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Mémoires de Hector Berlioz. Hector BerliozЧитать онлайн книгу.

Mémoires de Hector Berlioz - Hector Berlioz


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pas même admis en rêve, est devenu une réalité.

      Le succès de Shakespeare à Paris, aidé des efforts enthousiastes de toute la nouvelle école littéraire, que dirigeaient Victor Hugo, Alexandre Dumas, Alfred de Vigny, fut encore surpassé par celui de miss Smithson. Jamais, en France, aucun artiste dramatique n'émut, ne ravit, n'exalta le public autant qu'elle: jamais dithyrambes de la presse n'égalèrent ceux que les journaux français publièrent en son honneur.

      Après ces deux représentations d'Hamlet et de Roméo, je n'eus pas de peine à m'abstenir d'aller au théâtre anglais; de nouvelles épreuves m'eussent terrassé; je les craignais comme on craint les grandes douleurs physiques; l'idée seule de m'y exposer me faisait frémir.

      J'avais passé plusieurs mois dans l'espèce d'abrutissement désespéré dont j'ai seulement indiqué la nature et les causes, songeant toujours à Shakespeare et à l'artiste inspirée, à la fair Ophelia dont tout Paris délirait, comparant avec accablement l'éclat de sa gloire à ma triste obscurité; quand me relevant enfin, je voulus par un effort suprême faire rayonner jusqu'à elle mon nom qui lui était inconnu. Alors je tentai ce que nul compositeur en France n'avait encore tenté.

      J'osai entreprendre de donner, au Conservatoire, un grand concert composé exclusivement de mes œuvres. «Je veux lui montrer, dis-je, que moi aussi je suis peintre!» Pour y parvenir, il me fallait trois choses: la copie de ma musique, la salle et les exécutants.

      Dès que mon parti fut pris, je me mis au travail et je copiai, en employant seize heures sur vingt-quatre, les parties séparées d'orchestre et de chœur, des morceaux que j'avais choisis.

      Mon programme contenait: les ouvertures de Waverley et des Francs-Juges; un air et un trio avec chœur des Francs-Juges; la scène Héroïque Grecque et ma cantate la Mort d'Orphée, déclarée inexécutable par le jury de l'Institut. Tout en copiant sans relâche, j'avais, par un redoublement d'économie, ajouté quelques centaines de francs à des épargnes antérieures, au moyen desquelles je comptais payer mes choristes. Quant à l'orchestre, j'étais sûr d'obtenir le concours gratuit de celui de l'Odéon, d'une partie des musiciens de l'Opéra et de ceux du théâtre des Nouveautés.

      La salle était donc, et il en est toujours ainsi à Paris, le principal obstacle. Pour avoir à ma disposition celle du Conservatoire, la seule vraiment bonne sous tous les rapports, il fallait l'autorisation du surintendant des Beaux-Arts, M. Sosthènes de Larochefoucault, et de plus l'assentiment de Cherubini.

      M. de Larochefoucault accorda sans difficulté la demande que je lui avais adressée à ce sujet. Cherubini, au contraire, au simple énoncé de mon projet, entra en fureur.

      – Vous voulez donner un concert? me dit-il, avec sa grâce ordinaire.

      – Oui, monsieur.

      – Il faut la permission du surintendant des Beaux-Arts pour cela.

      – Je l'ai obtenue.

      – M. de Larossefoucault y consent?

      – Oui, monsieur.

      – Mais, mais, mais zé n'y consens pas, moi; é é-é-zé m'oppose à ce qu'on vous prête la salle.

      – Vous n'avez pourtant, monsieur, aucun motif pour me la faire refuser, puisque le Conservatoire n'en dispose pas en ce moment, et que pendant quinze jours elle va être entièrement libre.

      – Mais qué zé vous dis que zé né veux pas que vous donniez ce concert. Tout le monde est à la campagne, et vous né ferez pas de recette.

      – Je ne compte pas y gagner. Ce concert n'a pour but que de me faire connaître.

      – Il n'y a pas de nécessité qu'on vous connaisse? D'ailleurs pour les frais il faut de l'arzent! Vous en avez donc?..

      – Oui, monsieur.

      – A… a… ah!.. Et que, qué, qué voulez-vous faire entendre dans ce concert?

      – Deux ouvertures, des fragments d'un opéra, ma cantate de la Mort d'Orphée

      – Cette cantate du concours qué zé né veux pas! elle est mauvaise, elle… elle… elle né peut pas s'exécuter.

      – Vous l'avez jugée telle, monsieur, mais je suis bien aise de la juger à mon tour… Si un mauvais pianiste n'a pas pu l'accompagner, cela ne prouve point qu'elle soit inexécutable pour un bon orchestre.

      – C'est une insulte alors, qué… qué… qué vous voulez faire à l'Académie?

      – C'est une simple expérience, monsieur. Si, comme il est probable, l'Académie a eu raison de déclarer ma partition inexécutable, il est clair qu'on ne l'exécutera pas. Si, au contraire, elle s'est trompée, on dira que j'ai profité de ses avis et que depuis le concours j'ai corrigé l'ouvrage.

      – Vous né pouvez donner votre concert qu'un dimansse.

      – Je le donnerai un dimanche.

      – Mais les employés de la salle, les contrôleurs, les ouvreuses qui sont tous attassés au Conservatoire, n'ont qué cé zour-là pour sé réposer, vous voulez donc les faire mourir dé fatigue, ces pauvre zens, les… les… les faire mourir?..

      – Vous plaisantez sans doute, monsieur: ces pauvres gens qui vous inspirent tant de pitié, sont enchantés, au contraire, de trouver une occasion de gagner de l'argent, et vous leur feriez tort en la leur enlevant.

      – Zé né veux pas, zé né veux pas! et zé vais écrire au surintendant pour qu'il vous retire son autorisation.

      – Vous êtes bien bon, monsieur; mais M. de Larochefoucault ne manquera pas à sa parole. Je vais, d'ailleurs, lui écrire aussi de mon côté, en lui envoyant la reproduction exacte de la conversation que j'ai l'honneur d'avoir en ce moment avec vous. Il pourra ainsi apprécier vos raisons et les miennes.

      Je l'envoyai en effet telle qu'on vient de la lire. J'ai su, plusieurs années après, par un des secrétaires du bureau des Beaux-Arts, que ma lettre dialoguée avait fait rire aux larmes le surintendant. La tendresse de Cherubini pour ces pauvres employés du Conservatoire que je voulais faire mourir de fatigue par mon concert, lui avait paru surtout on ne peut plus touchante. Aussi me répondit-il immédiatement comme tout homme de bon sens devait le faire, et, en me donnant de nouveau son autorisation, ajouta-t-il ces mots dont je lui saurai toujours un gré infini: «Je vous engage à montrer cette lettre à M. Cherubini qui a reçu à votre égard les ordres nécessaires.» Sans perdre une minute, après la réception de la pièce officielle, je cours au Conservatoire, et, la présentant au directeur: «Monsieur, veuillez lire ceci.» Cherubini prend le papier, le lit attentivement, le relit, de pâle qu'il était, devient verdâtre, et me le rend sans dire un seul mot.

      Ce fut le premier serpent à sonnettes qui lui arriva de ma main pour répondre à la couleuvre qu'il m'avait fait avaler, en me chassant de la Bibliothèque lors de notre première entrevue.

      Je le quittai avec une certaine satisfaction, en murmurant à part moi, et assez irrévérencieux pour contrefaire son doux langage: Allons, monsieur lé directeur, ce n'est qu'un petit serpent bien zentil, avalez-le agréablement; é dé la douceur, dé la douceur! Nous en verrons bien d'autres, peut-être, si vous né me laissez pas tranquille!

      XIX

Concert inutile. – Le chef d'orchestre qui ne sait pas conduire. – Les choristes qui ne chantent pas

      Les artistes sur lesquels je comptais pour l'orchestre m'ayant formellement promis leur concours, les choristes étant engagés, la copie terminée et la salle arrachée allo burbero Direttore, il ne me manquait donc plus que des chanteurs solistes, et un chef d'orchestre. Bloc, qui était à la tête de celui de l'Odéon, voulut bien accepter la direction du concert dont je n'osais pas me charger moi-même; Duprez, à peine connu, et récemment sorti des classes de Choron, consentit à chanter un air des Francs-Juges, et Alexis Dupont, quoique indisposé, reprit sous son patronage la Mort d'Orphée qu'il avait essayé déjà de faire entendre au jury de l'Institut. Je fus obligé, pour le soprano et


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