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L'homme qui rit. Victor HugoЧитать онлайн книгу.

L'homme qui rit - Victor  Hugo


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forces combattantes, et indique une sorte de guet dans l’inconnu.

      L’ourque continuait éperdument sa course. Ses deux voiles majeures surtout faisaient une fonction effrayante. Le ciel et la mer étaient d’encre, avec des jets de bave sautant plus haut que le mât. A chaque instant, des paquets d’eau traversaient le pont comme un déluge, et à toutes les inflexions du roulis, les écubiers, tantôt de tribord, tantôt de bâbord, devenaient autant de bouches ouvertes revomissant l’écume à la mer. Les femmes s’étaient réfugiées dans la cabine, mais les hommes demeuraient sur le pont. La neige aveuglante tourbillonnait. Les crachats de la houle s’y ajoutaient. Tout était furieux.

      En ce moment, le chef de la bande, debout à l’arrière sur la barre d’arcasse, d’une main s’accrochant aux haubans, de l’autre arrachant sa pagne de tête qu’il secouait aux lueurs de la cage feu, arrogant, content, la face altière, les cheveux farouches, ivre de toute cette ombre, cria:

      – Nous sommes libres!

      – Libres! libres! libres! répétèrent les évadés.

      Et toute la bande, saisissant des poings les agrès, se dressa sur le pont.

      – Hurrah! cria le chef,

      Et la bande hurla dans la tempête:

      – Hurrah!

      A l’instant où cette clameur s’éteignait parmi les rafales, une voix grave et haute s’éleva à l’autre extrémité du navire, et dit: – Silence!

      Toutes les têtes se retournèrent.

      Ils venaient de reconnaître la voix du docteur. L’obscurit était épaisse; le docteur était adossé au mât avec lequel sa maigreur se confondait, on ne le voyait pas.

      La voix reprit:

      – Écoutez!

      Tous se turent.

      Alors on entendit distinctement dans les ténèbres le tintement d’une cloche.

      IX. SOIN CONFIÉ A LA MER FURIEUSE

      Le patron de la barque, qui tenait la barre, éclata de rire. – Une cloche! C’est bon. Nous chassons à bâbord. Que prouve cette cloche? Que nous avons la terre à dextribord.

      La voix ferme et lente du docteur répondit:

      – Vous n’avez pas la terre à tribord.

      – Mais si! cria le patron.

      – Non.

      – Mais cette cloche vient de la terre.

      – Cette cloche, dit le docteur, vient de la mer.

      Il y eut un frisson parmi ces hommes hardis. Les faces hagardes des deux femmes apparurent dans le carré du capot de cabine comme deux larves évoquées. Le docteur fit un pas, et sa longue forme noire se détacha du mât. On entendait la cloche tinter au fond de la nuit.

      Le docteur reprit:

      – Il y a, au milieu de la mer, à moitié chemin entre Portland et l’archipel de la Manche, une bouée, qui est là pour avertir. Cette bouée est amarrée avec des chaînes aux bas-fonds et flotte à fleur d’eau. Sur cette bouée est fixé un tréteau de fer, et la traverse de ce tréteau est suspendue une cloche. Dans le gros temps, la mer, secouée, secoue la bouée, et la cloche sonne. Cette cloche, vous l’entendez.

      Le docteur laissa passer un redoublement de la bise, attendit que le son de la cloche eût repris le dessus, et poursuivit:

      – Entendre celte cloche dans la tempête, quand le noroit souffle, c’est être perdu. Pourquoi? le voici. Si vous entendez le bruit de cette cloche, c’est que le vent vous l’apporte. Or le vent vient de l’ouest et les brisants d’Aurigny sont à l’est. Vous ne pouvez entendre la cloche que parce que vous êtes entre la bouée et les brisants. C’est sur ces brisants que le vent vous pousse. Vous êtes du mauvais côté de la bouée. Si vous étiez du bon, vous seriez au large, en haute mer, en route sûre, et vous n’entendriez pas la cloche. Le vent n’en porterait pas le bruit vers vous. Vous passeriez, près de la bouée sans savoir qu’elle est là. Nous avons dévié. Cette cloche, c’est le naufrage qui sonne le tocsin. Maintenant, avisez!

      La cloche, pendant que le docteur parlait, apaisée par une baisse de brise, sonnait lentement, un coup après l’autre, et ce tintement intermittent semblait prendre acte des paroles du vieillard. On eût dit le glas de l’abîme.

      Tous écoutaient, haletants, tantôt cette voix, tantôt cette cloche.

      X. LA GRANDE SAUVAGE. C’EST LA TEMPÊTE

      Cependant le patron avait saisi son porte-voix.

      – Cargate todo, hombres! Débordez les écoutes, halez les cale-bas, affalez les itaques et les cagues des basses voiles! mordons à l’ouest! reprenons de la mer! le cap sur la bouée! le cap sur la cloche! il y a du large là-bas. Tout n’est pas désespéré.

      – Essayez, dit le docteur.

      Disons ici, en passant, que cette bouée à sonnerie, sorte de clocher de la mer, a été supprimée en 1802. De très vieux navigateurs se souviennent encore de l’avoir entendue. Elle avertissait, mais un peu tard.

      L’ordre du patron fut obéi. Le languedocien fit un troisième matelot. Tous aidèrent. On fit mieux que carguer, on ferla; on sangla tous les rabans, on noua les cargue-points, les cargue-fonds et les cargue-boulines; on mit des pataras sur les estropes qui purent ainsi servir de haubans de travers; on jumela le mât; on cloua les mantelets de sabord, ce qui est une façon de murer le navire. La manoeuvre, quoique exécutée en pantenne, n’en fut pas moins correcte. L’ourque fut ramenée à la simplification de détresse. Mais à mesure que le bâtiment, serrant tout, s’amoindrissait, le bouleversement de l’air et de l’eau croissait sur lui. La hauteur des houles atteignait presque la dimension polaire.

      L’ouragan, comme un bourreau pressé, se mit à écarteler le navire. Ce fut, en un clin d’oeil, un arrachement effroyable, les huniers déralingués, le bordage rasé, les dogues d’amures déboîtés, les haubans saccagés, le mât brisé, tout le fracas du désastre volant en éclats. Les gros cables cédèrent, bien qu’ils eussent quatre brasses d’étalingure.

      La tension magnétique propre aux orages de neige aidait à la rupture des cordages. Ils cassaient autant sous l’effluve que sous le vent. Diverses chaînes sorties de leurs poulies ne manoeuvraient plus. A l’avant, les joues, et à l’arrière, les hanches, ployaient sous des pressions à outrance. Une lame emporta la boussole avec l’habitacle. Une autre lame emporta le canot, amarré en porte-manteau au beaupré, selon la bizarre coutume asturienne. Une autre lame emporta la vergue civadière. Une autre lame emporta la Notre-Dame de proue et la cage à feu.

      Il ne restait que le gouvernail.

      On suppléa au fanal manquant au moyen d’une grosse grenade brûlot pleine d’étoupe flambante et de goudron allumé, qu’on suspendit à l’étrave.

      Le mât, cassé en deux, tout hérissé de haillons frissonnants, de cordes, de moufles et de vergues, encombrait le pont. En tombant, il avait brisé un pan de la muraille de tribord.

      Le patron, toujours à la barre, cria:

      – Tant que nous pouvons gouverner, rien n’est perdu. Les oeuvres vives tiennent bon. Des haches! des haches! Le mât à la mer! dégagez le pont.

      Équipage et passagers avaient la fièvre des batailles suprêmes. Ce fut l’affaire de quelques coups de cognée. On poussa le mât par-dessus le bord. Le pont fut débarrassé.

      – Maintenant, reprit le patron, prenez une drisse et amarrez-moi à la barre.

      On le lia au timon.

      Pendant qu’on l’attachait, il riait. Il cria à la mer:

      – Beugle, la vieille! beugle! j’en ai vu de pires au cap Machichaco.

      Et quand il fut garrotté, il empoigna le timon à deux poings avec cette joie étrange


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