Lettres à Mademoiselle de Volland. Dénis DiderotЧитать онлайн книгу.
ce qu'on voudra contre l'inutilité de l'une ou contre la vérité de l'autre.
– Votre madame de *** nous avait promis. Que diable fait-elle à Paris? – Elle enrage. – De quoi? elle ne manque pas de figure; elle a de l'esprit; tout le monde l'aime. – Et, ce qui vaut encore mieux, elle n'aime personne. – Maman, vous riez toute seule. – Je pense à la figure de son petit magot. Ne trouvez-vous pas qu'il ressemble au manche d'une basse de viole? Imaginez cet outil-là entre les jambes de sa femme. – Allons, mesdames, courage. – Pardi, mon gendre, laissez-nous médire un peu de notre prochain. Je suis sûre qu'on en fait autant de nous sans que je m'en chagrine; c'est que je ne me chagrine de rien. – Et puis, comment pardonner aux défauts de ses amis, si on ne les connaît pas? – Ma femme. – Qu'avez-vous à dire à cela? – Que vous alliez prendre votre mandore et que vous nous en jouiez quelques airs. Ce bruit sera moins désagréable et plus innocent. – Ma fille, je te prie de n'en rien faire; je ne conçois rien de si maussade que ton mari quand il est malade. C'est comme les autres quand ils se portent bien. Et que diantre, radotez de votre philosophie, et ne vous mêlez pas de nous. Vous étiez dans les sérails, retournez-y. – C'est le plus court…
– Eh bien! philosophe, vous disiez donc que plus il y aura de penseurs à Constantinople, moins on fera de pèlerinages à la Mecque. – Oui – Je suis de son avis. – Je pense même que, quand il y a dans une capitale un acte religieux annuel et commun, on peut le regarder comme une mesure assez sûre du progrès de l'incrédulité, de la corruption des mœurs et du déclin de la superstition nationale. – Comment cela? – Le voici: supposons, par exemple, qu'il y eût en 1700, trente mille pèlerinages à la Mecque, ou trente mille communions sur une paroisse, et qu'en 1750 il ne se fît plus que dix mille pèlerinages et dix mille communions, il est certain que la foi, et tout ce qui y tient, se serait affaibli de deux tiers.
– Mademoiselle Anselme. – Madame. – Vous avez bien le plus vilain cul qui se puisse. – En vérité, ma belle-mère, vous êtes d'une folie! – Au sérail, mon gendre! Oh! mademoiselle, un très-vilain cul. – Je ne m'en soucie guère; je ne le vois pas. – Mais c'est qu'il est noir, ridé, maigre, sec, petit, plissé, chagriné! Si saint Pierre le savait, il en rabattrait un peu. – Elle a un si joli visage! comment aurait-elle un si vilain cul? – Voilà mon philosophe qui m'a devant lui, et qui conclut du visage au cul. Tant y a que le sien est fort laid et que je m'en crois, car je l'ai vu. – Vous l'avez vu, madame? – Oui, je l'ai vu… toute la nuit en rêve.
– Eh bien! philosophe? – Je ne sais plus où j'en suis. – Et laissez là ces folles. – Ma foi, elles parlent d'un cul qui m'a tourné la tête. – Vous en étiez à l'acte religieux annuel, et au déclin de la superstition nationale. – M'y voilà. Je pense que ce déclin a un terme; les progrès de la lumière sont limités; elle ne gagne guère les faubourgs. Le peuple y est trop bête, trop misérable et trop occupé: elle s'arrêta là; alors le nombre de ceux qui satisfont, dans l'année, à la grande cérémonie est égal au nombre de ceux qui restent, au milieu de la révolution des esprits, aveugles ou éclairés, incurables ou incorruptibles, comme il vous plaira. – Ainsi voilà le troupeau de l'Église. – Il peut s'accroître, mais non diminuer. – La quantité de la canaille est à peu près toujours la même.
– Écoutez, madame, écoutez. – Je m'ennuie assez sans cela. Il ne me fallait plus que la Socoplie… J'étais faite cette année pour voir de vilains culs… Il y a deux mois que j'étais seule ici; je ne savais que devenir; je me fis mener à Bonneuil, et dare, dare, dare, voilà un homme qui vient en cabriolet, comme si le diable l'emportait. Vous savez ce tournant vers l'église, il avait là une femme montée sur un âne, entre deux paniers; et crac, le moyeu du cabriolet accroche un panier, et voilà l'âne, les quatre fers en l'air d'un côté, et les paniers et la femme, les quatre fers en l'air, de l'autre. On s'amasse, on redresse les paniers, on relève l'âne par la queue; cependant on laissait là cette pauvre femme qui criait comme une femme troussée. – Mais il y en a qui ne crient pas trop. – Aux sérails. – Là comme ailleurs.
L'Alcoran fut le seul livre de la nation pendant plusieurs siècles; on brûla les autres, ou parce qu'ils étaient superflus, s'il n'y avait que ce qui est dans l'Alcoran, ou parce qu'il étaient pernicieux, s'ils contenaient autre chose que ce qui y est. Ce fut d'après ce raisonnement qu'on chauffa pendant six mois les bains d'Alexandrie des ouvrages du temps précédent. L'imposteur n'était plus, lorsque des fanatiques remplis de son esprit damnaient le calif Almamon pour avoir accueilli la science au détriment de la sainte ignorance des fidèles croyants. Ils disaient: Si quelqu'un ose l'imiter, il faut l'empaler et le porter de tribu en tribu, précédé d'un héraut qui criera: C'est ainsi qu'on traitera l'impie qui préférera la philosophie profane à la divine tradition, la raison au miraculeux Alcoran.
Cependant les Omméades firent peu de chose pour les savants. Les Abbassides osèrent davantage. Un d'entre eux institua des pèlerinages, éleva des temples, prescrivit des prières publiques et se montra si religieux qu'il put, sans irriter les dévots, attacher près de lui un astrologue et deux médecins chrétiens. Il n'y a point de sectes que les musulmans haïssent autant que la chrétienne. Cependant les lettrés que les derniers Abbassides appelèrent à leur cour étaient tous chrétiens. Le peuple n'y prit pas garde. – C'est qu'il était heureux sous leur gouvernement. Je dirais volontiers à un prince… – Est-ce qu'on dit quelque chose aux princes? Mais voyons, père Hoop, ce que vous leur diriez. – Soyez bons; soyez justes; soyez victorieux; soyez honorés de vos sujets et redoutés de vos voisins. – Rien que cela? – J'ajouterais: Ayez une armée nombreuse à vos ordres, et vous établirez la tolérance universelle; vous renverserez ces asiles de l'ignorance, de la superstition et de l'inutilité. – Voulez-vous vous taire! vous ne savez donc pas que je veux fonder un couvent au Grandval? – Beau projet!.. Vous réduirez à la simple condition de citoyens ces hommes de droit divin qui opposent sans cesse leurs chimériques prérogatives à votre autorité; vous reprendrez ce qu'ils ont extorqué de l'imbécillité de vos prédécesseurs; vous restituerez à vos malheureux sujets la richesse dont ces dangereux fainéants regorgent; vous doublerez vos revenus, sans multiplier les impôts; vous réduirez leur chef orgueilleux à sa ligne et à son filet; vous empêcherez des sommes immenses d'aller se perdre dans un gouffre étranger d'où elles ne reviennent plus; vous aurez l'abondance et la paix; et vous régnerez, et vous aurez exécuté de grandes choses, sans exciter un murmure, sans verser une goutte de sang. – Pardi c'est un bel instrument que la langue; comme il enfile cela! – Mais il faudrait, avant tout, qu'un souverain fut bien persuadé que l'amour de ses peuples est le seul véritable appui de sa puissance. Si, dans la crainte que les murs de son palais ne tombent en dehors, il leur cherche des étais, il y en a certains qui tôt ou tard les renverseront en dedans. Un souverain prudent isolera sa demeure de celle des dieux. Si ces deux édifices sont trop voisins, le trône sera gêné par l'autel, l'autel par le trône; et il arrivera quelque jour que, portés l'un contre l'autre avec violence, ils s'ébranleront tous les deux. – Il ne serait pas difficile à un prince politique de soulever le haut clergé contre la cour de Rome, ensuite le bas clergé contre le haut, puis d'avilir le corps entier. – Les voilà-t-il pas qui rêvent comment on pourrait traîner la sainte Église de Dieu dans la boue! Voulez-vous vous taire, vilains athées que vous êtes! – Mais à propos, le petit Croque-Dieu de Sussy ne vient-il pas souper? – Pardi, mon gendre, s'il vient, ménagez un peu ses oreilles; comment voulez-vous qu'il dise la messe, quand il a ri de vos ordures? – Qu'il ne la dise pas. – Il ne lui est pas aussi facile de se passer de la dire qu'à vous de l'entendre. – Je ne doute point que cela n'arrive un jour. – Pardi, je le voudrais bien; c'est un petit homme; il rit de si bon cœur. – Il ne s'agit que de persuader aux évêques de se passer du pape, et aux curés de partager avec les évêques. – Si vous me renvoyez là, il a la mine d'attendre longtemps… Mademoiselle Anselme, écoutez tout contre: si vous ne voulez pas que je vous voie avec le vilain cul de mon rêve, montrez-nous celui que vous portez.
– Les musulmans sont divisés en une multitude incroyable de sectes. On en compte jusqu'à soixante-treize. Ils ont des jansénistes, des molinistes, des pyrrhoniens, des sceptiques,