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Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel ProustЧитать онлайн книгу.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust


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une fois) et ne pas éprouver cette joyeuse surprise de se retrouver qui est au fond de tout bonjour amical, car, ne pouvant rester cinq minutes sans penser l’un à l’autre, ils ne pouvaient jamais se rencontrer, ne se quittant jamais.

      Pendant le dîner, chaque fois qu’ils se parlaient, leurs manières passaient en vivacité et en douceur celles d’une amie et d’un ami, mais étaient empreintes d’un respect majestueux et naturel que ne connaissent pas les amants. Ils apparaissaient ainsi semblables à ces dieux que la fable rapporte avoir habité sous des déguisements parmi les hommes, ou comme deux anges dont la familiarité fraternelle exalte la joie, mais ne diminue pas le respect que leur inspire la noblesse commune de leur origine et de leur sang mystérieux. En même temps qu’il éprouvait la puissance des iris et des roses qui régnaient languissamment sur la table, l’air se pénétrait peu à peu du parfum de cette tendresse, qu’Honoré et Françoise exhalaient naturellement. À certains moments, il paraissait embaumer avec une violence plus délicieuse encore que son habituelle douceur, violence que la nature ne leur avait pas permis de modérer plus qu’à l’héliotrope au soleil, ou, sous la pluie, aux lilas en fleurs.

      C’est ainsi que leur tendresse n’étant pas secrète était d’autant plus mystérieuse. Chacun pouvait en approcher comme de ces bracelets impénétrables et sans défense aux poignets d’une amoureuse, qui portent écrits en caractères inconnus et visibles le nom qui la fait vivre ou qui la fait mourir, et qui semblent en offrir sans cesse le sens aux yeux curieux et déçus qui ne peuvent pas le saisir.

      «Combien de temps l’aimerai-je encore?» se disait Honoré en se levant de table. Il se rappelait combien de passions qu’à leur naissance il avait crues immortelles avaient peu duré et la certitude que celle-ci finirait un jour assombrissait sa tendresse.

      Alors il se rappela que, le matin même, pendant qu’il était à la messe, au montent où le prêtre lisant l’Évangile disait: «Jésus étendant la main leur dit: Cette créature-là est mon frère, elle est aussi ma mère et tous ceux de ma famille», il avait un instant tendu à Dieu toute son âme, en tremblant, mais bien haut, comme une palme, et avait prié: «Mon Dieu! mon Dieu! faites-moi la grâce de l’aimer toujours, Mon Dieu, c’est la seule grâce que je vous demande, faites, mon Dieu, qui le pouvez, que je l’aime toujours!»

      Maintenant, dans une de ces heures toutes physiques où l’âme s’efface en nous derrière l’estomac qui digère, la peau qui jouit d’une ablution récente et d’un linge fin, la bouche qui fume, l’oeil qui se repaît d’épaules nues et de lumières, il répétait plus mollement sa prière, doutant d’un miracle qui viendrait déranger la loi psychologique de son inconstance aussi impossible à rompre que les lois physiques de la pesanteur ou de la mort. Elle vit ses yeux préoccupés, se leva, et, passant près de lui qui ne l’avait pas vue, comme ils étaient assez loin des autres, elle lui dit avec ce ton traînard, pleurard, ce ton de petit enfant qui le faisait toujours rire, et comme s’il venait de lui parler:

      «Quoi?»

      Il se mit à rire et lui dit:

      «Ne dis pas un mot de plus, ou je t’embrasse, tu entends, je t’embrasse devant tout le monde!»

      Elle rit d’abord, puis reprenant son petit air triste et mécontent pour l’amuser, elle dit:

      «Oui, oui, c’est très bien, tu ne pensais pas du tout à moi!»

      Et lui, la regardant en riant, répondit:

      «Comme tu sais très bien mentir!» et, avec douceur, il ajouta: «Méchante! méchante!»

      Elle le quitta et alla causer avec les autres, Honoré songeait: «Je tâcherai, quand je sentirai mon coeur se détacher d’elle, de le retenir si doucement, qu’elle ne le sentira même pas. Je serai toujours aussi tendre, aussi respectueux. Je lui cacherai le nouvel amour qui aura remplacé dans mon coeur mon amour pour elle aussi soigneusement que je lui cache aujourd’hui les plaisirs que, seul, mon corps goûte çà et là en dehors d’elle.» (Il jeta les yeux du côté de la princesse d’Alériouvre.) Et de son côté, il la laisserait peu à peu fixer sa vie ailleurs, par d’autres attachements. Il ne serait pas jaloux, désignerait lui-même ceux qui lui paraîtraient pouvoir lui offrir un hommage plus décent ou plus glorieux. Plus il imaginait en Françoise une autre femme qu’il n’aimerait pas, mais dont il goûterait savamment tous les charmes spirituels, plus le partage lui paraissait noble et facile. Les mots d’amitié tolérante et douce, de belle charité à faire aux plus dignes avec ce qu’on possède de meilleur, venaient affluer mollement à ses lèvres détendues. À cet instant, Françoise ayant vu qu’il était dix heures, dit bonsoir et partit. Honoré l’accompagna jusqu’à sa voiture, l’embrassa imprudemment dans la nuit et rentra.

      Trois heures plus tard, Honoré rentrait à pied avec M. de Buivres, dont on avait fêté ce soir-là le retour du Tonkin, Honoré l’interrogeait sur la princesse d’Alériouvre qui, restée veuve à peu près à la même époque, était bien plus belle que Françoise. Honoré, sans en être amoureux, aurait eu grand plaisir à la posséder s’il avait été certain de le pouvoir sans que Françoise le sût et en éprouvât du chagrin.

      «On ne sait trop rien sur elle, dit M. de Buivres, ou du moins on ne savait trop rien quand je suis parti, car depuis que je suis revenu, je n’ai revu personne.

      – En somme, il n’y plus rien de très facile ce soir, conclut Honoré.

      – Non, pas grand-chose», répondit M. de Buivres; et comme Honoré était arrivé à sa porte, la conversation allait se terminer, quand M. de Buivres ajouta:

      «Excepté Mme Seaune, autre à qui vous avez dû être présenté, puisque vous étiez du dîner. Si vous en avez envie, c’est très facile. Mais à moi, elle ne dirait pas ça!

      – Mais je n’ai jamais entendu dire ce que vous dites, dit Honoré.

      – Vous êtes jeune, répondit Buivres et tenez, il y avait ce soir quelqu’un qui se l’est fortement payée, je crois que c’est incontestable, c’est le petit François de Gouvres. Il dit qu’elle a un tempérament! Mais il paraît qu’elle n’est pas bien faite. Il n’a j’as voulu continuer.

      Je parie que pas plus tard qu’en ce moment elle fait la noce quelque part. Avez-vous remarqué comme elle quitte toujours le monde de bonne heure?

      – Elle habite pourtant, depuis qu’elle est veuve, dans la même maison que son frère, et elle ne se risquerait pas à ce que le concierge raconte qu’elle rentre dans la nuit.

      – Mais, mon petit, de dix heures à une heure du matin on a le temps de faire des choses! Et puis est-ce qu’on sait? Mais une heure, il les est bientôt, il faut nous laisser vous coucher…» Il tira lui-même la sonnette; au bout d’un instant, la porte s’ouvrit; Buivres tendit la main à Honoré, qui lui dit adieu machinalement, entra, se sentit en même temps pris du besoin fou de ressortir, mais la porte s’était lourdement refermée sur lui, et excepté son bougeoir qui l’attendait en brûlant avec impatience au pied de l’escalier, il n’y avait plus aucune lumière. Il n’osa pas réveiller le concierge pour se faire ouvrir et monta chez lui.

      II

      «Nos actes sont nos bons et nos mauvais anges,

      les ombres fatales qui marchent à nos côtés.»

BEAUMONT et FLETCHER

      La vie avait bien changé pour Honoré depuis le jour où M. de Buivres lui avait tenu, entre tant d’autres, des propos – semblables à ceux qu’Honoré lui-même avait écoutés ou prononcés tant de fois avec indifférence, mais qu’il ne cessait plus le jour quand il était seul, et toute la nuit, d’entendre. Il avait tout de suite posé quelques questions à Françoise, qui l’aimait trop et souffrait trop de son chagrin pour songer à s’offenser; elle lui avait juré qu’elle ne l’avait jamais trompé et qu’elle ne le tromperait jamais.

      Quand il était près d’elle, quand il tenait ses petites mains à qui il disait, répétant les vers de Verlaine:

      Belles


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