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La jeune fille bien élevée. Boylesve RenéЧитать онлайн книгу.

La jeune fille bien élevée - Boylesve René


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grand'mère s'était laissé apprivoiser, malgré toutes ses réserves.

      M. Topfer était un professeur de violoncelle, ancien camarade de M. Vaufrenard, mais qui paraissait beaucoup plus vieux que lui; il était petit, un peu courbé; il portait une paire de favoris blancs, ronds comme des houpettes à poudre de riz, et il avait en lui quelque chose de plaisant, qui le faisait sympathique sans qu'on démêlât d'où cela venait au premier abord; c'étaient ses yeux bleus, des yeux candides, purs, des yeux de joli bébé. On m'avait promis qu'il m'aimerait beaucoup, et, dès que je le vis, j'en fus très heureuse: ce bonhomme-là était tout à fait à mon goût.

      Nous fûmes en effet amis tout de suite. Il m'embrassa et bavarda avec moi, dès les premières minutes, comme si nous nous étions quittés la veille, et il m'appela familièrement "Mougeasson." Mougeasson, dans sa pensée, cela correspondait à l'idée d'une petite fille qui ne reste pas aisément en place. Et cela, hélas! correspondait aussi à cette idée: "Voilà une petite fille que j'aime bien, mais qu'il faudra mettre dehors quand on fera de la musique."

      Il n'y a que les gens qu'on aime bien, pour nous faire vraiment de la peine. Ce monsieur Topfer, qui me plaisait tant, fut cause d'un de mes premiers grands chagrins: il me conduisit le plus gentiment du monde à la porte le jour où l'on sortit le violoncelle d'une noire boîte énorme. Et il me dit, le vieux coquin:

      – Ah! par exemple, voilà le moment d'aller jouer dans le Clos!..

      Il ne plaisantait pas, M. Topfer, lorsqu'il s'agissait de musique!

      Il ne fallait pas entendre un bruit, un chuchotement; et il faisait fermer les portes intérieurement au verrou, ce qui était un bien fâcheux système, car si quelqu'un, voulant entrer, les poussait et les heurtait, il faisait plus de bruit que s'il eût ouvert tout bonnement.

      La musique, mon Dieu! je ne savais pas encore ce que c'était; mais d'abord, j'étais vexée de n'être pas jugée digne de l'entendre; ensuite, je sus que grand'mère, à la première séance, avait failli se trouver mal parce que M. Topfer, de la pointe de son violoncelle, piquait le parquet du salon. Cela amusait follement ma pauvre maman, qui était pourtant la propriétaire du parquet, mais qui n'avait pas, au même degré que sa mère, la manie conservatrice. Et grand-père, tout en donnant raison à sa femme, comme de juste, racontait à tout venant ses angoisses étouffées, sa terreur lorsque la redoutable pointe, par sept fois, – sept fois! – avant que d'être bien calée, paraissait-il, avait troué le parquet, en y dessinant un disque de la dimension d'une écumoire!.. C'était moins l'envie d'entendre la musique que celle de voir la tête de grand'mère, qui me démangeait!

      Un jour je parvins à me dissimuler. Par l'intermédiaire de ma famille, les Vaufrenard avaient fait des connaissances dans le pays; ils aimaient à voir du monde, et il y avait bien déjà une vingtaine de personnes réunies dans ce salon. Je parvins à me dissimuler, mais j'avais si peur que je n'osais remuer, et, de l'endroit où j'étais tapie, je ne pouvais voir ni grand'mère, ni M. Topfer, ni le violoncelle. Ce n'était pas de chance. J'attendis patiemment, dans l'espoir qu'on s'agiterait quand le premier morceau serait fini. Oh! j'étais bien loin de me douter de ce qui allait arriver!

      Mme Vaufrenard faisait courir ses doigts au trot, au trot, au galop, au galop, sur le clavier du piano à queue; puis elle s'arrêta tout à coup et donna le la: "la… la… la… la!" M. Topfer raclait les grosses cordes de sa basse, qui rendaient un bruit grave, solennel, et il me sembla, je me souviens, que toute ma peau tremblait. Je ne voyais qu'une de ses mains, là-haut, là-haut, qui tournait les clefs d'ébène. Cette main descendit tout à coup et parut courir comme une souris le long du grand manche, et l'on entendit des notes pressées et légères, dans le genre de celles que Mme Vaufrenard tirait du piano. Un arrêt; et puis, la voix de M. Vaufrenard se mêla aux sons du piano et à ceux de la basse. Elle chantait la romance que tout le monde connaît:

      Plaisir d'amour ne dure qu'un moment:

      Chagrin d'amour dure toute la vie!..

      Ce n'était pas le sens si mélancolique et si vrai de ces mots qui pouvait me toucher, à l'âge que j'avais, mais le son des instruments, la voix, la musique m'avaient bouleversée, et je faisais une figure de l'autre monde. Une dame qui était devant moi et me bouchait tout, s'était retournée, la romance achevée, et disait: "Mais cette enfant est malade!.." Cela signala ma présence. Ma grand'mère, que j'aperçus enfin, dit: "Tu devrais être à jouer dehors, Madeleine!.." Maman me fit sortir en me grondant pour avoir sans doute mangé trop d'abricots dans le Clos. Personne, pas même M. Topfer, n'avait seulement remarqué que je n'avais pas fait de bruit pendant la séance de musique…

      Je remontai dans le Clos où se trouvaient les autres enfants: Henriette Patissier, Suzanne Pallu, Yvonne Bridonneau, les deux petites de la Vauguyon et mon frère Paul. Ils ne mangeaient pas d'abricots, mais ils jouaient à un jeu stupide inventé par ce diable de Paul: cela consistait à lancer de loin des cailloux ou des mottes de terre par-dessus le dos toujours courbé de ce pauvre Tondu dissimulé par les cépages. On pariait que jamais on n'atteindrait Tondu, parce que, en effet, Tondu se redressait très rarement; mais il n'eût fallu qu'une fois pour qu'il fût lapidé.

      Il se passa alors en moi une chose assez curieuse, c'est que je me trouvais tout à coup plus âgée que ces gamins fous, avec qui je faisais d'ordinaire toutes les sottises sans arrière-pensée. J'étais encore tout émue de ma séance de musique, et ce que faisaient là mon frère et mes petites amies, m'apparaissait inepte et barbare. J'essayai de leur en inspirer de la honte et j'allai avertir Tondu, qui, lui, sourit, bénévolement: quand il travaillait, il travaillait, et n'avait pas souci de ce qui se passait par derrière!.. De sorte que ce fut moi qui fus houspillée; on me poursuivit à coups de mottes de terre; on m'enferma dans un des celliers où j'avais cherché refuge. Il fallut, pour me délivrer, l'arrivée des parents qui, après la musique, venaient faire le tour traditionnel du Clos. J'espérais au moins que Paul serait fortement grondé; maman et grand-père mis au courant de ma mésaventure, se disposaient à le sermonner; mais grand'mère prononça que ce qui m'arrivait m'était bien dû et que cela m'apprendrait à me séparer de mes jeunes camarades pour me cacher au salon derrière les grandes personnes. Elle avait peut-être raison, en somme, car ce que j'avais appris, dans ce salon, prématurément, c'était à ne plus être une enfant, et il eût mieux valu, pour moi, jeter des pierres par-dessus le dos de Tondu.

      J'avais dix ans, je devais entrer au couvent au mois d'octobre prochain. J'étais comme une de ces poupées que de mon temps on nommait "folies," emmanchées au bout d'un petit bâton et ornées d'une pèlerine à longues dents pointues dont chacune portait un grelot: j'avais bien l'aspect d'une petite écervelée, mais je venais de perdre mes grelots. Est-ce que je ne me payai pas, à ces vacances-là, le luxe de "rêvasser," comme disait grand'mère? oui de rêvasser à mes balcons en regardant la citerne du père Sablonneau, au lieu de m'amuser à cracher dedans!.. Et, en regardant, maintenant, dans la citerne du père Sablonneau, il y avait deux choses qui, tour à tour, ou confusément, tournoyaient dans mon esprit: c'était l'air de la romance Chagrin d'amour, avec les beaux sons du violoncelle de M. Topfer, et la voix, si désolée et si ardente de M. Vaufrenard; et c'était la pensée que mon pauvre papa, que l'on ne voyait presque plus, devait être très malheureux.

      Une grande tendresse pour papa m'envahit, je m'en souviens très bien. Je comptais les jours qui nous séparaient d'une de ses courtes apparitions à Chinon, car il venait rarement, et encore il restait peu à la maison; il y avait grand froid, c'était clair, entre lui et ses beaux-parents. C'était maman, plutôt, qui l'allait voir à Tours, le samedi soir et le dimanche, et je pleurais parce qu'elle ne m'emmenait pas. Maman, surtout quand elle revenait de Tours, défendait son mari; elle disait: "Enfin, c'est un homme qui a eu le courage d'aller jusqu'au bout de ses idées, il a tout sacrifié à ses principes!.." A quoi l'on répliquait: "Oui, sacrifié sa famille, sa femme et ses enfants!.." Puis l'on entendait les mots, toujours les mêmes: "le salut national," "son pays," "la bonne cause…" et d'autre part, le mot qui terminait toutes les discussions: "ruiné, ruiné, ruiné!"

      Mon pauvre papa ruiné, comme j'aurais voulu être près de lui pour le consoler! Le consoler, comment? Je ne savais pas trop; en lui disant des choses douces qu'il me semblait que je trouverais si j'étais


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