite sa ferme décision de n’en faire exécuter aucune, mais tint compte du conseil en matière d’hygiène et accepta l’offre de Mme de Villeparisis de nous faire faire quelques promenades en voiture. J’allais et venais, jusqu’à l’heure du déjeuner, de ma chambre à celle de ma grand’mère. Elle ne donnait pas directement sur la mer comme la mienne mais prenait jour de trois côtés différents: sur un coin de la digue, sur une cour et sur la campagne, et était meublée autrement, avec des fauteuils brodés de filigranes métalliques et de fleurs roses d’où semblait émaner l’agréable et fraîche odeur qu’on trouvait en entrant. Et à cette heure où des rayons venus d’expositions, et comme d’heures différentes, brisaient les angles du mur, à côté d’un reflet de la plage, mettaient sur la commode un reposoir diapré comme les fleurs du sentier, suspendaient à la paroi les ailes repliées, tremblantes et tièdes d’une clarté prête à reprendre son vol, chauffaient comme un bain un carré de tapis provincial devant la fenêtre de la courette que le soleil festonnait comme une vigne, ajoutaient au charme et à la complexité de la décoration mobilière en semblant exfolier la soie fleurie des fauteuils et détacher leur passementerie, cette chambre, que je traversais un moment avant de m’habiller pour la promenade, avait l’air d’un prisme où se décomposaient les couleurs de la lumière du dehors, d’une ruche où les sucs de la journée que j’allais goûter étaient dissociés, épars, enivrants et visibles, d’un jardin de l’espérance qui se dissolvait en une palpitation de rayons d’argent et de pétales de rose. Mais avant tout j’avais ouvert mes rideaux dans l’impatience de savoir quelle était la Mer qui jouait ce matin-là au bord du rivage, comme une Néreide. Car chacune de ces Mers ne restait jamais plus d’un jour. Le lendemain il y en avait une autre qui parfois lui ressemblait. Mais je ne vis jamais deux fois la même.

      Il y en avait qui étaient d’une beauté si rare qu’en les apercevant mon plaisir était encore accru par la surprise. Par quel privilège, un matin plutôt qu’un autre, la fenêtre en s’entr’ouvrant découvrit-elle à mes yeux émerveillés la nymphe Glaukonomèné, dont la beauté paresseuse et qui respirait mollement avait la transparence d’une vaporeuse émeraude à travers laquelle je voyais affluer les éléments pondérables qui la coloraient? Elle faisait jouer le soleil avec un sourire alangui par une brume invisible qui n’était qu’un espace vide réservé autour de sa surface translucide rendue ainsi plus abrégée et plus saisissante, comme ces déesses que le sculpteur détache sur le reste du bloc qu’il ne daigne pas dégrossir. Telle, dans sa couleur unique, elle nous invitait à la promenade sur ces routes grossières et terriennes, d’où, installés dans la calèche de Mme de Villeparisis, nous apercevions tout le jour et sans jamais l’atteindre la fraîcheur de sa molle palpitation.

      Mme de Villeparisis faisait atteler de bonne heure, pour que nous eussions le temps d’aller soit jusqu’à Saint-Mars-le-Vêtu, soit jusqu’aux rochers de Quetteholme ou à quelque autre but d’excursion qui, pour une voiture assez lente, était fort lointain et demandait toute la journée. Dans ma joie de la longue promenade que nous allions entreprendre, je fredonnais quelque air récemment écouté, et je faisais les cent pas en attendant que Mme de Villeparisis fût prête. Si c’était dimanche, sa voiture n’était pas seule devant l’hôtel; plusieurs fiacres loués attendaient non seulement les personnes qui étaient invitées au château de Féterne chez Mme de Cambremer, mais celles qui plutôt que de rester là comme des enfants punis déclaraient que le dimanche était un jour assommant à Balbec et partaient dès après déjeuner se cacher dans une plage voisine ou visiter quelque site, et même souvent quand on demandait à Mme Blandais si elle avait été chez les Cambremer, elle répondait péremptoirement: «Non, nous étions aux cascades du Bec», comme si c’était là la seule raison pour laquelle elle n’avait pas passé la journée à Féterne. Et le bâtonnier disait charitablement:

      – Je vous envie, j’aurais bien changé avec vous, c’est autrement intéressant.

      A côté des voitures, devant le porche où j’attendais, était planté comme un arbrisseau d’une espèce rare un jeune chasseur qui ne frappait pas moins les yeux par l’harmonie singulière de ses cheveux colorés, que par son épiderme de plante. A l’intérieur, dans le hall qui correspondait au narthex ou église des Catéchumènes, des églises romanes, et où les personnes qui n’habitaient pas l’hôtel avaient le droit de passer, les camarades du groom «extérieur» ne travaillaient pas beaucoup plus que lui mais exécutaient du moins quelques mouvements. Il est probable que le matin ils aidaient au nettoyage. Mais l’après-midi ils restaient là seulement comme des choristes qui, même quand ils ne servent à rien, demeurent en scène pour ajouter à la figuration. Le Directeur général, celui qui me faisait si peur, comptait augmenter considérablement leur nombre l’année suivante, car il «voyait grand». Et sa décision affligeait beaucoup le Directeur de l’Hôtel, lequel trouvait que tous ces enfants n’étaient que des «faiseurs d’embarras» entendant par là qu’ils embarrassaient le passage et ne servaient à rien. Du moins entre le déjeuner et le dîner, entre les sorties et les rentrées des clients remplissaient-ils le vide de l’action, comme ces élèves de Mme de Maintenon qui sous le costume de jeunes israélites font intermède chaque fois qu’Esther ou Joad s’en vont. Mais le chasseur du dehors, aux nuances précieuses, à la taille élancée et frêle, non loin duquel j’attendais que la marquise descendît, gardait une immobilité à laquelle s’ajoutait de la mélancolie, car ses frères aînés avaient quitté l’hôtel pour des destinées plus brillantes et il se sentait isolé sur cette terre étrangère. Enfin Mme de Villeparisis arrivait. S’occuper de sa voiture et l’y faire monter eût peut-être dû faire partie des fonctions du chasseur. Mais il savait qu’une personne qui amène ses gens avec soi se fait servir par eux, et d’habitude donne peu de pourboires dans un hôtel, que les nobles de l’ancien faubourg Saint-Germain agissent de même. Mme de Villeparisis appartenait à la fois à ces deux catégories. Le chasseur arborescent en concluait qu’il n’avait rien à attendre de la marquise; en laissant le maître d’hôtel et la femme de chambre de celle-ci l’installer avec ses affaires, il rêvait tristement au sort envié de ses frères et conservait son immobilité végétale.

      Nous partions; quelque temps après avoir contourné la station du chemin de fer nous entrions dans une route campagnarde qui me devint bientôt aussi familière que celles de Combray, depuis le coude où elle s’amorçait entre des clos charmants jusqu’au tournant où nous la quittions et qui avait de chaque côté des terres labourées. Au milieu d’elles, on voyait çà et là un pommier privé il est vrai de ses fleurs et ne portant plus qu’un bouquet de pistils, mais qui suffisait à m’enchanter parce que je reconnaissais ces feuilles inimitables dont la large étendue, comme le tapis d’estrade d’une fête nuptiale maintenant terminée avait été tout récemment foulée par la traîne de satin blanc des fleurs rougissantes.

      Combien de fois à Paris dans le mois de mai de l’année suivante, il m’arriva d’acheter une branche de pommier chez le fleuriste et de passer ensuite la nuit devant ses fleurs où s’épanouissait la même essence crémeuse qui poudrait encore de son écume les bourgeons des feuilles et entre les blanches corolles desquelles il semblait que ce fût le marchand qui, par générosité envers moi, par goût inventif aussi et contraste ingénieux, eût ajouté de chaque côté, en surplus, un seyant bouton rose; je les regardais, je les faisais poser sous ma lampe – si longtemps que j’étais souvent encore là quand l’aurore leur apportait la même rougeur qu’elle devait faire en même temps à Balbec – et je cherchais à les reporter sur cette route par l’imagination, à les multiplier, à les étendre dans le cadre préparé, sur la toile toute prête de ces clos dont je savais le dessin


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