La Daniella, Vol. II. Жорж СандЧитать онлайн книгу.
un air soucieux qui m'effraya.
– Daniella est plus malade? m'écriai-je.
– Non, au contraire, elle va mieux. Voilà une lettre d'elle. Je la lui arrachai des mains.
«Aie confiance et patience, me disait-elle. Je te reverrai, j'espère, dans peu de jours, malgré les obstacles. Ne sors pas de Mondragone, et ne te montre pas. Espère, et attends celle qui t'aime.»
– Elle me prescrit de ne pas me montrer, dis-je à Tartaglia, et tu m'assurais pourtant que l'on me sait ici!
– Ah! mossiou, répondit-il avec un geste d'impatience, je ne sais plus rien. Ne vous montrez pas, ce sera toujours plus prudent; mais il se passe des choses que je ne peux plus m'expliquer… Aussi, je me disais bien: «Pourquoi se donner tant de soins pour s'emparer de ce pauvre petit artiste qui ne peut point passer pour dangereux? Il faut qu'il serve de prétexte à autre chose…» et il y a autre chose, mossiou, ou bien l'on s'imagine qu'il y a autre chose.
– Explique-toi!
– Non! vous n'avez pas de confiance en moi.
– Si fait! j'ai confiance en toi aujourd'hui; j'ai été à ta merci toute cette nuit, j'ai dormi tranquillement; je suis persuadé que tu ne veux me faire arrêter ni dedans ni dehors; parle!
– Eh bien! mossiou, dites-moi: êtes-vous seul ici?
– Comment? si je suis seul à Mondragone? Tu en doutes?
– Oui, mossiou.
– Eh bien, lui répondis-je, frappé de la même idée, si tu m'avais dit cela le premier jour de mon installation, j'aurais été de ton avis. Ce jour-là et la nuit suivante, j'ai pensé que nous étions deux ou plusieurs réfugiés dans ces ruines; mais voici le huitième jour que j'y passe, et, depuis ce temps, je suis bien certain d'être seul.
– Eh! eh! voilà déjà quelque chose. Quelqu'un de plus important et de plus dangereux que vous a passé par ici; on le sait, on croit qu'il y est encore, et, si on vous surveille, c'est par-dessus le marché, ou parce que l'on vous suppose affilié à cette personne ou à ces personnes… car vous dites que vous étiez peut-être plusieurs?
– Oh! cela, je le dis au hasard, et je peux fort bien te raconter ce qui m'est arrivé. J'ai cru entendre marcher dans le Pianto.
– Qu'est-ce que c'est que le Pianto?
– Le petit cloître…
– Je sais, je sais! Vous avez entendu?..
– Ou cru entendre le pas d'un homme.
– D'un seul?
– D'un seul.
– Et après?
– Après? Pendant la nuit j'ai entendu, oh! mais cela très distinctement, jouer du piano.
– Du piano? dans cette masure? Ne rêviez-vous pas, mossiou?
– J'étais debout et bien éveillé.
– Et la Daniella, l'a-t-elle entendu aussi?
– Parfaitement. Elle supposait que cela venait des Camaldules, et que c'était l'orgue, dont le son était dénaturé par l'éloignement.
– Ce ne pouvait pas être autre chose. Donc, mossiou, vous ne savez rien de plus?
– Rien. Et toi?
– Moi, je saurai! Dites-moi encore, mossiou, avez-vous été partout dans cette grande carcasse de château?
– Partout où l'on peut aller.
– Jusque dans les caves sous le terrazzone?
– Jusque dans la partie de ces caves qui n'est pas murée.
– Il y a grand danger à y aller, à ce qu'on dit?
– Oui, à y aller sans lumière et sans précautions.
– Mais il n'y a pas de précautions et pas de chandelle qui empêcheraient cette grande terrasse de crouler, et elle ne tient à rien.
– Qui t'a dit cela?
– Felipone, le fermier de la laiterie des Cyprès.
– Il est vrai que sa femme empêche les enfants de venir jouer dessus; mais cette crainte me paraît une rêverie. Un pareil massif, assis sur un pareil roc, est à l'abri du temps.
– Mais non pas des tremblements de terre, et ils ne sont pas rares ici. On dit que des voûtes immenses se sont écroulées, et qu'un beau jour le terrazzone se crèvera tout au moins s'il ne dégringole pas tout à fait. Il y a, sur cette terrasse, des endroits où l'eau séjourne, où il pousse du jonc et où l'on enfonce comme dans un marécage. C'est pour cela que l'on a muré l'entrée du cucinone (la grande cuisine), dont les colonnes à girouettes étaient les cheminées, et qui était elle-même, à ce que l'on m'a dit, une des plus belles choses qu'il y ait dans le pays. Du temps que j'étais ânier et guide à Frascati, j'ai essayé deux ou trois fois d'y pénétrer. Découvrir une entrée praticable, c'eût été une bonne affaire. J'en aurais sollicité le monopole auprès de l'intendant de la princesse, et j'y aurais conduit les voyageurs; mais impossible, mossiou! Sitôt que l'on donne seulement un coup de pioche dans ces vieux murs souterrains, on entends des bruits, des éboulements et des craquements sourds qui font dresser les cheveux sur la tête. C'est au point que les gens du pays croient qu'il y a quelque diablerie là dedans, et que les enfants disent que c'est le logis de la Befana.
– Qu'est-ce que c'est que la Befana?
– Une chose dont on a peur et qu'on ne voit jamais; un esprit-bête qui fait le bien et le mal.
– Le nom me plaît. Nous appellerons cet endroit-là la Befana.
– Je veux bien, mossiou, mais je n'y crois pas.
– Et tu ne crois pas non plus qu'il puisse y avoir quelqu'un de caché dans ce logis de la Befana?
– Non certes, mossiou, mais la cave qui est sous le petit cloître que vous appelez le Pianto?
– Je m'en suis inquiété, car j'aurais voulu découvrir une sortie souterraine en cas d'envahissement; mais cela me paraît également fermé par les éboulements, et d'ailleurs il y a des grilles massives aux soupiraux.
– Je le sais! J'ai voulu limer ça dans le temps, dans l'idée de retrouver l'entrée des cuisines; mais la peur m'a pris parce que cette grille soutenait une partie lézardée dont la fente s'agrandissait à vue d'oeil, à mesure que je travaillais. Si vous aviez bien regardé, vous auriez vu une barre de fer qui est déjà bien entamée; et avec ça, mossiou, ajouta-t-il en me montrant une lime anglaise très-fine, avec ce petit instrument qu'un homme de bon sens doit toujours avoir sur lui à tout événement, on pourrait continuer, si on était sûr de ne pas se faire écraser par la galerie du cloître!
– Pourquoi faire? Espères-tu que, par là, nous trouverions une issue?
– Chi lo sà?
– Mais puisqu'en restant ici je ne peux pas être pris! Puisque j'ai juré à la Daniella de ne pas bouger!
– Vous avez raison, mossiou, quant à vous; mais, quant à moi, si je trouvais le secret du château, j'en tirerais quelques sous à l'occasion. Un jour que j'aurai le temps… et le courage! je veux essayer encore!
J'avais fini de déjeuner. Je laissai Tartaglia déjeuner à son tour, et je me rendis à mon atelier, où je viens de vous écrire ce chapitre et où je vais essayer de travailler pour dissiper ma mélancolie.
5 heures.
Je reprends pour vous dire que, pendant que j'étais à peindre, j'ai entendu frapper violemment, à plusieurs reprises, à la porte de la grande cour. Tartaglia, tout effaré, est venu à moi en me disant:
– Cachez-vous quelque part, mossiou; on enfonce les portes!
– Non,