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La jeune fille bien élevée. Boylesve RenéЧитать онлайн книгу.

La jeune fille bien élevée - Boylesve René


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en classe ou à l'étude, et, me désignant mon ruban vert, mon beau et large ruban de sagesse qui me couvrait la poitrine, elle faisait semblant de se cracher au creux de la main et de m'envoyer cela sur mon honorable insigne. Elle avait plus de joie à braver le danger d'être punie et à se moquer de moi, que moi à demeurer confite en mon inertie récompensée.

      Je me préparai consciencieusement à la première communion; j'approchai de ce grand jour et le touchai enfin. Nous fûmes prêchées par un Père de la Compagnie de Jésus encore, qui parlait fort bien, mais comme un homme du monde, et ses instructions n'évoquèrent en nous aucune image, aucun sentiment. Je regrettai le premier, le terrible, qui m'eût troublée. Quelques mots de Mme du Cange furent encore ce qu'il y eut de mieux, autant qu'il m'en souvienne, mais je ne peux plus me rappeler ses mots: c'était peut-être son admirable et charmant visage qui me fit croire qu'elle me dirait quelque chose de très bien. Je m'excitai tant que je pus; mon cœur même battait très fort en approchant de la Sainte Table, et, malgré cela, il me semblait que moi, ce qui s'appelle moi, j'étais dans un état ordinaire. Je voulais fermement être toute en Dieu, et je pensais: "Que d'encens! que de paroissiens en cuir de Russie! que de cierges!" et j'avais aussi un peu mal au cœur.

      Je n'étais pas satisfaite, quelque chose d'important pour moi me manquait: c'était un idéal.

      Alors, je me trouvais un peu désemparée; j'étais tiède; tout me paraissait sans saveur; je n'aimais pas les petites camarades qui m'aimaient; j'aimais Gillette Canada qui me détestait, et peut-être aussi Mme du Cange, mais trop haut placée. Je m'ennuyais. On atteignit pourtant encore assez rapidement les vacances. J'eus toutes les récompenses qu'on accorde aux élèves remarquables par leur absence de tout défaut; pour le reste, je n'étais pas parvenue à être classée parmi les dix premières. Mes parents ne furent pas très contents; mon ruban vert, qui me valait tant de considération au couvent, – sauf de la part de Canada, – était sans aucun effet sur la famille; quand mon frère le vit, ah! quel succès!.. Je dus cacher ces deux mètres de moire pour éviter les quolibets et les sarcasmes, et faire comme si je les dédaignais moi-même absolument. Ils étaient portés, par surcroît, sur la note adressée à mes parents, les deux mètres de moire, pour douze francs et je ne sais combien de centimes!

      Moi qui comptais sur ces vacances pour reprendre ma vie d'autrefois, je fus bien désappointée. Rien n'était changé à la maison, et cependant, il me semblait que je n'y retrouvais rien en place. Et tout pour moi y était rapetissé, décoloré, tout m'y parut étroit et méprisable. Je n'étais point devenue très pieuse au couvent, n'est-ce pas? Eh bien! je jugeais que se mettre à table sans dire le Benedicite, c'était un peu agir en animaux. Je proposai, le soir, de réciter la prière en commun: "Ce serait mieux," osai-je dire. Mon grand-père se croisa les bras en me regardant: "Mais de quoi se mêle-t-elle?.." Je fus confuse et persuadée que la vie de mes parents était peu digne de chrétiens. Je remarquai, pour la première fois, le dimanche, à la messe, que mon grand-père n'usait pas de paroissien et se tenait presque tout le temps debout. "Mais, c'est inconvenant!" pensai-je. Toute cette malheureuse petite messe, d'ailleurs, me faisait pitié: cette façon de parler qu'avait notre curé de campagne! ces enfants de chœur, mal habillés, et qui jouaient avec les burettes et avec leur petite callotte rouge! ces vieilles dames qui allaient à la Sainte Table sans ordre, et non en rang, comme les dames du Sacré-Cœur, avec des figures de vitrail et des yeux clos! enfin, cette débandade au dernier évangile! ces causeries de chaise à chaise avant d'avoir quitté l'église! quelle misère! Je voulus retourner à la grand'messe. On me jugea folle; les boutiquières, les paysannes, seules, allaient à la grand'messe; est-ce que je prétendais bouleverser les usages? est-ce qu'il est obligatoire d'aller deux fois à la messe? Je ne répliquai que par un petit sourire entendu et dédaigneux, et, à part moi, je disais: "Pardonnez-leur, mon Dieu car ils ne savent ce qu'ils font!"

      En si peu de temps, j'avais été gagnée par le couvent bien plus que je ne le croyais moi-même; et tout ce qui se faisait au couvent, qui ne m'enchantait déjà plus, pourtant, quand j'y étais moi-même, me semblait néanmoins fort supérieur à la vie profane. Les gens de Chinon? mais ils étaient pour moi un peu comme ces peuplades sauvages qu'il faut des missionnaires héroïques et barbus pour aller conquérir à la Foi! Le plus curieux était que mon frère, qui n'était qu'un mauvais élève des Jésuites, et un pur vaurien, jugeait de même le monde par rapport à son collège. Il était méprisant; à tout usage local ou familial qu'il voyait, il appliquait un: "Chez les Pères!.." qui flagellait les institutions et les coutumes de son pays.

      Me croirait-on si je disais que la musique ne m'était plus de rien? J'entendis chanter, chez les Vaufrenard, et Plaisir d'amour et beaucoup d'autres choses que je sais aujourd'hui fort belles; M. Topfer en vain tira de son violoncelle des sons à faire tressaillir les êtres les plus rudimentaires; je me rebellais, avec mauvaise humeur, contre ce charme qui m'assaillait; l'idée que tout cela n'était que des airs d'opéra, c'est-à-dire propres aux divertissements mondains, et la plupart immoraux, sinon scandaleux, enfin tels qu'un prêtre n'est pas autorisé à les aller entendre au théâtre, suffisait à me les rendre détestables, et je songeais, par contraste, à des Kyrie, à des Pie Jesu, à des Tantum ergo, chantés par nos voix fraîches à la chapelle de Marmoutier, qui ne m'avaient pas émue durant que je les chantais, – pourquoi? je n'en sais rien, – et qui, à distance, et par un besoin de réaction contre notre petit monde médiocre, me semblaient seuls dignes, seuls beaux, seuls admirables, et créaient, par leur seul ressouvenir, une sorte de nostalgie en moi, la nostalgie du couvent.

      Ma grand'mère était stupéfaite de me découvrir ces sentiments. De son temps on ne s'avisait pas, pendant les vacances, de penser uniquement à l'année scolaire: elle gardait bon souvenir des religieuses qui l'avaient élevée: bon souvenir, mais froid. Elle disait volontiers: "La vie d'une femme ne commence qu'à la sortie du couvent."

      Je revins donc à Marmoutier avec les meilleures dispositions à m'y plaire: cependant, j'ai conscience d'y avoir traîné une année grise, insipide, suivie d'une autre qui ne valut guère mieux. Il me semble que tout était arrêté en moi, le cerveau comme le cœur. J'ai une photographie de moi, prise en ce temps-là, qui montre que j'étais laide et que j'avais l'air bête. Je continuais à être une élève dite "exemplaire," avec des notes de conduite superbes. En composition, je ne gagnai guère qu'une place, et ce fut par une triste occasion: une des premières, une pauvre petite qui avait toujours eu assez mauvaise mine, nommée Michèle de Laraupe, mourut, chez ses parents. Cette disparition soudaine d'une des nôtres, non pas une amie, pourtant, me donna une commotion qui opéra une révolution dans toute ma personne. On chanta, je m'en souviens, une messe des morts, solennelle, à l'intention de Michèle de Laraupe. Cette pompe funèbre, inusitée dans notre chapelle, le chant nouveau pour moi, du Dies iræ, ce catafalque, ces flammes verdâtres, et la place, laissée vide, partout, de notre compagne appelée devant le tribunal de Dieu, me pénétrèrent d'une émotion si profonde et si ineffaçable, qu'un frisson me parcourt aujourd'hui encore à seulement en évoquer la mémoire. Et tout à coup, dans la même semaine, pendant une bénédiction du Saint-Sacrement, je fus envahie par l'amour de Dieu.

      Ce ne fut pas une lumière éclatante, un réveil brusque, une surprise; non, et je m'en aperçus à peine. C'est plus tard, quand je pus réfléchir au changement opéré en moi, que j'en ai pu placer le début au moment de cette bénédiction. Je faisais jusqu'alors le geste d'adorer l'hostie rayonnante exposée sur l'autel: ce jour-là, je me prosternai comme si un poids énorme me pesait sur les épaules, et je sentis que quelque chose dans ma poitrine, mon cœur peut-être, semblait fondre et m'inonder d'une chaleur douce et délicieuse. Et quand la sonnerie nous invita à relever la tête, j'aurais voulu rester plus longtemps prosternée; et je n'avais pas d'autre désir que de demeurer là, abîmée, en disant, non des lèvres, mais intérieurement, par toute mon âme: "Mon Dieu!.. mon Dieu!.."

      Je ne crus pas tout d'abord à ce qui était arrivé en moi; je ne me dis pas du tout: "Voilà ce que l'on m'avait promis, ce que j'ai tant souhaité;" non; je ne me fis aucune réflexion, mais, peu à peu, l'heure de la prière et de toute station à la chapelle fut attendue par moi et me procura une intense et magnifique joie. J'adorais Dieu. J'avais l'impression d'une grandeur, d'une puissance et d'une beauté sans égales, et qui était là,


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