Arsène Lupin, Gentleman-cambrioleur. Морис ЛебланЧитать онлайн книгу.
amusé, s'exclama:
– Quel drôle de garçon vous faites! Vous me déconcertez. Allons, racontez-moi l'aventure.
– Oh! oh! comme vous y allez! Vous initier à tous mes secrets… vous dévoiler mes petits trucs… C'est bien grave.
– Ai-je eu tort de compter sur votre complaisance?
– Non, Ganimard, et puisque vous insistez…
Arsène Lupin arpenta deux ou trois fois sa chambre, puis s'arrêtant:
– Que pensez-vous de ma lettre au baron?
– Je pense que vous avez voulu vous divertir, épater un peu la galerie.
– Ah! voilà, épater la galerie! Eh bien, je vous assure, Ganimard, que je vous croyais plus fort. Est-ce que je m'attarde à ces puérilités, moi, Arsène Lupin! Est-ce que j'aurais écrit cette lettre si j'avais pu dévaliser le baron sans lui écrire? Mais comprenez donc, vous et les autres, que cette lettre est le point de départ indispensable, le ressort qui a mis toute la machine en branle. Voyons, procédons par ordre, et préparons ensemble, si vous voulez, le cambriolage du Malaquis.
– Je vous écoute.
– Donc, supposons un château rigoureusement fermé, barricadé, comme l'était celui du baron Cahorn. Vais-je abandonner la partie et renoncer à des trésors que je convoite, sous prétexte que le château qui les contient est inaccessible?
– Évidemment non.
– Vais-je tenter l'assaut comme autrefois, à la tête d'une troupe d'aventuriers?
– Enfantin!
– Vais-je m'y introduire sournoisement?
– Impossible.
– Reste un moyen, l'unique à mon avis, c'est de me faire inviter par le propriétaire du dit château.
– Le moyen est original.
– Et combien facile! Supposons qu'un jour, ledit propriétaire reçoive une lettre, l'avertissant de ce que trame contre lui un nommé Arsène Lupin, cambrioleur réputé. Que fera-t-il?
– Il enverra la lettre au procureur.
– Qui se moquera de lui, puisque le dit Lupin est actuellement sous les verrous. Donc, affolement du bonhomme, lequel est tout prêt à demander secours au premier venu, n'est-il pas vrai?
– Cela est hors de doute.
– Et s'il lui arrive de lire dans une feuille de chou qu'un policier célèbre est en villégiature dans la localité voisine…
– Il ira s'adresser à ce policier.
– Vous l'avez dit. Mais, d'autre part, admettons qu'en prévision de cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l'un de ses amis les plus habiles de s'installer à Caudebec, d'entrer en relations avec un rédacteur du Réveil, journal auquel est abonné le baron, de laisser entendre qu'il est un tel, le policier célèbre, qu'adviendra-t-il?
– Que le rédacteur annoncera dans le Réveil la présence à Caudebec du dit policier.
– Parfait, et de deux choses l'une: ou bien le poisson – je veux dire Cahorn – ne mord pas à l'hameçon, et alors rien ne se passe. Ou bien, et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable, il accourt, tout frétillant. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moi l'assistance de l'un de mes amis!
– De plus en plus original.
– Bien entendu, le pseudo-policier refuse d'abord son concours. Là-dessus, dépêche d'Arsène Lupin. Épouvante du baron qui supplie de nouveau mon ami, et lui offre tant pour veiller à son salut. Ledit ami accepte, amène deux gaillards de notre bande, qui, la nuit, pendant que Cahorn est gardé à vue par son protecteur, déménagent par la fenêtre un certain nombre d'objets et les laissent glisser, à l'aide de cordes, dans une bonne petite chaloupe affrétée ad hoc. C'est simple comme Lupin.
– Et c'est tout bêtement merveilleux, s'écria Ganimard, et je ne saurais trop louer la hardiesse de la conception et l'ingéniosité des détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pour que son nom ait pu attirer, suggestionner le baron à ce point.
– Il y en a un, et il n'y en a qu'un.
– Lequel?
– Celui du plus illustre, de l'ennemi personnel d'Arsène Lupin, bref, de l'inspecteur Ganimard.
– Moi!
– Vous-même, Ganimard. Et voilà ce qu'il y a de délicieux: si vous allez là-bas et que le baron se décide à causer, vous finirez par découvrir que votre devoir est de vous arrêter vous-même, comme vous m'avez arrêté en Amérique. Hein! la revanche est comique: je fais arrêter Ganimard par Ganimard!
Arsène Lupin riait de bon cœur. L'inspecteur, assez vexé, se mordait les lèvres. La plaisanterie ne lui semblait pas mériter de tels accès de joie.
L'arrivée d'un gardien lui donna le loisir de se remettre. L'homme apportait le repas qu'Arsène Lupin, par faveur spéciale, faisait venir du restaurant voisin. Ayant déposé le plateau sur la table, il se retira. Arsène s'installa, rompit son pain, en mangea deux ou trois bouchées et reprit:
– Mais, soyez tranquille, mon cher Ganimard, vous n'irez pas là-bas. Je vais vous révéler une chose qui vous stupéfiera: l'affaire Cahorn est sur le point d'être classée.
– Hein!
– Sur le point d'être classée, vous dis-je.
– Allons donc, je quitte à l'instant le chef de la Sûreté.
– Et après? Est-ce que M. Dudouis en sait plus long que moi sur ce qui me concerne? Vous apprendrez que Ganimard – excusez-moi – que le pseudo-Ganimard est resté en fort bons termes avec le baron. Celui-ci, et c'est la raison principale pour laquelle il n'a rien avoué, l'a chargé de la très délicate mission de négocier avec moi une transaction, et, à l'heure présente, moyennant une certaine somme, il est probable que le baron est rentré en possession de ses chers bibelots. En retour de quoi, il retirera sa plainte. Donc, plus de vol. Donc il faudra bien que le parquet abandonne…
Ganimard considéra le détenu d'un air stupéfait.
– Et comment savez-vous tout cela?
– Je viens de recevoir la dépêche que j'attendais.
– Vous venez de recevoir une dépêche?
– À l'instant, cher ami. Par politesse, je n'ai pas voulu la lire en votre présence. Mais si vous m'y autorisez…
– Vous vous moquez de moi, Lupin.
– Veuillez, mon cher ami, décapiter doucement cet œuf à la coque. Vous constaterez par vous-même que je ne me moque pas de vous.
Machinalement Ganimard obéit, et cassa l'œuf avec la lame d'un couteau. Un cri de surprise lui échappa. La coque, vide, contenait une feuille de papier bleu. Sur la prière d'Arsène, il la déplia. C'était un télégramme, ou plutôt une partie de télégramme auquel on avait arraché les indications de la poste. Il lut:
«Accord conclu. Cent mille balles livrées. Tout va bien.»
– Cent mille balles? fit-il.
– Oui, cent mille francs! C'est peu, mais enfin les temps sont durs… Et j'ai des frais généraux si lourds! Si vous connaissiez mon budget… un budget de grande ville!
Ganimard se leva. Sa mauvaise humeur s'était dissipée. Il réfléchit quelques secondes, embrassa d'un coup d'œil toute l'affaire, pour tâcher d'en découvrir le point faible. Puis il prononça d'un ton où il laissait franchement percer son admiration de connaisseur:
– Par bonheur, il n'en existe pas des douzaines comme vous, sans quoi il n'y aurait plus qu'à fermer boutique.
Arsène Lupin prit un petit air modeste et répondit:
– Bah!