Orgueil et préjugés. Jane AustenЧитать онлайн книгу.
son conseil; et s’il vous disait un mot de plus, vous pourriez bien rester un mois.
» — Par ceci vous nous faites voir, dit Élisabeth, que M. Bingley ne s’était pas rendu justice; vous venez de nous montrer son caractère sous un point de vue beaucoup plus favorable qu’il ne l’avait fait lui-même.
» — Je suis charmé, dit Bingley, que vous preniez ce que mon ami dit de moi pour un éloge; mais je crains bien que ce ne soit pas là sa pensée, car bien certainement il m’aimerait mieux si, dans une pareille circonstance, je refusais net et partais sur-le-champ.
» — Croirait-il donc l’étourderie de votre premier dessein réparée par l’entêtement que vous mettriez à le suivre?
» — Je ne puis réellement vous expliquer cela; il faut que Darcy le fasse lui-même.
» — Vous voulez que j’explique une opinion qu’il vous plaît d’appeler la mienne, bien que je ne l’aie pas adoptée; mais en imaginant les choses comme vous les représentez, il faut vous ressouvenir, Mlle Bennet, que l’ami qui est supposé désirer le retard de son voyage ne fait que le désirer, et le demande simplement, sans dire si aucun avantage en peut résulter pour M. Bingley.
» — Céder facilement, sans hésiter, à la prière d’un ami n’est pas un mérite à vos yeux? dit Élisabeth.
» — Céder sans conviction ne peut donner une grande idée du jugement de l’un ni de l’autre.
» — Vous me paraissez ne rien accorder à l’influence de l’amitié: le nom du demandeur, lorsque c’est un ami, justifie la demande, sans qu’il soit besoin de raisons ni de conviction. Je ne dis rien particulièrement de la circonstance imaginée pour M. Bingley, nous ferons, ce me semble, aussi bien d’attendre qu’elle ait lieu pour y appliquer ses principes et en discuter la sagesse.
» — Avant d’en dire davantage, ne vaudrait-il pas mieux examiner premièrement l’importance attachée à la demande, puis le degré d’intimité entre les deux personnes?
» — Oh! sans doute! s’écria Bingley; ces choses sont à considérer, et bien d’autres rapports encore qu’il faudrait soigneusement comparer, comme la taille, la hauteur et l’air des deux personnes; car tout cela, Mademoiselle, doit entrer pour beaucoup dans une pareille discussion. Je vous jure que si Darcy n’était pas tellement supérieur à moi, par la taille, j’entends, j’aurais pour lui bien moins de déférence. Je ne connais pas d’être plus imposant que Darcy, quand il le veut; chez lui, par exemple, ou le dimanche au soir, quand il n’a rien à faire.
M. Darcy sourit, mais Élisabeth, croyant le voir un peu offensé, tint son sérieux; Mlle Bingley ressentit vivement les plaisanteries de son frère, et lui fit des reproches.
„Je vois votre dessein, Bingley, lui dit son ami, vous détestez les discussions, et vous voulez que celle-ci finisse.
» — Cela se peut. Les discussions ressemblent trop à des disputes; si Mlle Bennet et vous voulez différer la vôtre jusqu’à ce que je sois hors du salon, je vous en remercierai; alors vous pourrez dire de moi tout ce qu’il vous plaira.
» — Ce que vous désirez n’est pas un sacrifice pour moi, dit Élisabeth, et je crois que M. Darcy fera infiniment mieux de finir sa lettre.“
M. Darcy suivit cet avis; et, sa lettre finie, il pria Mlle Bingley et Élisabeth de faire de la musique. Mlle Bingley se leva vivement et, après une invitation polie à Élisabeth de la précéder au piano, ce que celle-ci refusa non moins poliment, mais avec plus de sincérité, elle s’y assit elle-même. Mme Hurst chanta avec sa sœur, et, pendant qu’elles étaient ainsi occupées, Élisabeth ne put s’empêcher de remarquer, tout en feuilletant un cahier de musique, que les yeux de M. Darcy étaient continuellement fixés sur elle; elle ne croyait guère pouvoir inspirer quelque intérêt à un homme si supérieur, et cependant la regarder ainsi par un sentiment d’aversion eût été une chose encore plus surprenante; à la fin elle s’imagina qu’elle attirait son attention par des manières à ses yeux moins aimables que celles des autres: cette idée ne lui fit pas de peine, elle l’aimait trop peu pour s’embarrasser de lui plaire. Après des ariettes italiennes, Mlle Bingley exécuta un air écossais; et M. Darcy, s’approchant d’Elisabeth, lui dit:
„Cet air, Mademoiselle, ne vous fait-il pas désirer de danser un reel?“.
Elle sourit, mais ne fit point de réponse; il répéta la question, un peu surpris de son silence.
„Je vous avais bien entendu, monsieur, mais je n’ai pu sur-le-champ me décider. Vous vouliez, je le sais, me faire dire oui, afin d’avoir la satisfaction de critiquer mon goût; mais j’ai toujours grand plaisir à faire échouer de tels projets. J’ai donc pris la résolution de vous dire que je ne désire nullement danser le reel; ainsi, moquez-vous de moi maintenant, si vous l’osez!
» — Non, en vérité, je ne l’oserais.“
Elisabeth, s’étant presque attendue à le fâcher, fut surprise de l’air galant dont il dit ces mots. Elle avait dans les manières un mélange de malice et de douceur qui la mettait, pour ainsi dire, dans l’impossibilité d’offenser qui que ce fût; et jamais M. Darcy n’avait rencontré de femme pour laquelle il se sentît un goût si marqué. Son cœur aurait pu être en danger si la famille d’Elisabeth eût été plus distinguée, se disait-il en lui-même…
Mlle Bingley en vit assez pour devenir jalouse, et son extrême impatience de voir sa bien-aimée Hélen rétablie fut augmentée par le désir de se défaire d’Elisabeth. Elle essaya souvent d’en dégoûter Darcy en parlant de leur mariage comme d’une chose à faire; elle affectait aussi de lui proposer des plans et de lui vanter le bonheur qu’il trouverait dans cette union.
„J’espère, dit-elle en se promenant avec lui le lendemain, que vous ferez entendre à votre belle-mère, après cet heureux événement, les avantages qu’elle trouverait à se taire…; et tâchez d’empêcher vos jeunes sœurs de courir après les officiers…; et, si j’ose toucher un sujet aussi délicat…, dites à votre belle de se corriger de je ne sais quoi qui approche de l’impertinence.
» — Avez-vous quelque chose encore à me proposer qui puisse ajouter à mon bonheur domestique?
» — Oui! Faites placer le portrait de son oncle Philips dans votre galerie, à Pimberley; mettez-le avec celui de votre grand-père le juge; c’est la même profession, quoique dans des rangs différens. Quant à l’image chérie de votre Elisabeth, il ne faut pas penser seulement à la peindre: quel art pourrait jamais représenter ces beaux yeux?
» — Il serait difficile, il est vrai, d’en saisir l’expression; mais leur couleur, leur forme et leurs longues paupières pourraient être rendues jusqu’à un certain point.“
En ce moment, ils furent joints par Mme Hurst et Élisabeth elle-même.
„Je ne savais pas que vous dussiez sortir, dit Mlle Bingley avec quelque embarras, craignant d’avoir été entendue.
» — Vous nous avez joué un bon tour de vous sauver ainsi sans rien dire“, dit Mme Hurst.
Alors elle prit le bras de M. Darcy, qui déjà conduisait Mlle Bingley; Élisabeth ainsi marchait seule, l’allée n’étant pas assez large pour quatre personnes. M. Darcy sentit cette malhonnêteté et dit:
„Cette allée est trop étroite, allons à l’avenue.“
Mais Élisabeth, qui ne désirait nullement rester avec eux, répondit en riant:
„Non, non, restez ici; vous formez un groupe charmant et paraissez avec beaucoup d’avantage; une quatrième figure gâterait le tableau… Adieu!“
Elle s’éloigna gaîment, pensant avec plaisir que bientôt elle serait de retour à Longbourn. Hélen était déjà assez bien pour quitter la chambre et devait descendre au salon dans le courant du jour.