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L'homme qui rit. Victor HugoЧитать онлайн книгу.

L'homme qui rit - Victor  Hugo


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blafarde dans son demi-cercle de collines; il y avait du rêve dans ce paysage nocturne; une rondeur pâle engagée dans un croissant obscur, la lune offre quelquefois cet aspect. D’un cap à l’autre, dans toute cette côte, on n’apercevait pas un seul scintillement indiquant un foyer allumé, une fenêtre éclairée, une maison vivante. Absence de lumière sur la terre comme au ciel; pas une lampe en bas, pas un astre en haut. Les larges aplanissements des flots dans le golfe avaient çà et là des soulèvements subits. Le vent dérangeait et fronçait cette nappe. L’ourque était encore visible dans la baie, fuyant.

      C’était un triangle noir qui glissait sur cette lividité.

      Au loin, confusément, les étendues d’eau remuaient dans le clair-obscur sinistre de l’immensité,

      La Matutina filait vite. Elle décroissait de minute en minute. Rien de rapide comme la fonte d’un navire dans les lointains de la mer.

      A un certain moment, elle alluma son fanal de proue; il est probable que l’obscurité se faisait inquiétante autour d’elle, et que le pilote sentait le besoin d’éclairer la vague. Ce point lumineux, scintillation aperçue de loin, adhérait lugubrement sa haute et longue forme noire. On eût dit un linceul debout et en marche au milieu de la mer, sous lequel rôderait quelqu’un qui aurait à la main une étoile.

      Il y avait dans l’air une imminence d’orage. L’enfant ne s’en rendait pas compte, mais un marin eût tremblé. C’était cette minute d’anxiété préalable où il semble que les éléments vont devenir des personnes, et qu’on va assister à la transfiguration mystérieuse du vent en aquilon. La mer va être océan, les forces vont se révéler volontés, ce qu’on prend pour une chose est une âme. On va le voir. De là l’horreur. L’âme de l’homme redoute cette confrontation avec l’âme de la nature.

      Un chaos allait faire son entrée. Le vent, froissant le brouillard, et échafaudant les nuées derrière, posait le décor de ce drame terrible de la vague et de l’hiver qu’on appelle une tempête de neige.

      Le symptôme des navires rentrants se manifestait. Depuis quelques moments la rade n’était plus déserte. A chaque instant surgissaient de derrière les caps des barques inquiètes se hâtant vers le mouillage. Les unes doublaient le Portland Bill, les autres le Saint-Albans Head. Du plus extrême lointain, des voiles venaient. C’était à qui se réfugierait. Au sud, l’obscurité s’épaississait et les nuages pleins de nuit se rapprochaient de la mer. La pesanteur de la tempête en surplomb et pendante apaisait lugubrement le flot. Ce n’était point le moment de partir. L’ourque était partie cependant.

      Elle avait mis le cap au sud. Elle était déjà hors du golfe et en haute mer. Tout à coup la bise souffla en rafale; la Matutina, qu’on distinguait encore très nettement, se couvrit de toile, comme résolue à profiter de l’ouragan. C’était le noroit, qu’on nommait jadis vent de galerne, bise sournoise et colère. Le noroit eut tout de suite sur l’ourque un commencement d’acharnement. L’ourque, prise de côté, pencha, mais n’hésita pas, et continua sa course vers le large. Ceci indiquait une fuite plutôt qu’un voyage, moins de crainte de la mer que de la terre, et plus de souci de la poursuite des hommes que de la poursuite des vents.

      L’ourque, passant par tous les degrés de l’amoindrissement, s’enfonça dans l’horizon; la petite étoile qu’elle traînait dans l’ombre pâlit; l’ourque, de plus en plus amalgamée à la nuit, disparut.

      Cette fois, c’était pour jamais.

      Du moins l’enfant parut le comprendre, il cessa de regarder la mer. Ses yeux se reportèrent sur les plaines, les landes, les collines, vers les espaces où il n’était pas impossible peut-être de faire une rencontre vivante. Il se mit en marche dans cet inconnu.

      IV. QUESTIONS

      Qu’était-ce que cette espèce de bande en fuite laissant derrière elle cet enfant?

      Ces évadés étaient-ils des comprachicos?

      On a vu plus haut le détail des mesures prises par Guillaume III, et votées en parlement, contre les malfaiteurs, hommes et femmes, dits comprachicos, dits comprapequeños, dits cheylas.

      Il y a des législations dispersantes. Ce statut tombant sur les comprachicos détermina une fuite générale, non seulement des comprachicos, mais des vagabonds de toute sorte. Ce fut à qui se déroberait et s’embarquerait. La plupart des comprachicos retournèrent en Espagne. Beaucoup, nous l’avons dit, étaient basques.

      Cette loi protectrice de l’enfance eut un premier résultat bizarre; un subit délaissement d’enfants.

      Ce statut pénal produisit immédiatement une foule d’enfants trouvés, c’est-à-dire perdus. Rien de plus aisé à comprendre. Toute troupe nomade contenant un enfant était suspecte; le seul fait de la présence de l’enfant la dénonçait. – Ce sont probablement des comprachicos. – Telle était la première idée du shériff, du prévôt, du constable. De là des arrestations et des recherches. Des gens simplement misérables, réduits à rôder et mendier, étaient pris de la terreur de passer pour comprachicos, bien que ne l’étant pas; mais les faibles sont peu rassurés sur les erreurs possibles de la justice. D’ailleurs les familles vagabondes sont habituellement effarées. Ce qu’on reprochait aux comprachicos, c’était l’exploitation des enfants d’autrui. Mais les promiscuités de la détresse et de l’indigence sont telles qu’il eût été parfois malaisé à un père et à une mère de constater que leur enfant était leur enfant. D’où tenez-vous cet enfant? Comment prouver qu’on le tient de Dieu? L’enfant devenait un danger; on s’en défaisait. Fuir seuls sera plus facile. Le père et la mère se décidaient à le perdre, tantôt dans un bois, tantôt sur une grève, tantôt dans un puits.

      On trouva dans les citernes des enfants noyés.

      Ajoutons que les comprachicos étaient, à l’imitation de l’Angleterre, traqués désormais par toute l’Europe. Le branle de les poursuivre était donné. Rien n’est tel qu’un grelot attaché. Il y avait désormais émulation de toutes les polices pour les saisir, et l’alguazil n’était pas moins au guet que le constable. On pouvait lire encore, il y a vingt-trois ans, sur une pierre de la porte d’Otero, une inscription intraduisible – le code dans les mots brave l’honnêteté – où est du reste marquée par une forte différence pénale la nuance entre les marchands d’enfants et les voleurs d’enfants. Voici l’inscription, en castillan un peu sauvage: Aqui quedan las orejas de los comprachicos, y las bolsas de los robaniños, mientras que se van ellos al trabajo de mar. On le voit, les oreilles, etc., confisquées n’empêchaient point les galères. De là un sauve-qui-peut parmi les vagabonds. Ils partaient effrayés, ils arrivaient tremblants. Sur tout le littoral d’Europe, on surveillait les arrivages furtifs. Pour une bande, s’embarquer avec un enfant était impossible, car débarquer avec un enfant était périlleux.

      Perdre l’enfant, c’était plutôt fait.

      Par qui l’enfant qu’on vient d’entrevoir dans la pénombre des solitudes de Portland était-il rejeté?

      Selon toute apparence, par des comprachicos.

      V. L’ARBRE D’INVENTION HUMAINE

      Il pouvait être environ sept heures du soir. Le vent maintenant diminuait, signe de recrudescence prochaine. L’enfant se trouvait sur l’extrême plateau sud de la pointe de Portland.

      Portland est une presqu’île. Mais l’enfant ignorait ce que c’est qu’une presqu’île et ne savait pas même ce mot, Portland. Il ne savait qu’une chose, c’est qu’on peut marcher jusqu’à ce qu’on tombe. Une notion est un guide; il n’avait pas de notion. On l’avait amené là et laissé là. On et là, ces deux énigmes, représentaient toute sa destinée; on était le genre humain; là était l’univers. Il n’avait ici-bas absolument pas d’autre point d’appui que la petite quantité de terre où il posait le talon, terre dure et froide à la nudité de ses pieds. Dans ce grand monde crépusculaire ouvert de toutes parts, qu’y avait-il pour cet enfant? Rien.

      Il marchait


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