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Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2. Anatole FranceЧитать онлайн книгу.

Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2 - Anatole France


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français et écossais de son parti furent aussi maltraités que possible à Verneuil. Cette année-là, le damoiseau de Commercy se tourna bourguignon et n'en valut ni plus ni moins pour cela226. Le capitaine La Hire se battait encore dans le Barrois, mais cette fois c'était contre le jeune fils de madame Yolande, le beau-frère du dauphin Charles, René d'Anjou, nouvellement sorti de tutelle et désormais investi du duché de Bar. Le capitaine La Hire réclamait, à la pointe de la lance, certaines sommes d'argent que le cardinal duc de Bar lui devait227.

      En même temps Robert, sire de Baudricourt, était aux prises avec Jean de Vergy, seigneur de Saint-Dizier, sénéchal de Bourgogne228. Ce fut une belle guerre. Des deux parts on prenait pain, vin, argent, vaisselle, habits, gros et menu bétail, et l'on brûlait ce que l'on ne pouvait emporter. On mettait à rançon hommes, femmes, enfants. Dans la plupart des villages du Bassigny, le labour fut abandonné, presque tous les moulins furent détruits229.

      Dix, vingt, trente bandes de Bourguignons parcouraient la châtellenie de Vaucouleurs et y mettaient tout à feu et à sang. Les paysans cachaient leurs chevaux pendant le jour et se relevaient la nuit pour les mener paître230. À Domremy on vivait dans une alarme perpétuelle. Un veilleur à toute heure se tenait sur la tour carrée du moustier. Chaque habitant, et, si l'on s'en rapporte à la coutume, le curé lui-même, y faisant le guet à son tour, épiait, dans la poussière, au soleil, sur le ruban pâle des routes, la lueur des lances, scrutait du regard la profondeur effrayante des bois, et la nuit, voyait avec terreur s'allumer à l'horizon les villages. À l'approche des gens d'armes il lançait à toute volée ces cloches qui, tour à tour, célébraient les naissances, pleuraient les morts, appelaient le peuple à la prière, conjuraient la foudre et annonçaient les périls. Les villageois réveillés sautaient demi-nus aux étables et poussaient pêle-mêle les troupeaux vers le château qu'entouraient les deux bras de la Meuse231.

      En l'été de 1425, certain chef de bandes, qui faisait meurtres et larcins sans nombre dans tout le pays, Henri d'Orly, dit de Savoie, tomba un jour avec ses larrons sur les villages de Greux et de Domremy. Cette fois le château de l'Île ne fut d'aucun secours aux habitants. Le seigneur Henri de Savoie prit tout le bétail des deux villages et le fit conduire à quinze ou vingt lieues de là, dans son château de Doulevant. Il avait aussi dérobé beaucoup de meubles et de biens, en sorte que, ne pouvant tout loger en un seul endroit, il en fit porter une partie à Dommartin-le-Franc, village assez proche où il y avait un château précédé d'une si grande cour, que ce lieu en prit le nom de Dommartin-la-Cour. Les paysans, cruellement dépouillés, étaient en voie de mourir de faim. Heureusement pour eux, à la nouvelle de cette volerie, la dame d'Ogiviller envoya au comte de Vaudemont, en son château de Joinville, un message pour se plaindre à lui, comme à son bon parent, d'un tort fait à elle-même, puisqu'elle était dame de Greux et de Domremy. Le comte de Vaudemont avait dans sa mouvance immédiate le château de Doulevant. Dès qu'il eut reçu le message de sa parente, il envoya un homme d'armes, avec sept ou huit combattants, reprendre le bétail. Cet homme d'armes, nommé Barthélemy de Clefmont, âgé de vingt ans à peine, était habile au fait de guerre. Il trouva dans le château de Dommartin-le-Franc les animaux volés, les prit et les conduisit à Joinville. En route il fut poursuivi et attaqué par les gens du seigneur d'Orly, et mis en grand péril de mort. Mais il se défendit si bien qu'il arriva sauf à Joinville, ramenant le bétail, que le comte de Vaudemont fit reconduire dans les prairies de Greux et de Domremy232.

      Bonheur inespéré! Le laboureur embrassa ses bœufs en pleurant. Mais n'était-il pas exposé à les perdre sans retour le lendemain?

      Jeanne avait alors treize ou quatorze ans. La guerre partout autour d'elle, même dans les jeux des enfants; le mari d'une de ses marraines pris et rançonné par les gens d'armes; le mari de sa cousine germaine Mengette tué d'un coup de bombarde233, le pays natal foulé par les routiers, incendié, pillé, dévasté, tout le bétail emporté; des nuits d'épouvante, des rêves affreux, voilà ce qu'elle connut dans son enfance.

      CHAPITRE II

      LES VOIX

      Or, âgée d'environ treize ans, un jour d'été, à l'heure de midi, dans le jardin de son père, elle entendit une voix qui lui fit grand'peur. Cette voix parlait à la droite de l'enfant, vers l'église, et était accompagnée d'une lumière qui se montrait du même côté; elle lui disait:

      – Je viens de Dieu pour t'aider à te bien conduire234. Jeannette, sois bonne et Dieu t'aidera.

      Jeanne était à jeun, mais non pas épuisée d'inanition; elle avait mangé la veille235.

      Un autre jour, la voix se fit encore entendre et répéta:

      – Jeannette, sois bonne!

      L'enfant ignorait encore de qui venait la voix. Mais la troisième fois, en l'écoutant, elle sut que c'était la voix d'un ange et même elle reconnut que cet ange était saint Michel. Elle ne pouvait s'y tromper, le connaissant bien: c'était le patron du duché de Bar236. Elle le voyait parfois contre quelque pilier d'église ou de chapelle, sous l'aspect d'un beau chevalier, portant le heaume couronné, la cotte d'armes et l'écu, et transperçant le démon de sa lance237. On le représentait aussi tenant les balances dans lesquelles il pesait les âmes, car il était prévôt du ciel et gardien du paradis238, à la fois le chef des milices célestes et l'ange du Jugement239. Il se plaisait sur les hauts lieux240. C'est pourquoi on lui avait consacré une chapelle en Lorraine sur le mont Sombar, au nord de la ville de Toul. Apparu très anciennement à l'évêque d'Avranches, il lui avait ordonné de construire une église, sur le mont Tombe, à l'endroit où l'on trouverait un taureau que des voleurs y avaient caché, et d'asseoir l'édifice sur toute l'aire foulée par les pieds du taureau. Ce fut en observation de ce commandement que s'éleva l'abbaye du Mont-Saint-Michel-au-Péril-de-la-Mer241.

      Vers le temps où l'enfant avait ces apparitions, les défenseurs du Mont-Saint-Michel déconfirent les Anglais qui attaquaient la forteresse par terre et par mer. Les Français attribuèrent cette victoire à la toute-puissante intercession de l'archange242. Et pourquoi n'eût-il pas favorisé les Français qui lui vouaient une dévotion spéciale? Depuis que monseigneur saint Denys avait laissé prendre son abbaye par les Anglais, monseigneur saint Michel, qui gardait si bien la sienne, était en passe de devenir le véritable patron du royaume243. Le dauphin Charles, en l'an 1419, avait fait peindre des panonceaux à la ressemblance de saint Michel tout armé, tenant une épée nue et faisant manière de tuer un serpent244. Mais des miracles de monseigneur saint Michel en Normandie la fille de Domremy ne savait pas grand'chose.

      Elle reconnut l'ange à ses armes, à sa courtoisie et aux belles maximes qui sortaient de sa bouche245.

      Il lui dit un jour:

      – Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront à toi. Agis par leurs conseils, car elles sont ordonnées pour te conduire et te conseiller en ce que tu auras à faire, et tu les croiras en ce qu'elles te diront. Et ces choses s'accomplissent par le commandement de Notre-Seigneur246.

      Cette promesse lui causa une grande joie, car elle les aimait bien l'une et l'autre. Madame sainte Marguerite était grandement honorée dans le royaume


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<p>226</p>

De Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. II, pp. 16-17.

<p>227</p>

S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, preuve LXII.

<p>228</p>

Du Chesne, Généalogie de la maison de Vergy, Paris, 1625, in-folio. – Nouvelle Biographie Générale, t. XLV, p. 1125.

<p>229</p>

S. Luce, Domremy et Vaucouleurs, de 1412 à 1425, dans Jeanne d'Arc à Domremy, ch. III.

<p>230</p>

Procès, t. I, p. 66.

<p>231</p>

Ibid., t. I, p. 66. – S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, p. LXXXVI et preuve XIV, p. 20.

<p>232</p>

S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, pp. 275 et suiv.

<p>233</p>

E. de Bouteiller et G. de Braux, Nouvelles recherches, pp. 4-15.

<p>234</p>

Procès, t. I, pp. 52, 72-73, 89, 170.

<p>235</p>

Ibid., t. I, p. 52. – Le manuscrit porte non jejunaverat die præcedenti.

<p>236</p>

V. Servais, Annales historiques du Barrois, Bar-le-Duc, 1865, t. I, planche 2.

<p>237</p>

P. – Ch. Cahier, Caractéristique des Saints dans l'art populaire, t. I, p. 363. – Quicherat, Aperçus nouveaux, p. 50. – S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, pp. XCV, XCVI et preuve XXIV, p. 74.

<p>238</p>

Mystère de Saint Remi, Biblioth. de l'Arsenal, ms. 3.364, fos 4 et 108.

<p>239</p>

«Sed signifer Sanctus Michael representet eas [animas] in lucem sanctam». Offertoire de la messe des morts.

<p>240</p>

A. Maury, Croyances et légendes du moyen âge, pp. 171 et suiv. – Barbier de Montault, Traité d'Iconographie chrétienne, t. I, p. 191.

<p>241</p>

AA. SS, 1672; t. III, I. pp. 85 et suiv. – Dom J. Huynes, Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, éd. R. de Beaurepaire, Rouen, 1872, pp. 61 et suiv. – A. Forgeais. Collection de plombs historiés trouvés dans la Seine, Paris, 1864, t. III, p. 197. – S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, ch. IV. —Chronique du Mont-Saint-Michel (1343-1468), éd. S. Luce, Paris, 1880-1886 (2 vol. in-8o), t. I, pp. 26, 146, 163 et suiv.

<p>242</p>

Lanéry d'Arc, Mémoires et consultations en faveur de Jeanne d'Arc, p. 272 [Opinion de Jean Bochard, dit de Vaucelle, évêque d'Avranches]. – Dom. J. Huynes, loc cit., ch. VIII, p. 105.

<p>243</p>

Dom Félibien, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis…, Paris, 1706, in-fol. p. 341.

<p>244</p>

Richer, Histoire manuscrite de la Pucelle, ms. fr. 10448, fol. 13. – S. Luce, Jeanne d'Arc à Domremy, preuve XXIV.

<p>245</p>

Procès, t. I, pp. 72-73.

<p>246</p>

Procès, t. I, p. 170.

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